Présenté comme un « établissement modèle », le nouveau centre de détention de Koné, en province Nord, accueille 120 prisonniers triés sur le volet. Sans effet sur la surpopulation du Camp-Est.
« Au Camp-Est, hier, c’était la nuit. À Koné, aujourd’hui, c’est le jour.[1] » Venu inaugurer la seconde prison de l’archipel en février 2024, un an après sa mise en service, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti n’a cessé de souligner le contraste avec le centre pénitentiaire de Nouméa, tristement célèbre pour ses conditions de détention indignes (voir p.24). Les cellules, neuves et individuelles pour la plupart, ne peuvent que trancher avec celles, insalubres et surpeuplées, de l’ancien dépôt du bagne – même si, d’après un avocat, « il semble qu’elles se dégradent vite ».
Accès au travail, aux activités et aux formations, quartier semi-ouvert de préparation à la sortie… Le centre de détention de la province Nord se veut tourné vers « la lutte contre la récidive et la réinsertion[2] » des personnes détenues – des objectifs que la loi assigne à toute peine de prison, mais totalement perdus de vue au Camp-Est, comme dans de nombreux établissements de l’Hexagone. « Plus de la moitié des détenus travaillent, et tous ceux que je vois semblent suivre des activités », confirme un professionnel travaillant auprès des publics incarcérés, qui se dit témoin de réels efforts pour préparer la sortie des personnes détenues. Même si ces efforts se heurtent à de multiples difficultés liées à la localisation en province Nord : possibilités d’aménagements de peine moindres qu’à Nouméa, absence de logements sociaux, manque de spécialités médicales pour les expertises, suivi en milieu ouvert saturé… L’accompagnement des personnes détenues serait par ailleurs fragilisé par l’absence d’assistant social, et l’administration s’immiscerait dans la gestion de leurs dépenses, loin des objectifs proclamés d’« autonomie » et de « responsabilisation ».
Surtout, le transfert à Koné n’est accessible qu’à certains prisonniers triés sur le volet : les 120 places du centre de détention sont réservées aux personnes condamnées à des peines de plus de deux ans « qui présentent, après sélection, les meilleures perspectives de réinsertion sociale[3] ». « Ils y envoient les profils les plus faciles à gérer », observe une magistrate, suggérant une prime au bon comportement plutôt qu’une stricte évaluation des besoins en matière de réinsertion. Des critères qui s’ajoutent à celui d’attaches ou d’un projet de sortie en province Nord, quand la majorité des quelque 600 personnes incarcérées au Camp-Est ont un ancrage dans le Grand Nouméa, à 250 km de là.
Le centre de détention de Koné ne saurait donc être un remède aux maux du Camp-Est. Même le problème de sa surpopulation chronique, que le ministère de la Justice espérait « régler définitivement[4] » avec l’ouverture du nouvel établissement, est toujours aussi prégnant. Au 1er décembre 2024, tandis que la prison de Koné était déjà occupée à 99 %, le Camp-Est affichait des taux d’occupation de 157 % au quartier maison d’arrêt (QMA) et 149 % au quartier centre de détention (QCD). Des chiffres encore plus élevés que ceux qu’avait relevés le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2019[5]. Ainsi, plutôt que de désengorger la prison de Nouméa, la construction du centre de détention du Nord aura contribué à la hausse du taux d’incarcération dans l’archipel (Lire Deux fois plus de prisonniers que dans l’hexagone). Et pour en finir avec le Camp-Est, l’État mise désormais sur la construction d’une prison de 600 places à Ducos, en province Sud, dont la livraison est actuellement prévue en 2032.
par Johann Bihr et Pauline Petitot
Cet article est paru dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°125 – Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l’ombre de la prison
[1] Anthony Tejero, « À Koné, le centre de détention est un “exemple” pour l’Hexagone », Les Nouvelles calédoniennes, 23 février 2024.
[2] « Plan 15 000 places de prison : inauguration du centre de détention de Koné », communiqué de presse du ministère de la Justice, 23 février 2024.
[3] Ibid.
[4] Rapport de la 2e visite du Centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie), CGLPL, du 14 au 18 octobre 2019.
[5] À savoir 130 % au QMA et 128 % en QCD. Source : Statistique des établissements des personnes écrouées en France au 1er octobre 2019, ministère de la Justice.