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Espagne : l’enfermement a minima

En 2000, une nouvelle loi espagnole a été présentée en France comme la fin de l’incarcération des mineurs. En réalité, de nouveaux centres d’internement ont été mis en place. Leur utilisation représente néanmoins 2,5 % des mesures prononcées par les juridictions pour mineur – quand l’emprisonnement ferme représente 10 % des mesures et sanctions prises par les juges et tribunaux pour enfants en France (1). Mise à exécution par les services sociaux, cette privation de liberté ne saurait être comparée à une peine de prison, selon le professeur de la Cuesta.

Jose Luis de la Cuesta est professeur de droit pénal, directeur de l’Institut basque de criminologie et président honoraire de l’Association internationale de droit pénal

Une loi adoptée en 2000 a profondément réformé la justice des mineurs en Espagne. Pourquoi était-ce nécessaire ?

La législation remontait au début du XXe siècle et fonctionnait selon un modèle dit « tutélaire », mêlant intervention protectrice en direction des mineurs délaissés et intervention visant la « rééducation », en direction des mineurs délinquants jusqu’à 16 ans. Ceux-ci ne bénéficiaient d’aucune garantie procédurale. Les tribunaux tutélaires étaient des organes administratifs, la fonction de juge n’étant pas assurée par des magistrats professionnels. Des critiques se sont généralisées dès les années soixante, et plus encore avec la transition démocratique et l’adoption d’une Constitution en 1978. Il a cependant fallu attendre 1991 et une déclaration d’inconstitutionnalité pour qu’un premier texte soit adopté en urgence, annonçant une réforme plus profonde. Ce n’est qu’avec la loi organique 5/2000 régissant la responsabilité pénale des mineurs, entrée en vigueur en janvier 2001, que cet objectif a été atteint.

Quelles sont les grandes orientations de ce texte ?

Il affirme la notion de responsabilité pénale du mineur de 14 à 18 ans – en dessous de cette tranche d’âge, les auteurs d’une infraction pénale sont confiés aux services sociaux. La reconnaissance de cette responsabilité va de pair avec une intervention axée sur la rééducation et la resocialisation du mineur, dans une approche non punitive. La prédominance de la réponse éducative se traduit par la création d’une juridiction pour mineurs, dont tous les intervenants sont spécialisés, et la création « d’équipes techniques » présentes tout au long du processus judiciaire. La loi reconnaît aux juges une importante marge d’appréciation quant à l’opportunité des poursuites et des mesures à ordonner. Les solutions extra- judiciaires, en particulier la médiation, jouent un rôle très important, la majorité des dossiers passe par cette voie.

Quels sont la composition et le rôle des « équipes techniques » ?

Les équipes techniques doivent au moins comprendre des psychologues, des éducateurs et des travailleurs sociaux. Chacune des 17 communautés autonomes d’Espagne est libre d’inclure d’autres professionnels si elle l’estime nécessaire. L’équipe a un champ de compétence très large. En premier lieu, un rôle d’information et de conseil auprès du magistrat : lui apporter des éléments sur la situation du mineur, explorer les possibilités de conciliation/réparation, proposer le contenu et les objectifs de l’activité réparatrice qui peut amener à l’abandon du procès ou à mettre fin à l’exécution de la mesure en cours. Elle donne son avis sur l’application des mesures provisoires ou définitives, sur leur modification, substitution ou suspension. Elle peut aussi présenter des propositions pour interrompre le traitement du dossier, dans l’intérêt du mineur, si la réponse sociale est considérée comme suffisante ou si le fait de poursuivre est considéré inadéquat étant donné le temps passé depuis la commission des faits.

En France, il a été dit que l’Espagne avait renoncé à incarcérer des mineurs avec la loi de 2000. En quoi est-ce vrai ou faux ?

L’ancien système ne prévoyait pas non plus de prisons pour mineurs. Il s’agissait de centres qui n’étaient pas intégrés au système pénitentiaire, mais se caractérisaient par un régime correctif basé sur une discipline très stricte. À partir de la fin des années soixante-dix, ce système se trouvait dans un tel état de déliquescence qu’il n’était quasiment plus utilisé. L’internement en centre fermé tel qu’il fonctionne aujourd’hui est une privation de liberté. Mais ces centres ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire, il n’y a pas de surveillants pénitentiaires. Les personnels qui y travaillent sont des éducateurs, des psychologues… De l’extérieur, les bâtiments des centres fermés peuvent donner l’impression d’être similaires à une prison : ils sont entourés de hauts grillages, avec des personnels de garde. Mais le régime de vie est très différent du régime de détention des adultes. Il s’agit de petites unités, sans phénomène de massification. La programmation éducative est très accentuée. Les centres ouverts ou semi-ouverts sont très semblables à une habitation, en ville. Il peut s’agir d’un appartement, où les jeunes vivent avec un éducateur. Plus de 83 % des mesures d’internement sont exécutées sous ce régime.

Quelles autres mesures sont à la disposition de la justice des mineurs ?

Il existe une palette assez large. Le juge peut ordonner des soins, des activités en centre de jour, l’obligation de résider dans un centre pendant le week-end, la liberté surveillée (simple ou avec un suivi intensif ), le placement dans une famille d’accueil ou un groupe éducatif, des prestations au profit de la communauté, des tâches socio-éducatives, la privation du permis de conduire des cyclomoteurs ou des véhicules… La liste est longue, mais la plupart de ces réponses ne laissent pas une marge suffisante à l’imagination et l’on peut se demander si elles vont réellement aider à la responsabilisation du mineur.

Les mesures alternatives à l’enfermement sont-elles privilégiées par les juridictions ?

Les mesures d’internement en régime fermé représentent 2,5 % de l’ensemble des mesures prononcées. La mesure la plus fréquente est la liberté surveillée. En 2013, près de 24 000 mesures ont été prononcées, dont 9500 libertés surveillées, 4300 prestations au bénéfice de la communauté et 2945 mesures d’internement en centre semi-ouvert – pour 611 internements en centre fermé et 153 en centre ouvert. Alors que la délinquance baisse en Espagne, on constate néanmoins une tendance du législateur à durcir la réponse pénale, y compris à l’égard des mineurs. Notamment une loi de 2006, qui a étendu les possibilités d’internement en régime fermé, et allongé les durées. Cette orientation politique ne conduit pas pour autant à une augmentation de la répression en pratique : les chiffres sont stables depuis 2007, voire légèrement en baisse pour l’internement en régime fermé.

Dans quels cas les mineurs sont-ils envoyés dans un centre d’internement ?

Ordonné après la condamnation, l’internement en régime fermé reste une mesure exceptionnelle, seulement possible pour les infractions graves, ou celles commises avec violence, intimidation ou comportant un grand risque pour la vie ou l’intégrité. Il s’applique également aux infractions commises en groupe ou par des mineurs appartenant à une organisation. La durée de l’internement varie en fonction de l’âge du mineur, de la gravité et des circonstances de l’infraction. Il peut durer jusqu’à cinq ans, suivis d’une mesure de liberté surveillée assortie d’une assistance éducative pendant encore cinq ans, voire 10 ans pour des faits qualifiés de terrorisme commis par des jeunes de 16 à 18 ans. La mesure d’internement peut être également ordonnée avant le procès s’il existe des risques que le mineur cherche à échapper à la justice ou fasse pression sur la victime. Cela reste très exceptionnel. Ainsi, pour la communauté autonome du Pays Basque (2,2 millions d’habitants), on compte en 2013, 18 mesures d’internement provisoires, pour 104 fermes.

Quel est le contenu de la prise en charge des mineurs dans un centre d’internement ?

Les services sociaux sont chargés de l’exécution des mesures, qu’ils délèguent souvent à des institutions privées sans but lucratif. Chaque centre a ses caractéristiques. L’entité qui gère le centre présente au juge des mineurs un programme fixant le cadre dans lequel la prise en charge de chaque mineur s’insérera. Le quotidien est axé sur la resocialisation, par un accompagnement scolaire, des formations professionnelles, des activités de loisir. La dimension thérapeutique est importante, de nombreux psychologues interviennent, des programmes psycho-pédagogiques sont mis en place. L’entourage familial est également sollicité et impliqué dans des ateliers d’éducation socio-familiale. L’équipe technique de l’entité responsable reste présente et garde une voix très importante au sein des centres.

Les mineurs sont répartis en petites unités de huit à dix enfants, en fonction de leur âge et maturité, de leurs besoins et capacités sociales. Les possibilités de relations et de sorties à l’extérieur doivent être favorisées. Lorsqu’ils ont effectué un tiers de leur peine, les jeunes peuvent bénéficier de permissions de sortir pour une durée maximale de quatre jours consécutifs et sans dépasser douze jours par an, ainsi qu’une permission de week-end mensuelle. En régime ouvert, les permissions peuvent atteindre trente jours par semestre et tous les week-end.

Que se passe-t-il si un mineur ne respecte pas les règles du centre, ou s’il s’en évade ?

Les sanctions peuvent être la mise à l’écart du groupe (en cas d’agression, de violence ou de violation grave des règles du centre), la mise à l’écart pendant le week-end, la privation de permissions de sortir, la privation d’activités de loisirs, l’avertissement. On ne peut priver un mineur de ses droits à l’éducation, à recevoir des visites et à communiquer. Les sanctions disciplinaires peuvent être réduites ou suspendues au bénéfice de mesures de conciliation, de réparation ou la réalisation d’activités au bénéfice du centre. Si la violation du règlement est constitutive d’une nouvelle infraction, le jeune peut être présenté au juge. Et si un mineur s’évade, il est ramené au centre.

Suite à une visite en 2011, le Comité européen pour la prévention de la torture a dénoncé des mauvais traitements (gifles, coups, coups de pieds) infligés à des enfants par des agents de compagnies privées dans un Centre d’internement. S’agissait-il pour vous d’un cas isolé ou non ?

A ma connaissance, de tels actes ne sont pas fréquents. L’Institut Basque de criminologie évalue les centres de la communauté autonome du pays Basque, et nous n’avons pas rencontré d’incidents de cette nature. Les évaluations des centres d’internement sont généralement positives.

Quel type d’accompagnement est proposé au mineur au cours de la liberté surveillée consécutive à une mesure d’internement ?

L’internement se déroule en deux parties: une détention effective et une liberté surveillée, qui peut-être simple, ou avec supervision intensive. La liberté surveillée simple n’emporte pas de suivi particulier: il peut s’agir simplement de pointer au commissariat, et bien sûr de ne pas commettre de nouveau délit. La supervision renforcée peut comporter des obligations (de suivre une scolarité ou une formation), l’accomplissement de devoirs, le suivi de programmes thérapeutiques… L’équipe technique reste présente pour en définir les modalités et suivre l’exécution.

Recueilli par Barbara Liaras

(1) Infostats Justice n° 133, février 2015


La justice des mineurs moins sévère en Espagne

En Espagne, la justice des mineurs traite chaque année un nombre dérisoire de dossiers au regard des volumes absorbés par la justice française: quand les parquets français ont traité 176000 a aires pénales impliquant des mineurs en 2013, l’Institut national de la statistique espagnol en a enregistré 26000. Pour le chercheur Tomas Montero Hernanz, ces données doivent se lire à la lumière des facteurs démographiques (la population espagnole est inférieure de 18,5 millions à celle de la France), sociaux (délinquance en baisse de six points en dix ans) et juridiques (responsabilité pénale fixée à 14 ans, contre 13 en France). Sur ce total, le ministère public ibérique « décide de ne pas ouvrir de poursuites dans près de 10000 dossiers chaque année. Environ 8000 autres dossiers sont abandonnés en cours de route, si un processus de médiation a été finalisé », explique Tomas Montero. Les équipes techniques assistant les magistrats sont chargées de préparer et accompagner la médiation. Elle peut aboutir à une « conciliation » (présentation d’excuses, activités de réparation) ou à des activités éducatives (formation, prévention sanitaire…) si les efforts de conciliation n’ont pas abouti. Les magistrats espagnols sont néanmoins moins sévères que les français à l’égard des mineurs. Ils prononcent rarement des mesures provisoires avant jugement : dans la Communauté autonome du Pays Basque elles n’ont concerné que 3 % des dossiers et l’internement, 1,8 %. En France, 55 % des a aires dont le juge des enfants a été saisi font l’objet d’une mesure présentielle, qui est une détention provisoire dans 4 % des cas. Les juridictions espagnoles ont condamné 14 744 mineurs en 2013. Elles ont prononcé à leur encontre près de 24 000 mesures, dont 40 % de liberté surveillée et 18 % de travail d’intérêt général. L’internement en milieu fermé ne représente que 2,6 % des condamnations – quand l’emprisonnement ferme atteint 10 % de l’ensemble des mesures et sanctions prononcées en France.

Sources : Chiffres clés de la Justice 2014 ; Infostat Justice n° 133, février 2015 ; Tomas Montero Hernanz, Anuario de informacion sobre justicia penal juvenil, www.paip.es