Premier du genre, l’Établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) du Rhône a ouvert ses portes en juin 2007, en périphérie de Lyon. Huit ans plus tard, cette prison qui avait pour objectif de placer « l’éducatif au cœur du projet » ne semble pas satisfaire à cet engagement.
Dune capacité de 60 places, l’EPM comporte sept unités de vie construites autour d’un grand terrain de sport. Chaque unité est de petite taille, le plus souvent dix places. Cinq d’entre elles sont réservées aux garçons, une unité comporte cinq cellules pour les filles et une cellule de protection d’urgence (en cas de crise suicidaire). L’établissement ne souffre pas de sur-occupation, contrairement aux EPM de La Valentine (Marseille) et Porcheville (région parisienne), souvent saturés. Au 1er février 2015, 35 mineurs étaient détenus à l’EPM du Rhône, soit une densité de 58,3 %. En 2013, la durée moyenne d’incarcération y était de 76 jours.
Comme toutes les prisons pour mineurs, l’EPM accueille une grande majorité de prévenus (85 % en moyenne). Les mineurs sont majoritairement à Meyzieu pour des faits de vols (62 % en 2013). Les faits de violences sont plus rares (16 %) tandis que les homicides ou meurtres concernent 5 % des détenus.
Un fort taux de personnels… aux cultures professionnelles différentes
Outre l’équipe médicale (environ 4 ETP), les enseignants (6,5 ETP), le personnel administratif et les salariés de l’entreprise de gestion déléguée, l’EPM emploie une soixantaine d’agents pénitentiaires qui se relaient 24h/24, et une quarantaine d’agents de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui interviennent en journée. Pour une moyenne de 32 mineurs. Le budget faramineux qui en découle a été pointé du doigt par un rapport du Sénat de 2011, puisque le coût d’une journée en EPM était alors évalué à 570 € par détenu, contre 111 € en quartier mineurs (1). Les EPM ont pour particularité le principe du travail en binômes éducateur-surveillant: un système qui fonctionne mal selon les personnels de la PJJ. Une éducatrice résume le problème en ces termes : « Le lien éducatif est la base de notre travail, et je trouve que l’AP freine ce lien, parce qu’au final c’est toujours l’AP qui a le dernier mot et qu’on est en permanence dans des guerres de terrain. » Auteurs d’une étude sur cette question, F. Bailleau et N. Gourmelon expliquent que « le temps éducatif est un temps long, celui du projet, de la transformation du jeune, de son insertion ; celui de l’administration pénitentiaire étant le temps présent : assurer la sécurité, le bon ordre dans la détention, gérer la peine au quotidien (2) ».
L’omniprésence de la surveillance et des temps collectifs
A l’ouverture de l’EPM, la semaine des jeunes comportait soixante heures d’activités, réparties en un tiers de cours, un tiers de sport et un tiers d’activités socio-éducatives. La majorité des mineurs passant par cette prison étant déscolarisée ou en échec scolaire, ce planning s’est avéré inadapté, les jeunes n’étant pas habitués à un tel rythme de vie. Le régime d’activités a vite été revu à la baisse, passant à un maximum de trente heures par semaine (hors week-end). L’occupation continue des mineurs à des activités collectives reste cependant sujette à questionnements, nombre d’intervenants déplorant l’absence d’autonomie laissée aux jeunes et l’omniprésence de l’équipe encadrante. Un psychiatre intervenant à l’EPM estime que « laisser la personne mieux décider de son environnement serait un acte de prévention fort » pour « diminuer les souffrances » des jeunes détenus, et notamment les passages à l’acte suicidaire. Un surveillant les réveille chaque matin à 7 h 15. Ils ont entre 30 et 45 minutes pour se préparer avant le petit-déjeuner. Au sein de chaque unité, les jeunes sont répartis en deux groupes, chacun alternant la prise de repas en collectif et en cellule. Du lundi au vendredi, la journée d’activité est répartie en six créneaux, de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 17 h 30. S’enchaînent alors les cours dispensés par l’Éducation nationale, les activités socio-éducatives, le sport et les entretiens avec les éducateurs. Le dîner est servi à 18 h 30 et la journée se termine à 20 heures par la « validation des effectifs ». Les détenus se retrouvent alors seuls en cellule et passent généralement le restant de la soirée à regarder la télévision, qui s’éteint automatiquement à 23 heures. Le règlement intérieur prévoit que « les personnes détenues qui n’ont pas d’activité dans la journée bénéficient d’une heure de promenade par jour ». Ce qui n’est quasiment le cas d’aucun mineur, si bien que la promenade quotidienne à l’air libre, de droit pour toute personne détenue, s’avère impossible à Meyzieu. Cette disposition, déjà dénoncée comme illégale en avril 2014 par l’OIP, n’a pas été modifiée.
Un suicide qui a marqué l’EPM
En février 2008, moins de huit mois après son ouverture, l’EPM de Meyzieu a connu le suicide de J.K., âgé de 16 ans. La prise en charge de ce jeune, qui avait commis quatre tentatives de suicide en l’espace de dix jours depuis son arrivée, a été fortement critiquée par la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS). Dans son avis, elle déplorait son placement plusieurs jours de suite « dans une cellule fenêtre bloquée, sans lumière, sans télévision ni activité ». Elle regrettait aussi le temps écoulé entre la demande de permis de visite déposée par le père de J.K. et sa délivrance, pointant le « sentiment d’abandon ressenti par ce mineur très perturbé qui n’a de fait reçu aucune visite de ses proches » durant la période des fêtes de fin d’année. L’ensemble des personnels a depuis reçu une formation à la prévention du suicide. Les tentatives de suicide restent fréquentes, mais aucun décès n’a été déploré. La réponse souvent plus sécuritaire que sanitaire aux comportements auto-agressifs continue néanmoins d’interroger. Ainsi en est-il du dispositif consistant à contrôler une fois par heure, pendant toute la nuit, que les jeunes repérés comme suicidaires ne sont pas passés à l’acte. La lumière de la cellule étant chaque fois allumée, le sommeil du détenu est perturbé, ce qui est « à double tranchant », reconnaît un agent. Les pratiques de sanctions interpellent également, par exemple lorsqu’une jeune fille suicidaire ayant inondé sa cellule et très agitée lors de l’intervention des surveillants a été placée au quartier disciplinaire.
Difficile maintien des liens familiaux
L’éloignement familial fait partie des principaux problèmes de l’établissement. « Les familles sont souvent dans des situations sociales précaires et viennent de loin, alors que l’EPM est difficilement accessible en transports en commun » constate un psychiatre. De la gare de Lyon-Part-Dieu, il faut compter environ 50 minutes de bus pour arriver à Meyzieu, à des horaires pas toujours compatibles avec ceux des parloirs. Sur place, aucun lieu d’accueil n’est prévu pour l’attente et l’information des familles. Dans un « état des lieux » de mars 2012, l’ancien directeur du service éducatif le signalait, sans qu’aucun changement n’ait été apporté depuis : « Concrètement les familles attendent dehors, quelles que soient les conditions climatiques, sans possibilité de se rendre aux toilettes, avec des parents qu’il faut convaincre de venir et qui viennent parfois de loin. » L’éloignement familial a plusieurs causes : non seulement l’EPM couvre une zone géographique très large (d’Aurillac à Chambéry), mais aussi des transferts de désencombrement ont régulièrement lieu depuis la région PACA, en raison du faible taux d’occupation à Meyzieu. Une partie des détenus sont ainsi originaires du Sud-Est de la France, ce qui implique de longs déplacements pour leurs proches et réduit le nombre de visites au parloir. Ces transferts sont en outre générateurs de violence, en raison de fortes rivalités entre les jeunes de Lyon et ceux de Marseille. Alors qu’il a passé sept mois à l’EPM entre mars et septembre 2013, Sam explique les difficultés auxquelles il a été confronté pour garder un lien avec ses proches habitant l’Isère : « Ça a mis trois mois et demi pour que ma famille puisse venir me voir alors que mes parents avaient fait la demande dès que je suis rentré à l’EPM. Et le permis a été refusé pour tous mes amis et pour mon frère. Ma mère venait me voir environ tous les quinze jours, parce que ça faisait loin pour 45 minutes de parloir. » Il raconte aussi qu’il ne téléphonait à ses parents « que tous les deux ou trois jours pour 10-15 minutes, parce que c’est trop cher, environ 80 centimes la minute quand on appelle sur un portable ». Il n’existe qu’une borne téléphonique par unité de vie, accessible uniquement entre la fin des activités et le dîner, sur un laps de temps très court.
Violences et réponses sécuritaires
La prépondérance de la violence verbale et physique, entre détenus, entre surveillants et détenus, est manifeste à Meyzieu. La construction de l’établissement en agora, avec un terrain de sport central et les sept unités de vie positionnées tout autour, permet aux jeunes de voir depuis les fenêtres de leurs cellules tous les mouvements de leurs codétenus. Cette situation accentue chez eux une tendance à invectiver depuis leur cellule toutes les personnes qui se déplacent dans l’établissement. Le même phénomène étant observé entre les cours de promenade, séparées l’une de l’autre par un grillage, l’administration pénitentiaire a décidé que le terrain de sport central ne serait quasiment jamais utilisé (3 à 4 fois par an). En 2010, des panneaux métalliques ont aussi été installés entre les différentes cours de promenade pour empêcher les jeunes de communiquer entre eux. Après avoir visité l’EPM, la députée Nathalie Nieson indiquait en octobre 2014 que si l’installation de panneaux « protège l’ensemble des mineurs et plus particulièrement les filles des divers cris, provocations ou insultes, [elle] a eu pour e et d’obscurcir les cours de promenade et de renforcer le sentiment de confinement que les jeunes peuvent y ressentir » (3). Ces panneaux ont également eu pour conséquence d’obstruer la vue des « cellules du rez-de-chaussée, qui donnent aujourd’hui sur du béton et du métal », déplore une éducatrice. Sans parler des caillebotis (grillages serrés) qui ont été installés aux fenêtres la même année que les panneaux métalliques. Les bagarres sont monnaie courante. L’intervention des surveillants est généralement musclée et se traduit souvent par un placement au quartier disciplinaire (QD), pour les plus de 16 ans. Le fait de pouvoir être observés par ceux restés en cellule peut aussi entraîner un phénomène de posture : « Par exemple, un jeune en altercation avec un surveillant va aller jusqu’au bout, quitte à être emmené de force au QD, pour ne pas montrer à ses codétenus qu’il a cédé », explique une éducatrice. Si des sanctions infra-disciplinaires, telles que les mesures de bon ordre (MBO), sont prononcées en cas d’infraction au règlement intérieur, le placement au quartier disciplinaire reste la sanction la plus fréquemment prononcée à l’EPM. Dès 2009, un rapport d’évaluation des Inspections des services pénitentiaires (ISP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (ISPJJ) indiquait pourtant que « le disciplinaire [à Meyzieu] est entièrement à repenser et à revoir, le recours à la mise en prévention et l’usage du QD doit être ré interrogé (4) ».
Des régimes différenciés
La direction de l’établissement a décidé de mettre en place des régimes différenciés au sein de deux unités de vie. Le « régime de responsabilité » appliqué à l’unité 6, est destiné « à accueillir les mineurs qui sont en capacité d’intégrer un collectif avec plus d’autonomie et de s’investir dans le travail éducatif ». Les repas y sont tous pris en commun (sauf si le détenu ne le souhaite pas), les jeunes peuvent participer à la préparation de certaines activités, et la TV est allumée jusqu’à une heure les week-ends et veilles de jours fériés. L’unité de prise en charge adaptée (UPECA) correspond à un autre régime, mis en place au sein de l’unité 7. Celle-ci propose un « accompagnement individualisé renforcé et sécurisant pour les mineurs en situation de fragilité au sein du groupe ou qui posent des difficultés dans le respect de l’autorité ou dans le cadre de vie en détention » indique le règlement intérieur. Seuls quatre mineurs peuvent y être placés, pour une durée maximale de trois semaines. En dehors des activités scolaires, ces jeunes sont extraits du groupe. En principe, ils partagent leurs repas et des temps de détente avec leur surveillant et leur éducateur, ce qui « leur permet d’avoir des discussions plus poussées, sans qu’ils subissent le regard des autres », indique une éducatrice. Et d’ajouter que ces aspects positifs se produisent rarement en pratique, les surveillants de l’UPE-CA étant souvent appelés dans d’autres unités de vie. En leur absence, les détenus ne peuvent sortir de cellule et doivent communiquer avec les éducateurs au moyen de l’interphone ou à travers la porte. Un placement à l’UPECA prend dès lors l’allure d’une sanction disciplinaire. C’est d’ailleurs « comme ça que les jeunes le considèrent et que les professionnels l’utilisent, c’est même dit ouvertement en réunion », reconnaît un agent. Le problème de l’utilisation de cette unité en guise de sanction était déjà pointé du doigt en septembre 2009 dans le rapport des inspections, qui recommandait de « mettre un terme immédiat aux mesures disciplinaires déguisées (mise au calme à l’UPCEI) », l’ancienne UPECA. En vain.
Amid Khallouf et Sarah Dindo
(1) J-C. Peyronnet, F. Pillet, Rapport d’information du groupe de travail sur l’enfermement des mineurs délinquants, Sénat, 12 juillet 2011.
(2) F. Bailleau, N. Gourmelon, « Le binôme éducateur surveillant dans les EPM : un compromis à risque pour l’action éducative », Les cahiers de la justice, septembre 2012.
(3) N. Nieson, Avis n°2267 fait au nom de la commission des lois, sur le PLF pour 2015, Assemblée nationale, 9/10/2014.
(4) Rapport conjoint d’évaluation ISP et ISPJJ de l’EPM de Meyzieu, septembre 2009.