Boxes de 2 m² avec muret de séparation entre détenus et visiteurs, manque d’hygiène, attente interminable, mesures de sécurité parfois absurdes… Alors que la loi prévoit depuis 2009 la généralisation des parloirs familiaux préservant l’intimité, ceux de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes demeurent d’un autre âge.
« “Bienvenue au centre pénitentiaire de Fresnes. Vous souhaitez joindre le parloir ou les permis de visite, tapez 1”. Je tape 1. “Vous souhaitez avoir des renseignements sur les permis de visite, tapez 1. Vous souhaitez joindre le parloir, tapez 2”. Je retape 1. “Bonjour, vous êtes en communication avec le centre pénitentiaire de Fresnes. Votre appel est en attente, veuillez ne pas quitter” », récite la mère d’un détenu. Attente. Le poste demandé ne répond pas. Retour au standard. « Composez le 1 pour un autre poste, le 9 pour la boite vocale ou le 0 pour le standard. Au 9, impossible de laisser un message. Bienvenue au centre pénitentiaire de Fresnes… Et c’est reparti ! Je raccroche. »
Comme dans la plupart des prisons, le rendez-vous pour le premier parloir doit impérativement être pris par téléphone. Et la ligne de réservation n’est ouverte que pendant deux heures, trois jours par semaine. « J’ai appelé pendant deux jours, sans arrêt. Personne au bout du fil. Le troisième jour, j’ai eu quelqu’un qui m’a dit que les permis n’étaient pas arrivés », témoigne la mère d’un détenu récemment transféré à Fresnes. « On m’a dit de téléphoner à la prison d’où il venait pour demander le transfert des permis. Au final, ça a pris une dizaine de jours pour que j’aie un parloir. » La compagne d’un autre raconte : « Un matin, j’ai pris mon fixe, mon téléphone du boulot et mon portable, pour appeler avec plusieurs téléphones en même temps. A huit heures trente, je commence. Au bout de dix minutes, ça coupe. Je rappelle. Ça sonne occupé. J’entame un double appel pour augmenter mes chances. Au bout d’une heure et demie j’ai réussi à avoir quelqu’un. » Une visiteuse aguerrie conseille : « Il faut appeler le numéro d’un autre secteur de la prison, et demander à la personne de vous transférer au service des parloirs. Ça va plus vite. » A l’issue du premier parloir, une carte est remise au visiteur, qui pourra ensuite prendre des rendez-vous pour les quinze jours suivants à la borne électronique située à l’entrée de la maison d’arrêt.
« Presque une journée pour 30 minutes de parloir »
Du lundi au vendredi, les visites ont lieu à 14h ou 15h30, pour une durée de 45 minutes. Le samedi, les quatre sessions de parloirs sont réduites à 30 minutes, entre 9h et 15h. Entre le temps de transport, d’attente avant et après la visite, et les horaires en semaine, une compagne de détenu explique la difficulté « de concilier un emploi et le parloir. Je m’y rends en voiture, il me faut une heure mais je pars toujours en avance, au cas où il y aurait un problème sur la route. Il faut prévoir presque une journée. » Une autre prend les transports en commun avec ses deux enfants. « Trois bus différents, je mets environ une heure trente pour venir, autant pour rentrer. » Les visiteurs doivent se présenter à l’entrée 45 minutes avant le début du parloir pour les différents contrôles. Les personnes arrivées en avance peuvent attendre dans un local géré par l’association d’accueil des familles (ADFA). « C’est accessible pour mon mari handicapé, il y a une salle de jeux pour les enfants. Eau, café, gâteaux, gentillesse et conseils aux nouveaux visiteurs », raconte la mère d’un détenu. L’association fournit des informations sur la réglementation des parloirs, des sacs pour le linge, fait la monnaie pour les casiers, assure la garde des enfants, prête des vêtements ou chaussures de rechange si on sonne au portique… Mais au mois d’août, ce lieu est fermé et rien n’est prévu en remplacement.
D’attente en attente
Le parcours vers les parloirs commence dans une grande salle avec des bancs et des casiers pour déposer ses affaires. « Là, l’atmosphère change », confie une mère, « beaucoup de monde, beaucoup de tensions ». En fonction des surveillants, l’accueil peut être « correct » ou « glacial ». Il faut traverser « un sas fermé avec des sortes d’hygiaphones pour parler aux surveillants qui contrôlent les sacs de linge et les pièces d’identité ». Ensuite, les visiteurs passent un par un sous le portique de détection de métaux. « Puis on attend à nouveau dans un couloir, et les familles entrent petit à petit. Les surveillants contrôlent les pièces d’identité et vous remettent le permis de visite. » Vient une seconde salle d’attente, « de 15 mètres sur 15, sans aération, avec des petites fenêtres en hauteur, d’une capacité de soixante personnes environ. Il y a énormément de gens qui parlent en même temps », dit la compagne d’un détenu. « Par les ouvertures, on ne voit que des murs. » Une autre visiteuse tempère : « C’est plus avec l’attente que j’ai du mal, c’est lourd. » A 13h45 la porte s’ouvre et les visiteurs accèdent au couloir menant aux trois divisions. « Il est très, très long. On a l’impression d’être dans un couloir de métro. » Une fois arrivés en division, « vers 13h55, ils nous enferment dans le parloir et nous attendons que les détenus arrivent ». Soit plus d’une heure après l’arrivée des visiteurs. Du côté des détenus, un ancien prisonnier de Fresnes témoigne : « Nous descendons au rez-de-chaussée, où un surveillant pointe notre arrivée et reçoit les paquets de linge sale. Il indique à chacun quel sera son numéro de cabine et l’envoie en salle d’attente, hormis les isolés et certains des travailleurs qui poireautent dans des espèces de placards vitrés très exigus. » La fin du parloir « est annoncée par un surveillant d’une voix forte, et commence l’ouverture des portes de notre côté. Les visiteurs eux, restent sur place, toujours enfermés. Les détenus ressortent, plus ou moins vite. Beaucoup essaient de grappiller quelques minutes, quelques secondes de plus avec les leurs. » Les familles reprennent ensuite le parcours inverse jusqu’à la sortie, une demi-heure après la fin du parloir.
Des parloirs minuscules, sales, avec dispositif de séparation
Les parloirs se déroulent « dans des boxes avec dispositif de séparation », à savoir concrètement un muret entre la personne détenue et son visiteur. Le principe du parloir sans dispositif de séparation est pourtant la norme depuis une circulaire de… mars 1983. Une note de la direction de l’administration pénitentiaire l’a rappelé en mai 2014, ordonnant la « destruction des murets subsistant » dans certains établissements. En outre à Fresnes, « il n’y a pas de fenêtre, les parloirs ne sont ni aérés ni ventilés » (Agence régionale de santé, 2007). Le manque d’hygiène est source d’inquiétude pour nombre de visiteurs. « Le muret de séparation, je n’ai jamais vu ça, il est poisseux. Vous vous rendez compte qu’on y va avec des enfants ? » Pour la compagne d’un détenu, « les couloirs ça va, les salles d’attente c’est dégueulasse, ça sent l’humidité et le chlore, on dirait des caves ». Dans un courrier à l’OIP, un proche de détenu raconte : « L’autre jour, il y avait une fuite d’eau, ça suintait, et il y avait une dame dans le parloir du fond où le sol était inondé. Alors qu’il y avait d’autres boxes libres. »
Quand les visiteurs se plaignent, l’administration leur rétorque que le ménage est fait. Et indique, dans son rapport d’activité 2013 que « l’entretien régulier par la remise en peinture des parloirs familles, plus particulière en ce qui concerne les cabines abîmées, favorise les conditions de rencontre des personnes détenues avec leurs proches ». Un point de vue non partagé par les nombreux visiteurs qui adressent leurs plaintes à l’OIP. « En seconde division, les parloirs sont pourris. Pas d’autre mot pour décrire leur état. Ça pue l’urine de rat. Il y a des mouches énormes, la peinture s’écaille et se colle sur nous. Même un cochon doit avoir une meilleure porcherie. Ils disent qu’on peut venir à trois mais moi qui y vais avec mon fils nous n’avons pas de place, et je n’ai pas le droit de prendre des jouets pour l’aider à patienter. »
Les cabines sont effectivement très petites (à peine plus de 2 m²), et scindées en deux par le muret de séparation « recouvert d’une tablette de bois, dont les cicatrices prouvent qu’elle a beaucoup vécu, et sur laquelle on peut poser les coudes quand on est assis de part et d’autre », décrit un ancien détenu. « Pour vous donner une idée de la largeur du box, si vous mettez votre épaule droite contre le mur, vous ne pouvez pas étendre complètement votre bras gauche. Vous avez tout juste la place de vous asseoir. Mon tabouret touche la porte de derrière et mes pieds sont contre le muret qui me sépare de mon mari. Lui, sa partie est encore plus petite, et comme il est grand il doit s’asseoir en biais », témoigne la femme d’un détenu.
Jamais l’impression d’être seuls ensemble
« Au parloir, c’est sonore. On entend tout et on voit ce qui se passe dans les autres cabines, à travers les portes vitrées. » Les détenus et leurs visiteurs n’ont aucune intimité, les surveillants circulant derrière les portes vitrées des cabines. « Ils s’arrêtent et regardent de gauche à droite. On a toujours l’impression qu’ils nous soupçonnent de quelque chose. » « L’autre jour, j’ai entendu une femme d’un box à côté se mettre en colère vis-à-vis d’un gardien qui les regardait avec insistance », raconte la mère d’un détenu. « C’est vrai qu’ils font leur boulot, mais ce n’est pas très digne, et on n’est jamais tranquilles, on n’a jamais l’impression d’être seuls ensemble. » La maison d’arrêt de Fresnes fait en effet partie des nombreuses prisons (162 sur 190) n’étant toujours pas dotées de parloirs familiaux permettant les visites à l’abri du regard d’autrui et dans des conditions respectant l’intimité. Au-delà du malaise lié à la surveillance constante, les proches de détenus se plaignent du fait que « les surveillants parlent entre eux dans les couloirs. Pendant la coupe du monde ils n’ont pas arrêté de scander des chants de foot pendant les trois quarts d’heure du parloir, on avait du mal à se concentrer ».
Des chaussures et soutiens-gorges ne passent pas le portique
Les dispositifs de contrôle confinent parfois à l’absurde. « Le portique, ça sonne beaucoup trop », explique une visiteuse. « J’ai essayé plein de chaussures différentes pour trouver une paire qui ne sonne pas et les garder une fois pour toutes, mais ça sonne encore régulièrement. Et pour le soutien-gorge c’est pareil. On vous demande d’aller aux toilettes pour l’enlever. Après, il faut se promener avec son soutif à la main devant les autres, pour aller le mettre dans le casier. » Habituée du parloir, une femme évoque les fouilles policières : « Pour les familles, tous les six mois à peu près il y a une fouille avec un chien. S’il s’arrête devant vous, on vous emmène pour une fouille par palpation. »
Pour les détenus, les fouilles à nu après le parloir sont source de tensions constantes, alors qu’elles ne doivent plus être systématiques depuis 2009. Dans son rapport d’activité, la direction indique que « la question des fouilles intégrales des personnes détenues a fait l’objet d’une réforme profonde » et que « depuis le 1er juillet 2013, il n’est plus procédé à des fouilles intégrales systématiques de l’ensemble des personnes détenues à l’issue des parloirs ». Pendant plus d’un an, la direction a ignoré une décision du tribunal administratif de Melun ayant déclaré illégales les pratiques de fouille à nu à Fresnes. Si la mesure semble ne plus être appliquée systématiquement, les plaintes continuent d’affluer à l’OIP : « Une seule fois en un an, avec trois parloirs par semaine, mon mari n’a pas eu de fouille à nu. »
« Dans les autres prisons, on vous autorise de grands sacs pour le linge »
La question du linge revêt une importance particulière dans les propos des familles. Les visiteurs déposent le linge propre en arrivant au parloir, et récupèrent celui à laver à l’issue du parloir. Première source de récriminations : l’absence d’informations claires sur ce qui est autorisé et interdit. « Les consignes changent d’un surveillant à l’autre », explique une jeune femme, « on repart souvent avec du linge refusé. » La note d’information aux familles du règlement intérieur ne donne aucune indication sur le nombre de vêtements qu’elles peuvent déposer. Il est juste précisé que sont autorisés le linge de corps, de toilette, et des « vêtements divers : vestes, pantalons, survêtements, blousons, etc. ». « A Fleury, on vous donne une liste où est spécifiée, par type de vêtement, la quantité autorisée. Là, selon le surveillant, on me laisse entrer parfois une seule serviette, parfois trois. » Des serviettes de toilette dont la taille maximum autorisée est de 1,20 mètre à Fresnes, 1,30 m à Osny et 1,50 à Bois d’Arcy… La taille des sacs plastique pour le linge, non précisée dans le règlement intérieur, fait également l’objet de plaintes. « Dans les autres prisons, on vous autorise de grands sacs fermés pour amener du linge. Ici, ce sont des petits sacs ouverts » qui, selon le règlement intérieur, ne doivent pas « être trop remplis » afin d’éviter « la perte de linge ». « Vous ramenez quoi ? Deux pantalons, un short et une serviette, c’est tout. Et ils empilent les sacs. Difficile de se dire que vous mettez du temps à plier les vêtements, les ranger pour qu’ils gardent l’odeur de chez vous, vous mettez du parfum, puis vous voyez les surveillants tout déballer, fouiller et remettre tout n’importe comment dans le sac. Le détenu les récupère comme si c’était du linge sale. Et si les sacs se renversent, les fringues peuvent se retrouver chez un autre. A Fleury, vous signez la liste des vêtements, et le détenu également », raconte la compagne d’un détenu. « Ici, rien. »
Par François Bès, OIP-SF
167 000 visiteurs à Fresnes en 2013
Inaugurée en juillet 1898, la maison d’arrêt de Fresnes vient d’entrer dans sa 116ème année. Près d’un million de personnes y ont été détenues depuis son ouverture. Six mille personnes y entrent chaque année. La surpopulation y est endémique. Au 1er juillet 2014, 2 368 personnes pour 1 404 places étaient détenues dans le quartier maison d’arrêt. Ce surencombrement « pose des difficultés tant au niveau des conditions matérielles de détention (les personnes détenues peuvent être jusqu’à trois dans des cellules de 9 m²) qu’au niveau de l’accès au parloir, aux activités socioculturelles et sportives, au travail, à la formation, à l’enseignement et aux soins somatiques et psychiatriques en détention » (rapport d’activité 2013). Les visites au parloir s’y organisent tant bien que mal. En 2013, « 167 447 visiteurs » se sont rendus à Fresnes, « pour 66 979 rendez-vous au parloir. Selon les jours, ce service peut accueillir de 200 à 250 personnes venant visiter les personnes détenues » (rapport d’activité 2013).
La DAP somme les directeurs d’appliquer l’interdiction des murets aux parloirs
D’une hauteur de 80 cm environ, ils se dressent entre le détenu et son visiteur. Les murets sont pourtant interdits dans les parloirs des prisons depuis une circulaire de mars 1983. Leur existence est « en contradiction avec l’article R.57-8-12 du code de procédure pénale » pris en application de la loi pénitentiaire de 2009, rappelle la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) dans une note de mai 2014. Et de citer une circulaire de février 2012, indiquant que « les visites se déroulent dans un parloir qui ne doit comporter aucun dispositif de séparation » et que « les personnes visitées doivent pouvoir, par exemple, étreindre leurs visiteurs ». Des textes de 1983, 2009 et 2012… qui ne sont toujours pas appliqués dans l’ensemble des prisons. A Tours, Bois-d’Arcy ou Fresnes, la destruction des murets n’a jamais eu lieu. Ces dispositifs de séparation ont même été mis en place dans des établissements construits après la circulaire de 1983 : par exemple Laon et Bapaume (1990), Toulouse-Seysses (2003) ou Lille-Sequedin (2007). Dans sa nouvelle note, la DAP somme les directeurs « d’assurer sans délai le respect des dispositions réglementaires, soit en détruisant les dispositifs de séparation », soit « si la destruction n’est pas possible rapidement pour des raisons d’ordre architectural », en autorisant « que ces murets soient franchis ». Elle répond ainsi à une source d’incidents récurrents : il arrive que détenus ou visiteurs enjambent le muret, ou s’assoient dessus. Si une certaine tolérance des surveillants est parfois observée, ce n’est pas toujours le cas. Familles ou détenus se plaignent parfois de rappels à l’ordre, voire de poursuites disciplinaires et de suspensions de permis de visite en cas de franchissement du muret. La logique voudrait d’ailleurs que ces procédures ou suspensions de permis soient annulées, à l’heure où la DAP rappelle l’importance du maintien des liens familiaux, un « droit pour toutes les personnes détenues réaffirmé par la loi de 2009 ».
Note DAP du 21 mai 2014, « Destruction ou autorisation du franchissement des murets subsistant dans les parloirs »