Si le placement sous surveillance électronique d’un père de famille affecte nécessairement le quotidien de ses enfants, les contraintes parentales ne sont pas toujours prises en compte dans la définition des horaires de sortie. Quitte à reporter sur l’autre parent, le plus souvent la mère, une surcharge de travail.
« Les enfants ont pris l’habitude des horaires : ils ont intégré dans leur rythme ce que je pouvais faire à telle heure ou pas », témoigne Lucas, actuellement sous bracelet électronique dans le Nord et père de deux adolescents. La surveillance à domicile se répercute inévitablement sur la vie de famille – et les déplacements de la personne condamnée étant restreints, de nombreuses tâches incombent mécaniquement à l’autre parent. « Ma femme s’occupe des réunions au collège, elle amène les enfants au sport le soir en semaine et le samedi matin. Moi, j’essaie de faire ce que je peux à distance », explique Lucas. La balise, qui ne doit surtout pas être déplacée ni débranchée, peut aussi devenir un objet de tensions, a fortiori avec des enfants en bas âge. La venue d’agents pour la paramétrer ou les sonneries intempestives de l’alarme, parfois en pleine nuit, sont autant de facteurs d’angoisse.
La famille doit s’adapter à la peine, pas nécessairement l’inverse. « Ma situation familiale n’a absolument pas été prise en compte au moment de fixer les horaires de mon bracelet. La juge m’a demandé mes horaires de travail, une attestation de mon employeur, et mon temps de trajet. Elle ne m’a pas demandé si je m’occupais de mes enfants, s’ils faisaient des activités à côté, leurs horaires, etc. », témoigne Lucas. Interrogés à ce sujet, la plupart des professionnels acquiescent : « Quand le Jap accorde un placement sous surveillance électronique, il l’adapte en priorité aux obligations professionnelles, sans forcément prendre en compte les obligations familiales », confirme Eneko Etcheverry, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation (Dpip) en milieu ouvert à Saint-Denis et membre de la CGT Insertion Probation.
La vie de famille n’est cependant pas toujours ignorée. « Pour des personnes sous bracelet sans enfants, on sera beaucoup moins souple sur les horaires de sortie le week-end, par exemple, alors qu’une personne avec enfants aura des plages de sortie plus larges. Et on peut accorder des élargissements ponctuels, pour participer à une activité extra-scolaire ou assister à une compétition », expose Frédérique Iragnes, juge d’application des peines (Jap) à Marseille. « On fait en sorte que le bracelet n’entrave pas la paternité, on élargit pour ces motifs-là, dès lors qu’on a des justificatifs », abonde un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) en Bretagne. Une souplesse dont n’a en tout cas pas bénéficié Lucas : la juge en charge de son dossier n’a pas pris en compte les activités de ses enfants au moment de fixer les horaires du week-end. Et à ce jour, il n’a pu bénéficier d’aucune extension ponctuelle, pour se rendre par exemple à des réunions parents-professeurs ou amener ses enfants à diverses activités.
Modifier les horaires pour raisons parentales : une procédure plus longue
Il faut dire que de telles demandes, pourtant assez régulières selon Valentine Dousseau, Cpip en milieu ouvert à Saint-Denis et membre de la CGT Insertion Probation, peuvent s’avérer longues à traiter pour les services d’application des peines (Sap). Depuis une dizaine d’années, les Dpip peuvent recevoir des magistrats une délégation de signature leur permettant d’accorder eux-mêmes certaines modifications d’horaires, pour répondre plus rapidement aux contraintes rencontrées par les personnes sous bracelet. Mais ces délégations concernent avant tout les demandes liées au travail, à la santé ou aux convocations par la justice. « Dans notre ressort, le protocole signé localement n’inclut pas les questions liées aux enfants, alors même que nous avons un Sap assez ouvert sur ces questions », témoigne ainsi Eneko Etcheverry. En conséquence, toutes les demandes d’adaptation d’horaires liées à des contraintes parentales doivent être examinées par le Jap, qui doit également solliciter l’avis du parquet. « Ce n’est donc pas traitable au jour le jour, regrette le Dpip. Cela finit parfois par entraîner des incidents, qui sont justifiés a posteriori, pour un enfant malade à amener chez le médecin ou autre ». « Pour l’instant, je touche du bois, je n’ai jamais eu d’urgence à gérer, souffle Lucas. Mais j’ai toujours été très clair avec ma Jap : si je reçois un appel des urgences pour mes enfants, peu importe l’heure, je ne réfléchis pas, j’y vais. Elle a quand même tenté de me dire qu’il fallait que je demande la permission avant ! Mais je lui ai dit non : la priorité, ce sera mes enfants. »
Pour les deux professionnels de Saint-Denis, ces extensions d’horaires contribuent pourtant à la réussite des mesures de placement sous surveillance électronique. « Des situations de conflit peuvent être créées dans les familles, à force de ne pas pouvoir “prendre l’air” quand les tensions sont importantes. Les mesures trop restrictives, qui ne prennent pas en compte les autres enjeux, la famille, les enfants, entraînent des incidents et donc des échecs », soulignent Eneko Etcheverry et Valentine Dousseau.
Ces derniers constatent que les pères sous bracelet, comme les professionnels, ont intériorisé le fait que les questions liées à leur paternité passaient au second plan : « Quand nous recevons les personnes au début de la mesure, nous les mettons nous-mêmes en garde en disant que les premiers temps, les demandes de modification d’horaires valent uniquement pour des raisons professionnelles, et que les demandes concernant les enfants ne sont pas prioritaires. Tout le monde finit par l’intégrer. Les pères finissent par se censurer, et par faire porter au second parent les obligations liées à la parentalité. »
par Charline Becker
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°121 – Décembre 2023 – « Ils grandissent loin de moi » : être père en prison