Free cookie consent management tool by TermsFeed

La Cour des comptes réclame une véritable politique de santé publique pour les personnes détenues

Dans son rapport annuel du 11 février, la Cour des comptes évalue, vingt ans après, le dispositif de soins en milieu carcéral depuis la loi de 1994. En titrant « la santé des personnes détenues : des progrès indispensables », elle donne le ton d’une réforme inaboutie.

La loi de 1994 qui transférait la prise en charge des personnes détenues du ministère de la Justice à celui de la Santé, visait à offrir une qualité de soins équivalente à l’intérieur et à l’extérieur des murs d’une prison. Vingt ans après, la Cour des comptes conclut que « les rigidités et les contraintes du milieu pénitentiaire se conjuguent […] avec une offre de soins encore incomplète, des besoins de modernisation de locaux et d’équipements non satisfaits et des modes de coopération entre acteurs fragiles et inaboutis ». Dès lors, la prise en charge sanitaire des détenus ne s’inscrit pas « comme la politique de santé publique à part entière qu’avait voulue la loi du 18 janvier 1994 ».

L’absence de politique spécifique

Avec près de 38 % des personnes détenues souffrant de problèmes d’addictions, une prévalence « très forte » des maladies psychiatriques, des taux d’affection aux virus du SIDA et de l’hépatite C six fois plus élevés que dans la population générale, les besoins de prise en charge sanitaire des personnes incarcérées sont particulièrement importants. Cette situation est de toute évidence aggravée par la détention: « l’enfermement, la promiscuité, la violence, l’inactivité, l’isolement et la rupture des liens familiaux agissent comme autant de déterminants négatifs sur la santé des personnes détenues », précise la Cour.

L’effort de rattrapage dans la prise en charge médicale a certes été « considérable », avec le quasi doublement des équipes des unités sanitaires entre 1997 et 2012, mais il aurait fallu que l’augmentation des moyens soit accompagnée d’une politique structurée fondée sur une analyse des besoins, note la Cour. Car si les besoins sanitaires de la population carcérale sont criants, ils restent très mal évalués : aucune enquête sur la santé des personnes détenues n’a été menée depuis 2003. La « Connaissance de l’état de santé » qui constituait l’axe premier du Plan d’actions stratégiques 2010-2014 d’une « politique de santé pour les personnes placées sous main de justice » a tardé à trouver une application concrète et ce n’est que début 2014 qu’ont commencé les travaux consistant à établir un état des lieux et à proposer des pistes de mise en œuvre d’un dispositif de surveillance épidémiologique adapté. Cette absence de vision d’ensemble se retrouve concernant les infrastructures sanitaires puisque « ce n’est qu’en 2014 que sera disponible un état des lieux de la qualité des locaux des unités sanitaires ». Aussi, la Cour des comptes recommande que le projet de loi de santé publique dont le gouvernement a annoncé l’élaboration soit l’occasion de « préciser et de chiffrer les objectifs spécifiques que les pouvoirs publics assignent en termes d’amélioration de la situation sanitaire des personnes détenues à l’ensemble des acteurs qui concourent à leur prise en charge ». Dans ce cadre, le rôle des agences régionales de santé devrait être renforcé en tant que « pivots de la politique de santé des personnes détenues » et les commissions régionales santé-justice devenir effectives, puisque la moitié seulement avait été installée fin 2012.

Soins spécialisés et psychiatriques à la peine

Pour le reste, le rapport montre que, d’anniversaire en anniversaire, le bilan reste quasiment le même. L’offre sanitaire reste insuffisante, en particulier les consultations spécialisées : le taux moyen de médecins spécialistes pour 1 000 détenus est de… 0,53 (sachant que 22 % des postes budgétés restent non pourvus). Les difficultés récurrentes à recruter se posent aussi pour les psychiatres (16 % de postes non pourvus) et les kinésithérapeutes (23 %). Outre la problématique de démographie médicale, est en cause le « manque d’attractivité de l’exercice en prison, eu égard notamment aux contraintes résultant des règles applicables en détention ».

L’offre de soins en santé mentale apparaît la plus en retard, « alors même que la population détenue concentre des pathologies nombreuses et souvent lourdes ». Cette défaillance « est constatée à tout niveau », qu’il s’agisse des soins ambulatoires dispensés par les unités sanitaires (UCSA) ou de l’hospitalisation de jour pas même assurée par tous les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) : six d’entre eux sur un total

Pour la Cour des comptes, « des progrès indispensables » restent nécessaires

dans la prise en charge sanitaire des personnes détenues.

de vingt-six ne disposent pas de cellules d’hébergement. Cinq régions ne possèdent même pas de SMPR propre et sont rattachées à celui d’une région voisine. Sans compter que ces services peinent à remplir leur mission régionale, seuls 20 % des patients en hospitalisation de jour au SMPR provenant « d’établissements différents de celui où ce dernier est installé ».

Les conditions d’hospitalisation complète des détenus atteints de troubles mentaux sont également en cause. Alors que l’ouverture d’unités spécialisées (UHSA) « accuse d’importants retards », la prise en charge dans un établissement psychiatrique ordinaire demeure le principal mode d’hospitalisation des détenus, dans des conditions non satisfaisantes. Les patients sont « quasi-systématiquement placés en chambre d’isolement ou en unité pour malades difficiles », alors que « leur état de santé ne justifie pas nécessairement une telle mesure ». Leur sortie « est souvent précoce alors même que leur situation n’est pas encore stabilisée ». En cause, la réticence à immobiliser un lit pour une longue durée « dans un contexte de saturation des possibilités d’accueil », mais aussi « le risque d’évasion » et le « sentiment d’insécurité du personnel lié à la présence d’un détenu présumé dangereux ».

Le soin cherche toujours sa place dans le carcéral

Les « rigidités et les contraintes du milieu pénitentiaire » continuent largement à entraver la logique de soins. Le fort taux d’absentéisme aux consultations médicales (entre 10 et 30 %) s’explique ainsi bien souvent par « le fait que la personne détenue n’a pas été informée de l’horaire de son rendez-vous ou qu’elle a rencontré des difficultés pour rejoindre l’unité sanitaire ». La Cour des comptes rappelle également à quel point le respect du secret médical en milieu pénitentiaire est « difficile », en raison d’une configuration des locaux ne préservant pas la confidentialité, de la présence de surveillants dans les salles de soins ou lors des examens, d’une distribution des médicaments en cellule partagée, etc. Quant au faible nombre d’hospitalisations en UHSI (unités hospitalières sécurisées), dont le taux d’occupation est seulement de 67 % en 2012, il s’explique notamment par les « contraintes liées au nombre limité d’escortes disponibles », mais aussi par des refus de personnes détenues d’être hospitalisées en raison des modalités d’extraction : « menottage quasi systématique et pose fréquente d’entraves ». Enfin, certains locaux des unités de soins en détention demeurent « très vétustes et exigus » dans les prisons les plus anciennes comme le centre pénitentiaire de Fresnes, le centre de détention de Melun ou la maison d’arrêt des Baumettes. La rénovation de ces locaux, qui incombe à l’administration pénitentiaire, « reste très limitée et lente ». En 2013, moins de 2 % des crédits inscrits au titre de l’entretien et de la rénovation des établissements étaient consacrés aux locaux sanitaires. L’accélération de la modernisation de ces locaux apparaît pour la Cour « une nécessité ». Pas pour la pénitentiaire.

Cécile Marcel et Sarah Dindo


Situation préoccupante des personnes détenues en situation de dépendance

Le nombre de détenus de plus de 60 ans a doublé en 15 ans, pour représenter 3,5 % de la population carcérale en 2012. La loi pénitentiaire de 2009 a ainsi consacré le principe selon lequel la désignation d’un aidant constitue un droit pour la personne détenue en situation de dépendance, tout comme le fait de bénéficier des prestations sociales dans les conditions de droit commun. La Cour des comptes constate néanmoins de « nombreuses difficultés d’accès à ces prestations », peu d’associations d’aide à la personne acceptant de se déplacer en prison. A la « crainte suscitée par la détention chez un personnel majoritairement féminin » s’ajoute la politique de certains conseils généraux qui ne prennent en charge que le coût horaire correspondant à la prestation elle-même, « à l’exclusion du temps perdu en déplacements ». Un temps qui peut être « très long » pour se rendre jusqu’à un établissement pénitentiaire, ainsi que pour accéder à la personne détenue une fois arrivé sur place.


Les services sociaux de droit commun ne connaissent pas la prison

En ce qui concerne la protection sociale, de fréquents problèmes d’affiliation, d’ouverture ou de reprise de droits et « un défaut d’information de la personne détenue sur l’étendue de ses droits à l’entrée comme à la sortie de prison » sont observés par la Cour des comptes. En 2012, 65 % des CPAM seulement avaient signé des conventions avec les établissements pénitentiaires pour « améliorer la gestion des droits des détenus ». Le ministère de la Justice a eu beau demander au ministère de la Santé et des affaires sociales d’organiser la tenue de permanences en détention des caisses nationales d’assurance maladie et d’allocations familiales, le principe n’en a pas encore été retenu.