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« Il faut valoriser nos actions dans un discours politique »

En marge des calendriers électoraux, Emmaüs France réfléchit à la manière de s’inscrire dans un mouvement de transformation sociale. « Incorrigible optimiste », son président Thierry Kuhn évoque ici quelques pistes.

Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser aux politiques carcérales et à les relier à la thématique des inégalités sociales ?

Thierry Kuhn : Le premier compagnon accueilli par l’Abbé Pierre était un ancien bagnard, il l’a aidé à créer la première communauté en 1949. Les sortants de prison étaient déjà considérés comme toute autre personne en situation d’exclusion – sans logement, sans emploi, sans papiers – sur le principe de l’accueil inconditionnel. Dans les communautés, on accueille aujourd’hui des personnes en semi-liberté, en peines alternatives, notamment en TIG. Il y a aussi ce constat : en ce moment, on oublie qu’il y a moins d’insécurité qu’il y a quelques décennies et on criminalise la misère, on « soigne » les difficultés psychiatriques par la prison. Le problème, c’est que lorsqu’on sort de prison sans accompagnement, il y a plus de 60 % de récidive. On doit mieux l’expliquer aux citoyens : la prison va à l’encontre de la sécurité.

Comment porter ces questions dans le débat public, toucher des personnes qui ne sont pas encore mobilisées ?

Nous portons deux projets de fermes d’insertion, celui de Moyembrie, en Picardie, et un autre en cours de lancement dans le Sud- Ouest. Emmaüs a toujours fonctionné comme ça : d’abord on fait et on montre que ça marche, ensuite on essaye de mutualiser des initiatives de terrain pour faire naître d’autres idées et faire avancer le droit. Nous avons aussi organisé un « meeting de la société civile » le 22 janvier, pour les dix ans de la mort de l’Abbé Pierre. L’idée était de dire que la politique, c’est trop sérieux pour la laisser aux seules mains des politiques. Que les citoyens portent des solutions très concrètes sur l’économie, l’emploi, le logement, l’accueil des migrants, les prisons, et qu’il serait temps de s’en saisir. C’était l’idée de l’appel « Nous sommes le monde de demain »* : nous sommes des acteurs de transformation sociale qu’il faut mettre en réseau. Il faut s’inspirer les uns les autres, valoriser nos actions dans un discours politique. Il faut qu’on arrête de chercher l’homme providentiel. Aujourd’hui, c’est nous tous qui sommes porteurs d’avenir. Certes, il y a aussi des contre-courants qui sont très costauds…

Mon appel aux jeunes, c’est de ne pas abandonner leurs rêves, leurs ambitions collectives.

D’après vous, quels sont les modes d’action à privilégier pour agir sur ces questions ?

Chez Emmaüs, on a été un peu les précurseurs de l’économie circulaire mais sans le conscientiser au départ. On est la preuve vivante que l’on peut prendre des initiatives et devenir un mouvement non pas caritatif, mais de transformation sociale. C’est l’ambition qu’on doit avoir et on en a les moyens. Un exemple : j’ai été invité dans une ville de Bretagne où des jeunes en BTS « Métiers de la mode » ont organisé un défilé avec des textiles provenant de vêtements récupérés par Emmaüs. Ils ont conjugué leur savoir-faire, leurs rêves et une action de solidarité. Autre exemple : à Calais, une vieille dame a accueilli chez elle des migrants pour leur permettre de recharger leurs téléphones portables. C’est ce genre d’initiatives simples, hors de toute structure associative, qu’il faut mettre en avant pour donner l’idée à d’autres. La condition, c’est de se regrouper et de s’imposer au niveau médiatique, et là-dessus il y a du chemin à faire. Peut-être que c’est nous qui sommes devenus trop timides. Les gens, en particulier les jeunes, ont besoin d’absolu, de projet de société fédérateur, de radicalité. Certains peuvent être tentés par les offres de radicalité islamiste ou d’extrême droite. À nous de porter autre chose. Dans l’appel, on parle « de radicalité humaniste et fraternelle ». On a voulu inspirer les politiques, mais c’est surtout aux citoyens qu’on souhaite s’adresser. Mon appel aux jeunes, c’est de ne pas abandonner leurs rêves, leurs ambitions collectives.

Recueilli par Sarah Bosquet

* Écrit par un collectif d’associations et de syndicats et publié dans Libération le 20 janvier 2017.