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La défense confinée à l’extérieur des prisons

Pendant le confinement, des commissions de discipline, ces procès de l’ombre internes à la prison, ont continué à se tenir. Mais les droits de la défense y ont été encore plus malmenés qu’à l’ordinaire.

« Je suis passé en commission de discipline [CDD] pour tapage. J’ai demandé à être assisté d’un avocat commis d’office : un avocat a bien été désigné, mais il n’a pas pu venir à cause du Covid. Je suis donc passé en commission sans avocat. Elle était présidée par le chef de détention, et il n’y avait pas de témoin extérieur : j’ai pris quatorze jours de QD [quartier disciplinaire]. On est plusieurs à être passés en CDD comme ça, sans avocat. J’ai peur de perdre mes remises de peine, ça va peser dans ma demande d’aménagement… » Ce témoignage, reçu en début de confinement, est loin d’être isolé : la crise sanitaire est venue fragiliser une procédure disciplinaire déjà peu respectueuse des droits de la défense.

Dans son fonctionnement ordinaire, la commission de discipline représente un « tribunal interne » à l’impartialité contestable. L’administration pénitentiaire dispose en effet de toutes les attributions et pouvoirs : elle est l’autorité qui constate l’infraction, poursuit l’auteur, le juge et met à exécution la sanction… s’affranchissant ainsi des garanties exigées en termes de procès équitable. La loi pénitentiaire prévoit cependant, depuis 2009, la présence d’un assesseur – témoin extérieur – et, surtout, la personne détenue doit pouvoir se faire assister d’un avocat. Mais l’épidémie de Covid-19 est venue bouleverser ces maigres acquis. Depuis le début du confinement, les commissions de discipline sont certes moins nombreuses : dans la plupart des prisons, les directions ont pris la décision de ne convoquer que les personnes placées au QD de manière préventive, donc pour les fautes les plus graves. Mais alors, être assisté d’un avocat, être jugé sous l’œil d’un assesseur extérieur et dans le respect des gestes barrières relève de l’exception.

Concernant les assesseurs, Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires, reconnaît que « leur présence a diminué dans un certain nombre d’établissements, bien que cela soit très inégal d’un établissement à l’autre ». Ceux qui ont pu continuer à intervenir témoignent d’un autre problème : « Nous ne croisons quasiment jamais d’avocat commis d’office. Les rares que nous avons vu étaient ceux mandatés par leurs clients », explique Pierre Ferrand, vice-président de l’Association nationale des assesseurs extérieurs.

Pas d’avocat faute de garanties sanitaires suffisantes

L’absence de mesures de protection efficaces et la crainte de ramener le virus en détention ont en effet incité de nombreux avocats à refuser d’intervenir physiquement en détention. Si l’administration pénitentiaire s’était engagée à ce que « les locaux dédiés aux parloirs avocat permettent d’assurer le respect des mesures barrière et la confidentialité des échanges »(1), certains ne cachaient pas leur amertume face au peu de moyens déployés. Convoquée en commission de discipline mi-avril à Écrouves, Me Laprevotte avait interrogé la direction de l’établissement sur les conditions dans lesquelles la commission allait se dérouler. « Nous mettrons à votre disposition du gel hydroalcoolique ainsi qu’un masque chirurgical à haute filtration microbienne. Les lieux de commission de discipline et d’entretien permettent la distanciation de plus d’un mètre », avait assuré la direction. Une fois sur place, l’avocate déchante : « Aucun masque n’était proposé, pas de gel, aucune distance n’était respectée par le personnel. Nous étions cinq dans la salle, serrés comme des sardines. Heureusement, j’avais apporté mon propre masque. » Même son de cloche à Angers : « L’audience de commission de discipline a lieu dans la même salle que d’habitude, une salle qui doit faire 12 m2. Et dedans, il y a la présidente de la commission de discipline, les deux assesseurs, le détenu, l’avocat et puis un secrétaire de commission de discipline. Le tout, avec deux bureaux. On est un peu les uns sur les autres », explique Me de Bary. À Rouen, « durant le confinement, rien n’était mis à disposition des avocats ou des personnes détenues. La salle d’audience était la même. Aucun nettoyage des tables entre chaque personne détenue. Les salles n’étaient pas aménagées avec du matériel particulier », témoignait en avril Me Massardier.

Ces conditions d’hygiènes ont conduit certains barreaux à suspendre les permanences d’avocats commis d’office, sans que l’administration pénitentiaire accepte de reporter les audiences, privant ainsi pendant plusieurs semaines les personnes détenues de la possibilité d’être défendues. À Lyon, l’Ordre a attendu d’avoir reçu les masques commandés avant de reprendre les permanences, le mardi 12 mai. À Arras, où les permanences avaient été suspendues, des masques ont également fini par être livrés. Aucun cas ne s’étant déclaré dans l’établissement, le bâtonnier indiquait le 12 mai avoir « demandé à un volontaire d’assister à une audience de discipline » et envisager « si [son rapport] est satisfaisant, de rétablir la permanence ». Dans certaines prisons, les Ordres ont dû battre le fer avec l’administration pénitentiaire pour obtenir des garanties. Fin avril, le barreau d’Angers, qui avait annoncé se retirer des commissions de discipline pour cause d’absence de mesures de précaution suffisantes, a décidé, au terme d’une semaine de négociations, de reprendre les permanences. La prison fournirait les visières, et l’ordre des avocats, les masques. Les deux parties ont estimé ces conditions suffisantes pour reprendre les audiences, bien que les commissions de disciplines se déroulent toujours dans la même petite salle, ce qui laissait certains avocats sceptiques.

Ailleurs, ce sont des systèmes alternatifs qui ont été imaginés, plus ou moins satisfaisants. À Orléans, « un système de visio-audience a été mis en place », indiquait le 7 mai le bâtonnier – avec toutes les limites que cette pratique suppose(2). À Roanne, des avocats étaient bien commis d’office, mais ne se déplaçaient pas : ils faisaient parvenir leurs écrits à la prison après avoir pris connaissance du dossier. Une pratique qui choque Me Gaudin, pour qui ce dispositif « viole totalement les règles du procès équitable et les droits de la défense » : « La personne ne peut confier sa version des faits à l’avocat, ni travailler avec lui sur la parole qu’il souhaiterait voir portée pour lui. Si les images de vidéosurveillance sont visionnées, l’avocat ne les voit pas et ne peut donc pas en débattre ! », explique l’avocate. C’est dans ces conditions que son client, convoqué pour des faits qu’il démentait, a été condamné à quinze jours de quartier disciplinaire – une décision que son avocate a immédiatement contestée auprès de la direction interrégionale.

Un retour à la normale s’est amorcé à partir du 11 mai. La majorité des assesseurs extérieurs a progressivement fait son retour dans les établissements et les permanences d’avocats ont repris dans les barreaux, qui se sont équipés en conséquence. À Grasse par exemple, un kit contenant masque, gel, gants, stylo et mouchoirs a été distribué à chaque avocat de permanence. Des ajustements qui ont permis un retour des défenseurs aux commissions de discipline – une nécessité à l’heure où ces dernières reprenaient leur rythme habituel.

Par Charline Becker   


Une attestation superflue et contestée
Pendant les premières semaines du confinement, l’administration pénitentiaire a exigé des avocats qui se rendaient en détention une attestation, dans laquelle ils certifiaient sur l’honneur ne pas présenter de signes cliniques du virus et ne pas avoir été en contact étroit avec une personne malade ou présentant des symptômes du coronavirus. Cette mesure a soulevé une vague de protestations dans la profession. La qualifiant d’« inutile, insultante et attentatoire aux droits de la défense », le Syndicat des avocats de France a mené de nombreux contentieux administratifs pour la contester. Une campagne victorieuse, puisque de nombreux établissements ont été contraints d’y renoncer. Des décisions prises localement qui masquent cependant des disparités, certaines prisons continuant de l’exiger. Certains assesseurs sont également priés de la remplir, comme à la prison de Saint-Quentin- Fallavier.