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« Je ne rêve plus depuis longtemps »

Frédéric, 42 ans, est sorti en libération conditionnelle depuis août 2013, après sa troisième incarcération. Marié et père de six enfants, il veut changer de vie après un total de dix ans de prison. Il se heurte aux difficultés d’accès à l’emploi, n’ayant connu qu’une vie de « voyou » depuis l’âge de 14 ans, et portant le stigmate d’ancien « braqueur toxicomane ».

Lorsque vous étiez en prison, est-ce que vous pensiez souvent à la sortie ?

Oui, mon esprit était toujours dehors, je ne me suis jamais habitué à la prison. J’ai une femme et six enfants, ils sont toute ma vie, je ne pouvais donc pas faire abstraction du dehors. Ma dernière est née pendant que j’étais détenu, c’est un « bébé parloir ». En 1997, j’ai passé trois ans en prison. J’y suis retourné 15 jours après ma sortie, pour trois ans, jusqu’en 2003. Et je suis retombé en 2009, pour être libéré en 2013. J’ai pris la décision de changer de vie au cours de cette dernière incarcération. La sortie, j’y pensais tout le temps et en même temps, ça me faisait peur. J’allais sortir sans un sou. Je savais que ça allait être difficile, parce que j’allais emprunter un nouveau chemin, que je ne connaissais pas. Ma vie de voyou, je l’avais depuis l’âge de 14 ans.

Vous avez été aidé pour préparer la sortie ?

Non, parce que mes trois incarcérations se sont passées à Fresnes. J’aurais dû être transféré en établissement pour peine, mais c’est moi qui tenais à rester là pour voir mes enfants et ma femme. Ils vivent à côté et venaient au parloir toutes les semaines. Mais du coup, en maison d’arrêt, il n’y a pas d’outil concret pour la réinsertion. On peut travailler, mais ça n’est pas formateur. Des petits travaux de nettoyage, ou bien l’atelier où on est payé à la pièce, 80 euros par mois. Au bout de deux ans, j’ai réussi à avoir la place de coiffeur. Je pouvais naviguer dans la division, pour aller chercher les détenus, sans avoir de surveillant derrière le dos. Mais cette petite autonomie appréciable en prison, ça n’a rien à voir avec dehors, quand il faut vraiment se débrouiller seul.

Mon CPIP n’a pas voulu m’aider à préparer ma demande de libération conditionnelle (LC), car il s’opposait à ma sortie, considérant que je n’avais pas fait assez de mon temps de peine. J’étais à la moitié de ma peine de huit ans, c’est le seuil légal pour demander une LC. J’ai donc monté mon dossier avec l’aide de mon visiteur de prison. Comment avoir des contacts et faire des démarches à l’extérieur si on n’est pas aidé ? Il n’y a qu’un intervenant de l’ANPE pour 2 000 détenus. En prison, il faudrait pouvoir travailler son CV, par exemple. Quand je suis sorti, je ne savais même pas mettre en page sur un ordinateur. En quatre ans, vous ne pensez pas que j’aurais pu l’apprendre? Quand je suis entré la première fois, j’avais vingt ans. Aujourd’hui, j’en ai plus de quarante. La problématique n’est plus du tout la même ! De plus, ça fait quatorze ans que je suis sous traitement de substitution. Je n’ai pas rechuté. Mais j’ai été libéré sans même une ordonnance, avec juste deux jours de Subutex. Et je n’avais pas de sécurité sociale, pas de CMU, rien. C’est mon visiteur de prison qui a payé pour moi le traitement pendant deux mois, le temps que j’aie la CMU.

Sous quel régime êtes vous sorti ?

En libération conditionnelle parentale, avec une obligation de soins, l’interdiction d’aller dans le département où j’ai fait les braquages, l’obligation d’indemniser mes victimes, mais aussi l’obligation de résider en dehors de l’Ile-de-France, alors que ma famille y habite. C’est paradoxal quand même, j’ai une conditionnelle « parentale » mais pas le droit de vivre avec mes enfants. Au début, la JAP de Soissons ne voulait même pas m’autoriser à aller les voir. J’ai dû batailler pour obtenir le droit de leur rendre visite les week-ends. Mais dans la durée, je n’ai pas réussi à tenir l’interdiction en semaine, et j’ai commencé à rentrer chez moi le soir. Ce qui m’obligeait à me lever à quatre heures du matin pour être à l’heure à mon travail. Le psychologue qui me suit dans le cadre de l’obligation de soins est alors intervenu, disant que je mettais en danger ma santé avec tous ces allers-retours. Il a bien cerné le côté absurde de la situation, sachant que je vis dans la région la plus sinistrée au niveau chômage, je n’y ai aucune perspective professionnelle. Il a appelé la JAP pour lui expliquer et lui demander de me laisser résider au domicile familial. J’ai envoyé la lettre de demande au juge, j’attends la réponse. DE PRISON

En raison du temps passé hors de la vie active et de la stigmatisation due à leur condamnation, les ex-détenus ont les plus grandes difficultés à trouver et garder un emploi satisfaisant (Western, Kling et Weiman, 2001)

Vous êtes sorti de prison avec un travail ?

Oui, c’est mon visiteur qui m’a trouvé un boulot au Relais d’Emmaüs. C’était de la collecte, du tri et de la revalorisation de textiles. Je poussais entre 60 et 80 chariots de 300 kg par jour! Alors j’ai trouvé un autre travail, à mi-temps, comme agent d’espaces verts dans une structure d’insertion. Je gagnais 600 euros par mois. C’était un contrat renouvelable une seule fois, sans formation. J’ai vécu avec 600 euros par mois, en habitant dans une chambre d’hôtel à mes frais. Et sans voler ! Depuis, je n’ai plus de travail, je suis en recherche.

Est-ce que vous avez eu des difficultés physiques ou psychologiques pour vous réadapter à la vie libre ?

Quand je suis sorti, j’étais anorexique, je pesais 51 kg. En prison, la bouffe était exécrable. Je suis tombé malade, on m’a enlevé cinq polypes dans les intestins. Et je n’ai pratiquement plus de dents. Pendant des mois après la sortie, je n’arrivais pas retrouver du poids, mais aujourd’hui je suis à 80 kg ! J’ai mis des mois à retrouver une vie normale. J’avais des phobies, notamment par rapport à la foule dans la rue. Je me revois un soir après une journée de travail, j’allais faire des courses : j’avance dans la rue principale, et là, en voyant la foule, je panique. Une crise d’angoisse phénoménale, je transpirais, je

« J’ai mis des mois à retrouver une vie normale. J’avais des phobies, notamment par rapport à la foule dans la rue. »

me suis senti comme si j’étais attaqué. J’ai fait demi-tour et je suis rentré à l’hôtel me coucher. Ça a mis des mois à passer. J’étais hyper agressif quand je suis sorti. Après des années de prison, on garde une attitude de fauve, prêt à bondir à tout moment. Je partais au quart de tour. Encore maintenant, ce n’est pas réglé. Quatorze mois que je suis dehors, et je commence seulement à décoller.

Avez-vous l’impression qu’une étiquette d’ancien détenu vous colle à la peau ?

Pas au quotidien, avec les gens que je croise dans la rue, ce n’est pas marqué sur ma tête. Mais dans le cadre de la recherche de boulot, oui, c’est sûr. Aujourd’hui beaucoup d’employeurs vont chercher sur Google des informations sur vous. Si on tape mon nom, il y a deux ou trois articles sur mes passages aux Assises. Et je n’ai plus aucune chance. Qui va prendre le risque d’embaucher un ancien toxico braqueur de banques? J’ai envoyé plus de cent CV. Pour des emplois à ma portée: coursier, préparateur de commandes… Je ne rêve pas, je ne rêve plus depuis longtemps. J’ai obtenu deux entretiens, qui se sont très bien passés. Mais après, je n’ai jamais eu de nouvelles.

Selon vous, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour aider les sortants de prison ?

En prison déjà, il faudrait un accompagnement avec un tuteur régulier, pas quelqu’un qui change toutes les semaines. Quelqu’un qui suive votre parcours, qui vous évalue, pour voir ce dont vous êtes capable, ce que vous voudriez et ce que vous pouvez faire. Qui commence le travail à l’intérieur en vous donnant les bonnes informations. Et une fois dehors, qui continue à vous suivre, comme un référent. Mais pas les CPIP, les détenus n’iront pas vers eux. Avant, ils étaient dans l’accompagnement, maintenant ce n’est que du contrôle. Si ce n’est plus leur rôle de préparer à la réinsertion, on aurait dû créer d’autres postes pour l’accompagnement, proches des assistantes sociales, de l’ANPE. Il faudrait quelqu’un comme mon visiteur de prison, qui aille à la rencontre de ceux qui n’arrivent pas à se projeter dans l’avenir. Il faut aller vers les détenus. Le détenu, il est derrière sa porte, ce n’est pas lui qui peut aller vers vous.

Qu’est-ce qui vous a décidé à changer de vie ?

La thérapie que j’ai faite pendant quatre ans, au cours de ma dernière peine. C’est moi qui ai demandé à voir le psy toutes les semaines. Parce que je voulais changer et comprendre. Il faudrait un meilleur accès à des thérapies en prison, et que cela reste secret. Beaucoup n’assument pas d’aller voir un psy, parce que c’est mal vu, ça veut dire qu’on est tox ou dingue. Moi, j’ai dû assumer, tout le monde savait que je voyais le psychologue et que je prenais un traitement de substitution. Les listes des détenus sont affichées à la vue de tous, le secret n’est pas préservé. Si je n’avais pas fait ce travail avec le psychologue, je serais toujours le gars d’avant. Et aigri. Je serais retourné braquer deux fois plus fort. Après ma dernière incarcération, je voulais vraiment que ça change, mais je n’avais pas les outils. J’ai été élevé dans un moule de voyous, je n’ai pas eu les bons signes, les bonnes références. Mon beau-père, c’est le premier qui s’est évadé en hélicoptère de Fleury-Mérogis en 1981. Vous imaginez? C’était impossible pour moi d’en sortir seul, je ne pouvais pas analyser et remettre mon entourage en question. Il a fallu tout reprendre à zéro. Le travail avec le psy m’a donné les clés pour m’en sortir. Avant de parler de récidive, il faudrait agir sur l’entrée dans la délinquance. Ce qui a fait que j’ai été braqueur dans ma vie, c’est mon enfance. A treize ans, je m’assumais, je volais déjà. J’avais un scooter tout neuf à 10 000 francs, je m’achetais des Nike. Parce que personne ne m’a dit ce qui était bien et mal, ce qu’on pouvait faire ou pas. Attention, je n’ai pas le discours « moi je suis né dans la misère, je suis obligé de voler ». J’ai même beaucoup de mal à l’entendre. Parce que je vois bien qu’on a le choix. Depuis que je suis sorti, j’ai vécu quatorze mois très difficiles, mais je n’ai pas récidivé, parce que maintenant j’ai la volonté d’en sortir. Et aussi grâce à ma femme et mes enfants qui me soutiennent.

Recueilli par François Bès


Marie-Jeanne, 66 ans, libérée depuis quatre ans après onze mois à Fresnes. « Quand j’étais en détention, je crois que je ne souffrais pas trop pour moi, mais pour les gens qui étaient autour de moi: mon mari, mes enfants. Ça, ça a été quelque chose de très dur à porter… Et encore aujourd’hui. Parce que j’ai beaucoup de mal, à part avec mon fils aîné, à en parler. Avec mon mari, sitôt que je viens à parler de Fresnes, il fait celui qui fuit. Je n’arrive pas. Et avec un de mes fils non plus, il ne faut pas en parler, de la prison. J’ai un mal fou à parler de ça avec lui. ». Après la sortie, « j’avais du mal à reprendre la vie : quand j’étais chez moi, ça allait. Mais quand je sortais, quand j’allais faire des courses en magasin, je n’avais qu’une hâte, c’était de me retrouver dans ma voiture et de me dépêcher de rentrer. Je ne sais pas ce que c’était exactement, mais il y avait du bruit, ça me gênait, je n’étais pas bien… Dans la cellule, on est habitué à vivre tout seul, alors après, j’avais du mal avec le monde, il y avait toujours trop de monde. Ça a duré plusieurs mois. Et puis ce dont j’avais peur aussi quand je sortais, c’était de rencontrer des gens que j’avais connus. J’avais peur du regard et de la parole des autres. Mais en fait, ça c’est plutôt bien passé : les gens m’ont parlé normalement, et je n’ai pas trop connu tout ce que j’avais redouté, comme le rejet. Mais comme on avait beaucoup parlé de mon affaire dans la presse régionale à l’époque, ma famille du côté de mes cousins m’a tourné le dos complètement. Bizarrement, la cassure ça a été dans ma famille, pas avec les autres personnes. ». Extrait de S. Portelli et M. Chanel, La vie après la peine, Grasset, 2014