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Freinages pénitentiaires

Craignant le discrédit jeté sur leur institution, les répercussions sur leurs évolutions de carrière, et ne percevant pas la nécessité pour les personnes détenues de pouvoir communiquer davantage, trois membres du bureau de FO-Direction* expliquent les réflexes d’auto-protection des personnels pénitentiaires.

* Valérie Mousseeff, Catherine Ehrlacher et Jimmy Delliste

Les directeurs pénitentiaires sont tenus de « respecter la règle du silence : ne jamais parler de rien, à personne », déplorait le 23 octobre 2012 un communiqué de votre organisation. Quels sont les contours exacts et les justifications d’une telle interdiction ?

Jimmy Delliste (J. D.): Les personnels de l’administration pénitentiaire sont sous statut spécial. notre code de déontologie nous astreint à une obligation de réserve: tout ce qui concerne la politique de prise en charge de la population carcérale et les conditions d’accueil entre dans ce champ. Nous sommes par contre autorisés, même plutôt invités, à communiquer sur nos actions d’insertion, les activités sportives, tout ce qui peut être valorisant. Dès que l’on touche aux conditions de détention, un dispositif d’auto-protection se met en place. Pourquoi ? Pour protéger tout ce qui a déjà été réalisé, ne pas entretenir un discrédit, très difficile à remonter. Tout ce qui a été réalisé depuis des années est souvent éludé. De plus, les discours régulièrement axés sur les difficultés de fonctionnement, ou simplement contre la prison génèrent une sorte de fédération des personnels qui se recroquevillent pour faire front, et du coup se protègent des positions avancées, même s’ils ne seraient pas forcément opposés à la discussion.

Notre administration reste très hiérarchisée, elle doit tenir les troupes pour assurer son fonctionnement, et la liberté de parole des uns et des autres est très difficile à maîtriser. Nous devons répondre à de nombreux organismes : l’Inspection des services pénitentiaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le défenseur des droits. Et c’est tant mieux. Plus nous serons contrôlés, plus les clichés tomberont, mieux nous corrigerons d’éventuels dysfonctionnements et pourrons avancer. Notre organisation syndicale a d’ailleurs été parmi les premiers signataires de l’appel visant à permettre aux parlementaires de venir avec la presse – aujourd’hui, même l’attaché de presse n’a pas le droit de rentrer. Nous souhaitons une transparence la plus totale.

Valérie Moussee (V. M. ) : La communication pose des enjeux extrêmement politiques. La presse s’empare de chaque événement survenant en prison, de chaque communication, qui peut avoir des échos en termes politiques, peut déstabiliser des établissements, car les personnes détenues ont également accès à l’information. C’est pour cette raison que cette centralisation existe.

Estimez-vous que les personnels pourraient être autorisés à s’exprimer plus largement sur leurs conditions de travail et sur la situation des prisons françaises ?

V. M. : Je suis persuadée que la politique globale de communication de l’administration pénitentiaire devrait être revue. Il faudrait notamment redonner une responsabilité aux chefs d’établissement, qui prennent des décisions très difficiles dans de nombreux domaines, touchant à des enjeux majeurs. Ils sont les mieux à même de connaître les difficultés de leur établissement, et il y aurait du sens à leur donner cette possibilité de communiquer.

J. D. : Je ne suis absolument pas opposé à ce que les personnels disposent d’un droit d’expression. Il existe néanmoins des freins d’auto-protection qui se mettent en place naturellement. si l’on souhaite évoluer dans ce métier, automatiquement, on préférera garder pour soi son sentiment plutôt que de se mettre en avant, voire en difficulté aux yeux des autorités hiérarchiques. nous ne sommes que 450 à 500 directeurs des services pénitentiaires. Les dispositifs d’évolution de carrière nous contraignent au « politiquement correct ». Nous sommes tenus d’être loyaux et mesurés vis-à-vis de notre administration centrale, du ministre, etc. Compte tenu de tous ces facteurs mais aussi du sentiment de solitude fonctionnelle du DSP, il est compliqué pour nous d’évoquer publiquement les problèmes de nos établissements, bien que nous le souhaitions parfois.

Les dispositifs d’évolution de carrière nous contraignent au “politiquement correct”.

Une interdiction symétrique s’impose aux détenus, interdits de s’exprimer individuellement dans les médias, collectivement à l’intérieur des murs. En quoi ces interdictions se justifient-elles ou sont-elles excessives à vos yeux ?

J. D. : On ne peut pas établir de parallèle entre les personnels de l’administration pénitentiaire et les personnes détenues. Ce n’est pas d’un côté on donne à lui, donc on me donne à moi. Sauf qu’avec le temps, on observe un certain glissement. Les surveillants ont pu comparer, parfois, les évolutions du côté de la population pénale et celles du corps des personnels de surveillance. Et constater que ces évolutions étaient plus rapides du côté de la population pénale alors que les contraintes les concernant s’accentuent. Cela étant clarifié, la communication avec les médias n’est pas possible pour les prévenus en raison du secret de l’instruction. Ils peuvent néanmoins communiquer par l’intermédiaire de leur avocat, quel que soit le sujet. L’ensemble de la population pénale peut d’ores et déjà saisir de nombreux organismes pour dénoncer d’éventuelles mauvaises conditions de détention. Tous les jours, des personnes sortent de prison et pourraient également dénoncer ces conditions de détention. L’expression offerte aux personnes détenues ne doit pas devenir un vecteur supplémentaire d’insécurité, un cadre rigoureux reste nécessaire. Le risque des actions collectives ou des pétitions, compte tenu de la population que nous hébergeons, c’est qu’une seule personne soit derrière, et contraigne d’autres à signer ou à participer.

Vous déplorez dans le même communiqué « les sarcasmes, les quolibets, les injures » que subissent les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Des propos insultants sont également réguliers de la part d’organisations syndicales à l’égard des détenus. Comment expliquez-vous la violence des discours et débats dans le monde pénitentiaire ?

J. D. : Nous exerçons un métier très difficile. La recrudescence des violences, sur le personnel, entre détenus, crée un ras-le-bol qui s’exprime parfois avec maladresse. Lorsqu’une surveillante se fait tirer par les cheveux par terre, se fait agresser, des papiers sortent avec parfois des mots très directs, une forme d’exutoire. Les personnels dans leur immense majorité ne sont pas formés pour appréhender au quotidien ces situations de plus en plus chroniques.

Catherine Ehrlacher (C. E.) : La prison est un monde violent. Les agents ont pour consigne de se contenir, de ne pas répondre, mais à un moment, il faut que ça sorte.

V. M.: De plus, la communication autour de la prison se fait beaucoup autour de l’événement, avec sensationnalisme, et jamais sereinement sur des débats de fond. La prison ne laisse personne indifférent, les opinions sont toujours très tranchées.

Plusieurs études établissent un lien entre le manque de canaux d’expression, le peu de considération accordée à la parole et aux demandes des détenus, et la violence en détention (agressions, automutilations, mutineries…). Qu’en pensez-vous ?

V. M. : Des canaux d’expression existent. Tous les jours, en tant que directrice adjointe, je reçois un nombre considérable de courriers de personnes détenues. Les chefs de détention également. Il n’y a pas d’informatique ni de blogs, mais en interne ils peuvent demander énormément de choses. Et on leur répond. J’ai été récemment saisie par des détenus du quartier d’isolement se plaignant de ne pas avoir autant de temps de promenades que la détention. Nous leur avons accordé raison, et revu le système de promenade.

Seriez-vous favorables à la mise en place de comités de détenus, représentants qui seraient consultés par l’AP pour les décisions concernant la vie quotidienne en détention, ou à la mise en place d’autres systèmes de prise en compte de la parole des détenus ?

J. D. : De tels dispositifs existent dans les établissements pour peine, ce n’est pas récent – ils existent à St Martin, j’en ai connu à Val de Reuil. Nous avions des temps de parole avec la population pénale, nous faisions le point, échangions sur des sujets, sur des projets, parfois même sur des questions sensibles d’application des peines, nous demandions au JAP de venir. La loi pénitentiaire a rappelé la nécessité de ces consultations, qui devront être développées. Mais nous devons rester vigilants. Les établissements pénitentiaires, surtout les maisons d’arrêt, connaissent une concentration de phénomènes de violence, de clans, de trafics. Comment faire en sorte que ceux qui vont prendre la parole, être les représentants des autres, ne seront pas ceux qui auront mis la main sur une autre partie de la population pénale dans l’établissement, pour les réduire encore un petit peu plus à néant ? La plus grande prudence est de mise.

C. E.: Les profils sont terriblement différents, les personnes détenues ne se sentent pas du tout concernées par ce qui se passe pour le voisin, d’ailleurs beaucoup le disent : « Moi, je ne suis pas comme eux. » Comment ferait-on une expression collective de personnes qui ne se reconnaissent pas en l’autre ?

Le Conseil de l’Europe et le Contrôleur général prônent aussi un allègement des contrôles sur les communications des détenus avec l’extérieur, ainsi que l’accès à des moyens aujourd’hui prohibés (téléphone mobile, courrier électronique). De telles évolutions pourraient-elles être envisagées en France ?

J. D.: Il faudrait que nous disposions d’établissements plus petits, différenciés, permettant d’adapter un parcours d’exécution de peine à l’évolution de la personne. Lorsque cette différentiation existera, on pourra commencer à réfléchir à des évolutions de ce type, à l’ouverture vers l’extérieur. Aujourd’hui, le dispositif oblige à appliquer la règle strictement sécuritaire à l’ensemble de la population pénale. Il faut bien évidemment que l’on réfléchisse, que l’on vive avec son temps, des choses vont évoluer. Il y a trente ans, les détenus n’avaient pas de télévision, ils l’ont aujourd’hui. Ça a fait un tollé à l’époque, les surveillants étaient furieux… Aujourd’hui, aucun ne voudrait l’enlever. Demain, on peut très bien imaginer qu’une frange de la population pénale identifiée, dans un type d’établissement bien identifié, dispose d’un peu plus de liberté, c’est le sens de l’Histoire.

Propos recueillis par Marie Crétenot et Barbara Liaras