Après 45 ans d’existence, le Genepi a annoncé sa dissolution, le 2 août dernier. L’association d’étudiants, qui intervenait en prison sous la forme d’ateliers socioculturels et d’activités de soutien scolaire, composait depuis plusieurs années avec deux versants d’un même projet : l’action en détention dans le cadre d’un partenariat avec l’Administration pénitentiaire et la défense d’un discours critique à l’égard de l’institution. Jusqu’à ce que l’équilibre se rompe.
L’annonce de la dissolution du Genepi, le 2 août, par voie de communiqué, a fait l’effet d’une bombe sur les réseaux sociaux. Plusieurs générations de génépistes s’y sont émues de la disparition de cette association dans laquelle elles avaient oeuvré, pendant plus de quarante ans, à « bâtir un pont entre le dedans et le dehors » et « éveiller les consciences sur les réalités carcérales ». Il faut dire que le ton adopté par ses autrices avait de quoi heurter. « C’est comme si elles faisaient un gros doigt d’honneur à plus de quarante années d’histoire collective et d’efforts pour tenter de changer les choses », s’offusque Gabrielle Ripplinger, ancienne présidente de l’association. Mais en assénant notamment qu’« aucune remise en cause du pouvoir étatique et des systèmes de domination maintenus par le même pouvoir n’est possible sans risquer de se voir retirer les ressources financières », ce communiqué n’en soulevait pas moins d’importantes questions de fond : peut-on avoir un pied en prison, être partenaire de l’administration, tout en critiquant librement l’institution et les politiques publiques en matière pénale et pénitentiaire ? Sous quelles conditions ? Et est-il possible d’intervenir en prison tout en imposant ses propres principes et limites éthiques ? Il apparaît, à cet égard, particulièrement éclairant de revenir sur la façon dont s’est opéré le divorce entre le Genepi et l’administration pénitentiaire (AP). C’est en effet la rupture, entre 2018 et 2019, du partenariat la liant à l’administration qui – en emportant avec elle la fin de l’action en détention du Genepi – a véritablement scellé le destin de l’association.
Chronologie d’une rupture
« La prison nuit gravement à la société. » C’est ce slogan, adopté par le Genepi lors de sa campagne de recrutement de bénévoles à l’automne 2016, qui met le feu aux poudres. En réaction, le directeur de l’administration pénitentiaire refuse l’invitation de l’association à sa traditionnelle Journée prison justice (JPJ), raout annuel réunissant de nombreux acteurs de ce microcosme. Dans la foulée, le bureau de l’association est convoqué à la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) qui signale qu’elle « ne peut cautionner » ce slogan et avertit que « si le message de l’affiche est celui que l’association souhaite véhiculer, le maintien du partenariat est difficilement envisageable »(1). En février 2017, une rencontre est organisée avec le directeur de l’administration pénitentiaire, Philippe Galli, qui rappelle ses attentes à l’égard de l’association. Tenue légalement d’assurer un certain nombre d’heures d’activités aux personnes détenues, la Dap « cherche des partenaires qui s’inscrivent dans la durée ». Et qui, surtout, sauront « s’adapter » au nouveau tournant sécuritaire pris par le ministère de la Justice dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Présence de caméras ou de surveillants lors des ateliers, écoutes, fouilles sont amenées à se développer en même temps que le renseignement pénitentiaire, prévient Philippe Galli. Enfin, à propos des « nouvelles orientations » prises par l’association, il pointe, sous forme de mise en garde : « C’est au Genepi de se positionner, de savoir si l’administration pénitentiaire est l’ennemi du Genepi, celui qu’il faut abattre ou non, puisqu’on ne mord pas la main qui vous nourrit. »
Un mois plus tard, la Dap passe des menaces aux actes en annonçant une coupe drastique de sa subvention, qui s’élève désormais à 30 000 €, contre plus de 50 000 € auparavant. Elle justifie alors cette décision par la « baisse régulière des actions mises en place par l’association », qui serait « en partie liée à son souhait de ne plus intervenir dans le cadre de l’accompagnement scolaire et ce, malgré la volonté de l’administration pénitentiaire de maintenir ce type d’action ». Une orientation pourtant prise bien des années auparavant par l’association, que celle-ci était même parvenue à faire inscrire, au terme d’âpres négociations, dans la convention pluriannuelle signée par les deux parties(2). Mais ce sont aussi – surtout ? – ses « prises de positions actuelles concernant le milieu carcéral », jugées « en contradiction avec le maintien d’un partenariat loyal, transparent et de confiance », qui sont ainsi sanctionnées par la Dap. L’association en appelle alors au garde de Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui rétablit la subvention en avril 2017. Mais un an après, alors que la convention pluriannuelle touche à sa fin et que les négociations auraient dû commencer, l’administration pénitentiaire oppose à l’association son silence. Ce n’est qu’en septembre que le Genepi est finalement convoqué par la Dap, qui lui annonce alors que la convention ne sera pas renouvelée. Dans un article du journal Libération du 29 octobre, le ministère argue à nouveau d’un « désengagement du Genepi » qui se manifeste par « une baisse de plus de 80% de l’activité ». Mais ce sont aussi les prises de position publiques de l’association qui sont encore une fois visées. Il faut dire que le ton s’est radicalisé. Avec un communiqué titré « L’État enferme, la prison assassine », elle franchit en février 2018 un cap supplémentaire dans sa critique de l’institution : « Par la phrase “la prison assassine”, nous entendons aussi qu’elle a pour mission de briser les individus, leur corps et leur esprit », écrit notamment l’association. « Le Genepi développait des thèses qui sont très hostiles à la politique publique que nous conduisons », explique Nicole Belloubet sur France Inter, le 5 novembre 2018. Au-delà des attaques « frontales », elle pointe des oppositions de fond : ces thèses « allaient même jusqu’à lutter contre la mise en place de régimes de confiance »(3), précise-t-elle.
Mais la campagne de soutien au Genepi qui s’organise médiatiquement fait, avec d’autres interventions plus confidentielles sans doute, fléchir la ministre. Le 15 novembre 2018, le principe d’une nouvelle convention est acté. « La négociation commence », communique alors l’association. Mais l’administration pénitentiaire est bien décidée à imposer ses vues. Les termes de la convention que l’OIP a pu consulter(4) démantèlent un à un les acquis arrachés par l’association au fil des ans : outre la suppression de la subvention, le principe d’indépendance du Genepi est, entre autres, gommé du préambule de la convention. Exit les « activités socioculturelles et sportives » : il n’est plus question que « d’actions d’accompagnement et de soutien scolaire ». Le contrôle, par l’administration pénitentiaire, sur le contenu des activités proposées par l’association est en outre renforcé. La Dap aurait même tenté in extremis d’imposer une clause lui « donnant un droit de surveillance sur [les] prises de parole et de position » du Genepi qui aurait « facilité la possibilité de mettre un terme au partenariat »(5) – clause que l’association parviendra à faire retirer. Il n’empêche, la nouvelle convention proposée entérine une immense régression pour le Genepi. Mais refuser de signer entraînerait la fin de l’action en détention, une responsabilité que le bureau de l’association n’est alors pas prêt à porter, surtout après avoir mobilisé tout le petit monde justice-prison. Aussi, « la volonté, le réflexe est de conserver le Genepi coûte que coûte », se souvient Claire Van den Bogaard, qui y a occupé, de 2007 à 2019, une fonction salariée(6).
Mais dans les rangs de l’association, les dents grincent. Lors de son assemblée générale de 2019, les militants renient cette convention. Et, considérant que les conditions d’intervention imposées par l’administration pénitentiaire violent les principes éthiques portés par l’association, ils votent l’arrêt de l’action en détention. Officiellement vidée de son principal objet, celui qui faisait venir à elle et s’engager chaque année des centaines d’étudiants, l’association court sans le savoir à sa perte. « En fait, la mort du Genepi a eu lieu avec l’arrêt de l’action en détention, mais ça, on ne le comprend vraiment qu’aujourd’hui, témoigne un militant. À partir de là, le Genepi n’avait plus vraiment d’identité, ça devenait juste une étiquette qui nous collait aux basques. » Contrainte – ou désormais libre, selon les points de vue – de se réinventer politiquement, le Genepi, qui s’affirmait depuis déjà quelques années résolument abolitionniste, se redéfinit comme « association féministe et anti-carcérale qui lutte contre tous les systèmes d’enfermement ». Mais la dissonance est trop grande entre ce nouvel objet et l’héritage porté dans le nom du Genepi. « On a changé son essence, mais on gardait un nom. C’était comme un fantôme », estime encore ce militant. Vue sous cet angle – et sans pour autant nier la charge politique qu’y ont mise les autrices du communiqué – la dissolution de l’association semblait inéluctable. Et apparaît rétrospectivement comme le point final de la lutte qui a opposé l’association et l’administration pénitentiaire ces cinq dernières années.
Des désaccords anciens
Mais cette dernière « passe d’armes » s’inscrit en réalité « dans près de deux décennies de dégradation du partenariat historique qui liait le Genepi et l’administration pénitentiaire »(7), analyse le sociologue Corentin Durand. Avec, de part et d’autre du rapport de force, « une association qui affirme son indépendance critique et une administration qui cherche à l’intégrer à son action ». Aussi, d’après ce chercheur, c’est « la transformation de la gestion publique », au début des années 2000, qui est à l’origine de cette dégradation. « Le principe est simple, explique-t-il. Une bonne gestion des deniers publics se doit d’associer chaque euro dépensé à des indicateurs chiffrés, eux-mêmes liés à des objectifs des politiques publiques. Pour l’administration pénitentiaire, les subventions accordées à des associations doivent obéir à la même logique. »
« L’un des grands enjeux quand je suis arrivé au bureau du Genepi – et qui durait déjà depuis quelques années – c’était le ratio des activités de soutien scolaire par rapport aux activités culturelles, sportives et de loisirs, se souvient Maxime Gouache, président de l’association entre 2010 et 2011. L’administration, elle-même de plus en plus soumise à des logiques managériales tentait de nous imposer des indicateurs les plus contraignants possibles, avec une majorité de scolaire. » Rapidement, « les indicateurs descriptifs deviennent prescriptifs », relève Corentin Durand, pour qui « le partenariat prend de plus en plus la forme d’une délégation de service public ». Or, c’est précisément ce à quoi s’oppose le Genepi depuis les années 1980 : se voir contraint de se substituer au service public en palliant les manques de l’Éducation nationale en détention.
Parallèlement, la loi pénitentiaire de 2009 entre en vigueur. Deux points cristallisent les craintes du Genepi à l’époque : l’obligation d’activité inscrite à l’article 27 et la question de la différenciation des régimes de détention. « Les activités allaient devenir centrales, à la fois comme outil de différenciation des régimes de détention (les activités seraient réservées à ceux qui se comportent bien) et dans le parcours d’exécution des peines (la participation à des activités favorise l’obtention de réductions de peines). Or, le Genepi refuse de rentrer dans ces deux logiques », rappelle Maxime Gouache. En 2010 déjà, l’association menace de cesser toute activité en détention si on l’oblige à s’y plier. « Dès le début, on met au centre des discussions que l’on ne souhaite pas être prestataire et participer à l’exécution de la peine. En face, on nous rit au nez : “Vous voulez être quoi ? À partir du moment où vous entrez en détention, vous participez nécessairement à l’exécution de la peine”. » L’occasion d’une crise de conscience pour l’association qui se décide, après de nombreuses années de tergiversation, à modifier ses statuts. Plus question de « collaborer à l’effort public en faveur de la réinsertion » : l’objet de l’association devient le « décloisonnement de la prison en établissant un lien entre les détenus et le monde extérieur » et « l’information et la sensibilisation de la société civile aux problématiques du champ prison-justice ». « Un changement qui ne sera jamais vraiment compris par l’administration pénitentiaire », estime Maxime Gouache.
Les années qui suivent, le ratio d’activités de soutien scolaire reste au cœur des négociations. « L’AP souhaitait toujours que ce soit dominant, nous voulions renverser le rapport », raconte Matthieu Quinquis, membre du bureau en 2013 et 2014. L’association – qui depuis 1981 et son opposition aux lois Peyrefitte(8), avait toujours revendiqué une parole critique – jouissait selon lui encore à l’époque d’une certaine liberté de ton, même si elle se savait surveillée. « Il y avait toujours sur la table un Passe-Murailles(9) surligné et annoté. On nous en faisait la lecture commentée : “Attention, ça ce n’est pas très objectif”, ou “Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas…”. Ils nous faisaient comprendre qu’ils étaient attentifs, qu’il ne fallait pas qu’on se sentent entièrement libres. Mais jamais on ne nous a menacés de nous couper les vivres ou de rompre le partenariat. Parce qu’ils tenaient à nos interventions : le Genepi, c’étaient des centaines bénévoles et autant d’autorisations d’entrées chaque année, ça leur générait un boulot de dingue à tous les échelons. Mais ces milliers d’heures d’activités ne leur coûtaient quasiment rien par rapport aux intervenants qui facturent leur prestation. C’était très rentable pour tenir leurs objectifs », rappelle Matthieu Quinquis.
Sur le terrain cependant, les relations peuvent être plus tendues. « La convention nous liait et nous obligeait à un certain nombre d’heures. Mais localement, nous faisions souvent face à des chefs d’établissements très réticents à nous laisser entrer. À certains endroits, fin décembre, nos bénévoles n’avaient toujours pas obtenu leurs laisser-passer. Ça devenait de plus en plus difficile d’intervenir, et chaque année, les équipes en place se demandaient si elles n’allaient pas être les fossoyeuses de l’association », raconte Yves Januel, vice-président entre 2012 et 2013. L’année 2015 marque à cet égard un tournant. À la suite des attentats, la politique sécuritaire monte encore d’un cran, l’administration se referme. « Dans certaines prisons, le mois de mars arrivait et nous n’avions toujours pas les laisser-passer », raconte Gabrielle Ripplinger, présidente entre 2015 et 2016. Parallèlement, l’administration pénitentiaire fait de la « lutte contre la radicalisation » une priorité, à laquelle le Genepi refuse de s’associer. Les conditions toujours plus sécuritaires imposées par l’administration heurtent l’association dans ses principes. C’est dans ce contexte que les groupes locaux de Bordeaux, Toulouse et d’Île-de-France décident, bien avant que ce choix ne soit fait au niveau national, de cesser d’intervenir en détention. Et que l’association votera, lors de son assemblée générale de 2017, l’adoption de « limites basses », sorte de « lignes rouges » que l’association se fixe de « ne pas franchir : la présence de dispositifs d’écoute et de vidéosurveillance dans les salles d’ateliers, la pratique de fouilles à nu après les ateliers, la présence de listes d’appels ou tout autre système “du bâton et de la carotte” dans lequel s’inscrirait contre son gré le Genepi. »(10)
Tous facteurs confondus, le nombre d’heures réalisé diminue drastiquement en 2015, une érosion qui se confirme les années suivantes. « Je pense que l’administration pénitentiaire attendait depuis très longtemps de pouvoir mettre le Genepi dehors. Mais à partir du moment où le nombre d’heures a diminué, on a perdu en force, en poids face à elle », analyse Maxime Gouache. Jusqu’à atteindre un point de bascule, précipité par les mutations idéologiques en cours dans l’association.
Mutations idéologiques
Si, à en croire les différentes générations de génépistes interrogées, le Genepi a toujours compté dans ses rangs des partisans de l’abolitionnisme carcéral, ce courant était toujours resté minoritaire. En 2016, sa présidente Gabrielle Ripplinger expliquait dans nos colonnes : « Beaucoup de génépistes sont abolitionnistes. Mais adopter officiellement cette position ne serait pas tenable. Le fait que l’on dépende financièrement de l’AP nous contraint aussi nécessairement : on doit souvent faire le grand écart entre le discours institutionnel et le discours militant. Tant qu’on en reste au niveau de critique auquel nous sommes actuellement, c’est conciliable. Mais on ne peut pas aller beaucoup plus loin sans remettre en cause notre intervention en détention. On se trouve à la croisée des chemins. »(11) De fait, en 2017, la tendance s’inverse avec la raréfaction des ateliers en prison. « Ce qui faisait que les gens s’engageaient au Genepi, c’était l’action en détention. On recrutait comme ça des gens aux profils extrêmement variés. Mais moins on intervenait, moins on attirait à nous de bénévoles, plus le poids des abolitionnistes – même s’ils ne représentaient que quelques dizaines de personnes – grandissait », analyse-t-elle aujourd’hui. Et l’un entraînant l’autre, les « militants qui s’engageaient les dernières années étaient de plus en plus anticarcéraux », rapporte Claire Van den Bogaard. La question de la fin de l’action en détention – qui a de tous temps traversé l’association – devient alors centrale. Si jusqu’alors, l’idée que le Genepi tirait sa légitimité à critiquer l’institution de son action sur le terrain (« on n’attaque jamais mieux que lorsqu’on connaît les choses de l’intérieur », résumait Gabrielle Ripplinger en 2016), le refus de « collaborer au système » est devenu plus fort. « Quand je suis arrivée, beaucoup de militants avaient ce souhait d’arrêter l’action en détention pour ne pas contribuer au maintien du système carcéral. Le choix a été fait de se recentrer sur l’action de sensibilisation », confirme ainsi Éloïse, chargée de la communication de l’association à partir de 2017.
Finalement, l’origine de la fin de l’action en détention, comme celle du divorce entre l’association et l’administration pénitentiaire, semble se trouver à la conjonction de la rigidification de la politique de l’administration pénitentiaire et du durcissement des positionnements du Genepi – l’une alimentant l’autre. Aussi la dissolution de l’association interroge-t-elle « la possibilité de la subvention publique d’un projet associatif indépendant qui ne prenne pas la forme de l’achat d’une prestation », souligne Corentin Durand. À cet égard, les termes du partenariat en train d’être noué entre l’association Rebond, née des cendres du Genepi, et l’administration pénitentiaire, seront sans aucun doute riches d’enseignements.
par Laure Anelli
Jeux et enjeux d’un partenariat fondamentalement déséquilibré
Si la dissolution du Genepi n’a surpris personne dans le microcosme des associations intervenant en prison, la fin du partenariat liant l’association à l’administration pénitentiaire (AP) a, elle, « pas mal remué. Ça nous a forcés à réinterroger nos propres relations avec l’administration et à nous repositionner sur nos engagements », souffle une représentante associative – preuve que le sujet est sensible, presque aucune des personnes que nous avons interrogées n’acceptera de le faire à « découvert ».
Le 20 juin 2019, une rencontre du Groupe national de concertation prison (GNCP) – qui réunit les principales associations intervenant ou gravitant autour de la prison – s’était justement tenue pour débattre des enjeux du partenariat avec l’administration pénitentiaire. À la base des discussions, un constat : il existe « une inégalité de principe entre les associations et l’Administration pénitentiaire ». Pour la plupart d’entre elles (Emmaüs, Secours catholique, La Croix rouge, Médecins du Monde, La Cimade, Les Petits frères des pauvres,etc.), l’action en détention ne représente qu’une part infime de l’activité globale. Et lorsque celle-ci donne lieu à subvention publique – ce qui n’est pas toujours le cas – le poids de cette dernière est relativement minime dans les ressources globales des structures, si bien que leur survie n’y est pas conditionnée. Néanmoins, « notre spécificité à tous, c’est notre dépendance à l’AP : financement ou non, nous ne pouvons entrer en détention qu’avec son accord », relevait l’une des participantes à la réunion.
Pour cette raison ou parce qu’elles affichent, par principe, une posture de neutralité vis-à-vis des pouvoirs publics, aucune d’entre elles ne porte publiquement de discours critique à l’égard de l’institution. Et lorsque des communiqués ou tribunes sont signées par certaines d’entre elles, ces derniers portent généralement davantage sur des orientations de politique générale que sur des dysfonctionnements du système carcéral*. Tout juste se permet-on des « recommandations » sur des sujets précis, auxquelles on prend soin de « mettre les formes », précise une participante à la réunion du GNCP.
Si des critiques plus frontales sont émises, elles le sont dans le cadre feutré des bureaux. « Lors de nos réunions avec la Dap [direction de l’administration pénitentiaire], on ne se censure pas », assure un responsable associatif. « On est même parfois plus incisifs face à l’administration que face à nos bénévoles », renchérit une autre. Mais ces critiques ne dépassent généralement pas le périmètre des actions menées sur le terrain. Et quand des problèmes sont dénoncés, l’administration se réserve le droit d’y donner suite ou non, comme de définir la façon d’y répondre. « Nous avons fait part de limites observées sur certains projets que nous portions. Mais nous n’avons pas été associés aux réflexions qui ont suivi. L’administration a fait les choses de son côté et nous a mis devant le fait accompli. On sait d’ores et déjà que la solution proposée ne résoudra pas le problème de fond », regrette une représentante associative.
Aussi, la frontière entre partenaire et prestataire est parfois ténue, surtout pour l’administration. « La Dap a tenté de nous imposer des objectifs chiffrés, sur un projet sur lequel on ne perçoit aucun financement en plus ! », rapporte un autre. La crainte d’une instrumentalisation est très largement partagée. « Les actions associatives permettent de colmater un système en déroute. C’est un pansement qui lui permet de se maintenir. On s’attaque rarement au cœur du problème », admet ce responsable associatif. Lors de la réunion du 20 juin 2019, une participante concluait : « L’intervention des associations permet à la prison de continuer à exister avec ses défauts. Ou d’apporter des changements. C’est un débat. »
* Voir par exemple « En finir avec la surpopulation carcérale : après l’espoir déçu, les citoyens appelés à se mobiliser », mai 2021. Communiqué notamment signé par l’ANAEC (Association nationale des assesseurs extérieurs en commission de discipline des établissements pénitentiaires) ; Auxilia ; le CASP ARAPEJ (Centre d’action sociale protestant – Association réflexion action prison et justice) ; La Cimade ; Courrier de Bovet ; Secours catholique/Caritas France.
(1) Compte-rendu interne au Genepi de l’entretien avec Marine Bardet, sous-directrice des missions de la Dap, 19/01/2017.
(2) Voir notamment la Convention pluriannuelle d’objectifs mai 2015-avril 2018.
(3) Ces « régimes de confiance », basés sur un principe de ségrégation, reposent sur un système de carotte et de bâton, qui consiste notamment à réserver des conditions de détention plus humaines et certaines activités aux « bons » détenus. « Modules Respect : quand innovation rime avec ségrégation », Dedans Dehors n°95, mars 2017.
(4) Il s’agit d’une version intermédiaire, mais ces grands axes ont semble-t-il été repris dans la version finalement signée. Lire notamment « La chancellerie rouvre les prisons aux étudiants du Genepi », Le Monde, 20 février 2019.
(5) « Fin de l’action en détention pour le Genepi », communiqué daté de septembre 2019.
(6) Claire Van den Bogaard était rédactrice en chef de la revue Passe Murailles, bimestriel édité par l’association.
(7) AOC, « Prisons : autopsie contradictoire de la dissolution du Genepi », 13 septembre 2021.
(8) Lire notamment « Les membres du Génépi condamnent la politique pénitentiaire actuelle », Le Monde, 10 mars 1981. (9) Revue bimestrielle éditée par le Genepi.
(10) « Fin de l’action en détention pour le Genepi », communiqué du Genepi, septembre 2019. Lire aussi « L’intervention en détention, une action politique : le Genepi adopte des limites basses ».
(11) « Agir dedans, militer dehors… dans certaines limites », Dedans Dehors, n°91, avril 2016.