Samra Lambert, secrétaire permanente du Syndicat de la magistrature (SM), plaide pour des politiques de juridiction volontaristes en faveur du placement à l’extérieur. Pour l’ancienne juge de l’application des peines (Jap), cette mesure incarne une justice collaborative et centrée sur le parcours de la personne condamnée. Aux antipodes des automatismes d’un système tourné vers l’emprisonnement.
En quoi le placement à l’extérieur se distingue-t-il particulièrement des autres aménagements de peine ?
Samra Lambert : Le placement à l’extérieur permet de réunir un plateau collaboratif autour de la personne suivie. C’est ce à quoi on aspire dans les autres aménagements, sans réussir à le mettre en place. Mais ce grand avantage est vu par certains comme un inconvénient, parce que collaborer demande forcément du temps. Aujourd’hui, sans même parler des vacances de postes, la charge de travail des juridictions est telle que la masse écrase tout effort d’individualisation. Les requêtes des personnes détenues étant examinées bien au-delà des délais légaux, l’urgence fait qu’on les voit souvent le temps d’une audience, sans prendre le temps de travailler sur leur parcours. Or le placement à l’extérieur est une mesure individualisée, et s’il n’est pas préparé en amont, il n’est pas accordé en aval.
Outre ce facteur temps, pourquoi le placement à l’extérieur est-il si rarement prononcé ?
Aujourd’hui, toute la procédure pénale est orientée vers la prison. Dès qu’une personne est interpellée, son parcours est envisagé sous l’angle d’une seule question : prison ou pas prison, éventuellement bracelet électronique. Il faut sortir de cette automaticité – et c’est ce que permet le placement à l’extérieur, justement parce qu’il nécessite un temps de construction, d’échange avec la personne, pour faire du sur-mesure. Mais pour en prononcer davantage, on manque de politiques de juridiction engageant tous les acteurs dès le début de la procédure. À Melun, par exemple, quand le parquet a la main sur les auteurs de violences intra-familiales, il envisage le placement à l’extérieur parce qu’un partenariat en ce sens a été mis en place. Mais c’est un cas exceptionnel. On ne peut pas faire dépendre le recours à cette mesure de la motivation particulière d’un parquet ou d’un service de l’application des peines.
Le prononcé simultané de la culpabilité et de la sanction, dans le procès pénal, ne permet pas non plus de mettre en valeur le placement à l’extérieur. Nous appelons de nos vœux une césure qui donnerait du temps pour réfléchir à la réponse la plus appropriée. Mais on nous oppose là aussi le même argument : un report, ce sont des dossiers qui rentrent et ne sortent pas. C’est ce qui arrive quand on pense le traitement judiciaire de la personne interpellée en termes de stock et non de parcours individuel.
Le ministère de la Justice affirme encourager le recours au placement à l’extérieur, avec un groupe de travail et une plateforme dédiés, un budget en hausse… Quel regard portez-vous sur cette dynamique ?
Pour l’instant, l’affichage n’est pas suivi d’une véritable politique en faveur des structures d’accueil de placement à l’extérieur. La loi de finances 2023 a fait progresser le budget, mais cela reste dérisoire comparé au financement d’autres mesures, à commencer par le bracelet électronique. Plus généralement, les réformes qui se sont succédé pour permettre au président d’audience d’aménager les peines ne se sont pas accompagnées du temps nécessaire pour engager un partenariat avec les autres acteurs, comprendre comment mieux prononcer ces aménagements et les mettre en œuvre. Cela rend le placement à l’extérieur un peu abstrait, sauf quand une politique de juridiction l’encourage. La question n’est pas de savoir comment faire. L’exemple de certaines juridictions montre que quand on y met les moyens, le placement à l’extérieur fonctionne très bien. Cela demande avant tout des ressources et du lien entre les acteurs locaux. Ce qui suppose que les Spip et les magistrats puissent dégager du temps pour se concentrer sur le but de la justice, sans être aspirés par la politique du fait divers.
Concrètement, comment mobiliser les juridictions autour du placement à l’extérieur ?
L’idéal, c’est quand tous les acteurs de la juridiction sont formés ensemble : du parquet au Spip en passant par les forces de l’ordre et les différents juges compétents. Tout le monde comprend mieux la nature du placement à l’extérieur, le travail nécessaire en amont, le public que l’on peut orienter… Cela permet de réfléchir conjointement à la mise en œuvre de la mesure, par rapport au tissu associatif existant et aux difficultés de la juridiction. Quand j’ai pris mon premier poste à Montargis, on n’y faisait pas de placement à l’extérieur. Il n’y avait pas eu de Jap pendant deux ans, donc aucun travail n’avait été engagé auprès des structures d’accueil. Une jeune Dpip [directrice pénitentiaire d’insertion et de probation] volontariste est arrivée peu après moi et mon binôme de l’exécution des peines s’est elle aussi mobilisée, si bien que nous avons rapidement été solliciter les associations, échanger avec elles. Le problème, c’est que cela part de volontés individuelles. Pourtant, dégager du temps pour ce travail partenarial, c’est essentiel pour rendre une justice de qualité : ce n’est pas superflu, c’est essentiel à notre office. Et tout ce travail que nous faisons en tant que Jap, nous en rendons compte à la juridiction et il sert aussi aux magistrats de la correctionnelle, aux parquetiers… Cela rassure à la fois les associations et le Spip de savoir que toute la juridiction est mobilisée pour le placement à l’extérieur. Chacun trouve sa juste place et peut travailler plus sereinement. Et cela rassure aussi la personne suivie, quand tout le monde est tourné vers son parcours sur mesure.
Dans le climat politico-médiatique actuel, certains magistrats craignent-ils de prononcer une mesure dépourvue de dispositif de contrôle physique ?
Oui, malheureusement. La prison reste la peine de référence, alors que les textes la définissent comme l’exception. L’idée que la peine doit faire mal est très ancrée, elle résulte de l’ensemble du système pénal actuel. Certains considèrent donc qu’un suivi impliquant plusieurs acteurs n’est pas vraiment une peine, mais plutôt de « l’assistanat ». Même s’ils finissent par prononcer des placements à l’extérieur, des magistrats réticents vont par exemple fixer des horaires restrictifs, de façon à matérialiser une contrainte – alors que la structure d’accueil impose déjà son règlement intérieur. Avec l’idée que si l’on a déjà accordé un peu de confiance à la personne suivie en prononçant un placement à l’extérieur, il n’en faut pas trop non plus.
D’après votre expérience de Jap, le placement à l’extérieur est-il le plus souvent prononcé pour des personnes cumulant les difficultés de tous ordres, ou peut-il concerner un public plus inséré ? Avez-vous observé un biais de sélection en faveur des « détenus modèles », comme pour d’autres aménagements ?
Comme on connaît généralement trop peu de structures de placement sur la juridiction, on tend effectivement à privilégier les profils qui en ont le plus besoin. Ou ceux chez qui l’on a identifié des problématiques multiples, sachant qu’être placés à proximité d’un Csapa [centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie] ou d’un Pôle emploi, par exemple, leur sera profitable. Pour une personne au parcours un peu plus inséré, le bracelet électronique reste le moins compliqué à prononcer à l’heure actuelle, même si ce n’est pas toujours l’aménagement le plus adapté. Par ailleurs, l’idée que seules les personnes « méritantes » pourraient bénéficier d’un placement à l’extérieur reste en effet prégnante. Alors que la logique de cet aménagement n’est pas de récompenser un « mérite », mais de répondre aux problèmes spécifiques évalués chez une personne.
Propos recueillis par Johann Bihr
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine