Éditorial de la revue Dedans-Dehors n°80
Affirmer « Ils sont nous », c’est un cri de résistance devant le raz de marée de la pensée du bannissement. Parce qu’ils n’ont pas respecté la loi commune, il faudrait les entasser dans des prisons à l’écart des villes, placer chacun de leurs gestes sous surveillance panoptique, les humilier afin qu’ils éprouvent la condition de victime.
Parce que « la prison voudrait nous faire croire que l’homme qu’elle contient ne nous ressemble plus »(1). Et qu’elle y parvient. Parce qu’il peut être insupportable d’admettre que le clair et l’obscur existent en chacun de nous. Parce que les clichés et stigmatisations sont tenaces et viennent souvent justifier l’immobilisme politique. Un statu quo prenant la forme de prisons surpeuplées, d’atteintes persistantes à la dignité, de construction de nouvelles prisons toujours plus déshumanisantes, d’un refus obtus d’investir dans l’accompagnement et la réinsertion. Désigner le prisonnier comme l’autre, le monstrueux, le fou, l’irrécupérable, celui qui ne nous ressemble en rien, permet ainsi de « justifier l’impensable : contenir sans réparer, relâcher sans projet. La récidive est là qui attend. La machine se nourrit d’elle-même ».
Ce numéro de Dedans-Dehors pose la première pierre d’une campagne en fil rouge de l’action de l’OIP pour 2013-2014. Une campagne fondée sur des « récits de vie » d’anciens détenus. Ils racontent leurs conditions de vie avant d’avoir eu affaire à la justice, ce qui les amenés selon eux à la délinquance ou au crime, ce qu’ils sont devenus après leur passage en détention. Il y a ceux qui croyaient que la prison, « ça n’arrive qu’aux autres » et qui ont été dépassés par des pulsions. Ceux qui, socialement bannis, ont trouvé dans le milieu délinquant leur seule terre d’accueil. Autant de récits singuliers et subjectifs, que l’OIP va continuer de recueillir et de diffuser. Dix écrivains seront aussi appelés à rencontrer un ancien détenu pour écrire son histoire…
« Ils sont nous » ne fait que commencer.
Sarah Dindo
(1) Citations extraites d’un texte de Bernard Bolze, fondateur de l’OIP, dans 70 affiches pour le droit à la dignité des prisonniers ordinaires, 1993.