Free cookie consent management tool by TermsFeed

« Une vie humaine n’est pas un numéro d’écrou »

« Je vous adresse cette lettre car je ne me reconnais plus. Cela fait bientôt neuf ans que je suis incarcéré pour des faits pour lesquels j’ai été jugé, je paie ma dette à la société. Mais le sens de ma peine, je ne le comprends pas. En neuf ans, aucun établissement pénitentiaire n’a réellement voulu m’accorder une “deuxième chance”, le droit à la réinsertion sociale. […]

En neuf ans, j’ai tout perdu, famille, projets, espoir, sourire – seule la haine laisse place à l’avenir. Le rejet que l’administration pénitentiaire exerce à mon égard ainsi que leur jugement ne font ressortir de moi que le mal, aucun positif. Leurs répressions, la privation de mes droits, leur mépris face à mes douleurs et ma détresse ne font qu’accroître mon mal-être, qui se transforme en dangerosité.

Je suis constamment placé dans des cases qui m’attribuent une image que je n’aperçois pas dans le miroir. Je suis à présent observé comme un ennemi de mon pays, sans qu’on cherche à savoir réellement qui je suis. […] Leurs évaluations, leurs synthèses, leurs observations, leurs CRI [comptes rendus d’incident], varient selon leur interprétation personnelle. Mais donner au détenu une telle image, répétée tout au long de son incarcération, pourra finalement le mener au désespoir d’être ce avec quoi on l’a comparé, même si au fond il ne l’est pas, vous comprenez ? […]

Une vie humaine n’est pas un jeu ou un numéro d’écrou, que l’on supprime comme on veut. L’état de droit est beau en théorie, mais la pratique est très loin du compte. Je vous écris tout cela à 2h du matin, face à la lune derrière les barreaux. Avec une phrase qui tourne dans mon âme : comment cela va finir ? Croyez-moi j’ai tout essayé, le dialogue, le bon comportement… Mais est arrivé un temps où j’ai compris que cela finit toujours pareil : répression, mensonge, etc.

Vous savez, cette société est trop individualiste pour accepter et croire que l’être humain peut évoluer en bien. Observer le monde d’une cellule est différent. La vision n’est pas la même. […] La cellule nous déconnecte du monde réel – seul l’esprit, l’âme est vivante. Le reste s’éteint : les sentiments, le toucher, la tendresse, la VIE ! Je ne me sens plus humain !

J’ai actuellement 31 ans et je rêve de la mort, de la plénitude, du silence, loin des jugements malsains de ces hommes et femmes. D’être jugé par mon Créateur, car Lui seul connaît l’Invisible et le Visible et détient la vérité de ce bas-monde comme de l’au-delà. Ma religion m’interdit le suicide, c’est pour cela que je respire encore. Mais elle n’interdit pas de me défendre. […]

Je suis dans cet établissement depuis deux mois. Je me sens en insécurité, que ce soit pour mon avenir comme pour mon intégrité physique et morale. Je laisse des traces écrites en espérant qu’elles puissent éclairer la sombritude de ce qui se passe derrière les murs des établissements carcéraux. »

Courrier reçu à l’OIP depuis la maison centrale d’Arles, en décembre 2024.

Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°125 : Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l’ombre de la prison