Au premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 10 avril, 489 bulletins exprimés par des personnes détenues n’ont pas pu être pris en compte. En cause, des manquements de l’administration pénitentiaire dans la procédure du vote par correspondance. Des incidents qui appellent à la vigilance, sans ternir le bilan globalement positif des élections présidentielle et législatives, marquées par une augmentation sans précédent du nombre de votants incarcérés.
Emmanuel Macron l’avait promis en 2018 : « Je veux que tous les détenus en France puissent exercer le droit de vote. »(1) C’est l’une des rares avancées des droits des prisonniers et des prisonnières à mettre au crédit du dernier quinquennat. Le vote par correspondance, instauré de manière expérimentale à l’occasion des élections européennes de 2019 puis pérennisé et généralisé en 2021, s’est ajouté aux deux modalités jusque-là ouvertes aux citoyens incarcérés : la procuration et le vote dans le cadre d’une permission de sortir.
Mais, selon les informations obtenues par l’OIP, lors du premier tour de l’élection présidentielle, 489 voix – soit 4,4% de celles exprimées par correspondance – n’ont pu être prises en compte, en raison de manquements de l’administration pénitentiaire. Pour la majorité d’entre elles, la cause réside dans l’oubli de joindre l’attestation d’identité des personnes détenues – dans huit prisons, cet oubli concerne l’ensemble des votes exprimés. Les autres causes sont éparses ; parmi elles, la perte d’une enveloppe contenant les votes d’un établissement entier. Une circulaire aurait été diffusée afin que cela ne se reproduise pas, mais nous n’avons pas été en mesure de vérifier si ces dysfonctionnements avaient cessé pour les scrutins suivants. Le pari de rendre plus effectif le droit de vote en prison n’en a pas moins été relevé par l’administration pénitentiaire. Les personnes détenues étaient ainsi 11 300 à voter à l’élection présidentielle contre 1 100 en 2017, et 9 700 aux législatives contre 500 cinq ans auparavant(2), soit respectivement onze et dix-huit fois plus. Avec un taux de participation moyen de seulement 20% d’après la Direction de l’administration pénitentiaire(3), le chemin vers un plein exercice de ce droit reste cependant encore long. En outre, le nombre de personnes détenues qui se sont vu accorder une permission de sortir afin de voter à l’extérieur est, lui, resté relativement stable comparé à 2017. Il reste surtout particulièrement bas : sous la barre des 200 personnes concernées, soit moins de 0,5% des détenus pouvant voter. Cette modalité, qui leur permet d’exercer leurs droits civiques comme tout autre citoyen, devrait pourtant être largement priorisée.
Les dernières avancées ne doivent enfin pas conduire à mettre de côté une autre solution, qui aurait permis d’éviter les dysfonctionnements constatés : instaurer des bureaux de vote en prison. C’est le choix qu’ont fait d’autres pays, comme le Danemark et la Pologne, et qui a largement fait ses preuves : en Pologne, le taux de participation des détenus en capacité de voter est depuis longtemps bien plus élevé, atteignant près de 60% lors des élections législatives de 2011. Emmanuel Macron, qui avait évoqué cette possibilité en 2018, pourrait utilement mettre à profit son deuxième quinquennat pour la mettre en œuvre.
Par Prune Missoffe
(1) Discours du Président de la République à l’École nationale d’administration pénitentiaire, 6 mars 2018.
(2) Les données correspondent à des moyennes (arrondies) des deux tours pour chaque élection, réalisée à partir des données communiquées par la Direction de l’administration pénitentiaire.
(3) Pourcentage calculé sur les personnes en capacité de voter (seules les personnes majeures, de nationalité française et n’ayant pas été privées de leurs droits civiques peuvent voter).
Publié dans Dedans Dehors n°115, juin 2022.