À coup de réformes politiques et de batailles juridiques menées par les personnes détenues, le travail pénitentiaire en Italie a connu d’importantes évolutions en quarante ans, dans un double mouvement visant à la fois à développer l’offre d’emploi et à renforcer les droits des personnes détenues. Si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, l’Italie dispose actuellement de l’un des systèmes les plus protecteurs.
En Italie, c’est une loi adoptée en 1975 sur fond de mouvements de protestation et d’émeutes des détenus qui pose les nouvelles bases de l’organisation des prisons. Elle prévoit notamment que « l’organisation et les méthodes de travail pénitentiaire doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent le travail hors de l’établissement, afin de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre et faciliter leur réinsertion sociale ». Depuis, une abondante jurisprudence et de nouveaux textes sont venus, pour l’essentiel, renforcer la protection des droits et encourager l’emploi des personnes détenues.
Le salut par les coopératives sociales ?
La loi de 1975 énonce que le travail et la formation professionnelle des détenus doivent être favorisés « par tous les moyens ». Mais si, dans un esprit de progrès, elle met fin à la concession de main d’oeuvre pénale au service d’entreprises privées, l’administration est très vite confrontée à la difficulté de procurer du travail aux détenus. En 1993, une réforme législative rouvre les portes de la prison aux entreprises privées. Avec une particularité qui distingue l’Italie de ses voisins européens : pour les détenus employés par des structures extérieures, c’est le droit commun qui s’applique. Contrat de travail, rémunération, couverture sociale, congés, chômage… Ils bénéficient de l’ensemble des droits et obligations liées à une relation de travail ordinaire, que seules des contraintes liées à la détention peuvent restreindre. Pour développer l’offre de travail en détention, l’Italie compte sur le modèle économique proposé par les coopératives sociales. Ces entreprises de droit privé à vocation sociale visent l’insertion par le travail de personnes dites « désavantagées » (handicapées physiques et mentaux, toxicomanes… et désormais détenues). En prison, elles gèrent l’ensemble d’une activité : formation professionnelle des détenus, formation des encadrants, organisation du travail, commercialisation des produits ; et peuvent aller jusqu’à l’accompagnement à la sortie. La plupart proposent des activités artisanales, mais des initiatives plus originales voient également le jour. Au sein de la prison de Milan, par exemple, un restaurant InGalera (« En Taule ») est ouvert au public ; les détenus y font la cuisine et le service.
Avec ce système, le travail est valorisant et valorisé et les coopératives n’hésitent pas à communiquer sur le fait qu’elles emploient des personnes détenues et concourent ainsi à leur intégration sociale. Des marques sont créées, à l’instar des vêtements Made in Jail ou des confiseries Dolci libertà. À partir de 2000, ce mouvement s’accompagne d’une politique d’incitations financières. Pour chaque détenu embauché avec un contrat de travail d’une durée supérieure à trente jours, les entreprises bénéficient d’un crédit d’impôt de 520 euros et d’un allégement de 95 % des cotisations sociales (1). Mais le modèle a du mal à décoller : au 30 juin 2017, seulement 696 personnes détenues étaient employées par des coopératives sociales (2).
Payés 7 euros de l’heure
Malgré cet échec, l’Italie n’a globalement pas à rougir de la situation. Au 30 juin 2017, 30,9 % des personnes détenues avaient un travail (3) – une proportion plus importante qu’en France. Surtout, alors que c’est essentiellement les niveaux de rémunération qui distinguaient les conditions de travail des personnes employées par l’administration pénitentiaire de celles employées par des structures extérieures, une circulaire d’octobre 2017 est venue changer la donne. Depuis 1994, l’administration gelait la rémunération des détenus qu’elle emploie, alors même que la loi énonce qu’ils ne devraient pas être payés moins des deux-tiers de ce qui est prévu par les conventions collectives correspondantes. Face au développement d’un important contentieux sur la question qui la forçait à indemniser les requérants, l’administration a fini par se mettre aux normes. Désormais, un détenu qui travaille au service général devrait toucher en moyenne 7 euros de l’heure (4). De quoi faire rêver les prisonniers de l’Hexagone…
Par Cécile Marcel
(1) Loi n°193 du 22 juin 2000, complétée par le décret n°148 du 24 juillet 2014.
(2) Pour 17 602 détenus qui travaillent. Source : Detenuti Lavoranti Serie Storica – Anni 1991 – 2017, ministère de la Justice italien.
(3) Ibid.
(4) « Aumenta la « mercede » per i detenuti lavoratori », Il Dubbio, 26 septembre 2017. En Italie, les détenus qui travaillent doivent cependant contribuer à leurs frais d’hébergement.