Fraîchement diplômé d’une école d’ingénieur, Brieuc le Bars a imaginé un projet novateur : un programme de formation des personnes détenues au métier de développeur web. Baptisée Code Phenix, l’initiative a de quoi séduire puisqu’elle allie travail et formation, et offre de vrais débouchés professionnels à la sortie. Mais elle se heurte aux contraintes de l’univers pénitentiaire.
« Quand j’ai commencé à travailler dans le numérique, il ne se passait pas une semaine sans que je ne sois sollicité par des chasseurs de tête, alors que je n’étais même pas encore diplômé. Je me suis vite aperçu de la valeur du profil de développeur sur le marché du travail. » Voulant se lancer dans l’entreprenariat social, l’étudiant a alors l’idée de former des publics très éloignés de l’emploi à ces savoir-faire très recherchés par les entreprises. Si des associations proposent déjà ce type de formation, aucune ne s’adresse à des personnes détenues. Avec trois autres jeunes professionnels, il crée alors Code Phenix début 2017.
Fabriquer des sites internet… sans accès internet
Le projet de l’association est le suivant : les personnes détenues suivraient six mois de formation théorique gratuite, avant de passer à la pratique : trois mois (renouvelables le temps de l’incarcération) à réaliser des sites internet pour des entreprises extérieures, l’association se chargeant de la mise en relation. Avec néanmoins un obstacle, de taille : l’impossibilité, pour les détenus, d’utiliser Internet. « On va devoir mettre les ressources nécessaires sur des serveurs privés pour que les détenus puissent y avoir accès. » Une solution pas entièrement satisfaisante puisque les savoirs évoluent sans cesse en la matière et que l’autoformation, par le biais de forums spécialisés, est primordiale dans ce métier. Bien que la formation ne soit pas qualifiante, « les détenus auront eu le temps de se constituer un book et de prouver qu’ils maitrisent différents langages informatiques basiques et néanmoins très demandés ». La garantie, en principe, d’une insertion rapide sur le marché de l’emploi, et à des salaires plutôt attractifs. « De quoi leur donner l’envie de se réinsérer dans le monde du travail », mise le jeune homme.
L’ambition de l’association est également d’assurer la transition dedans-dehors de ses apprentis. « On veut proposer de poursuivre notre accompagnement à leur sortie. Nous continuerions à travailler avec eux sur la recherche d’emploi, avec rédaction de CV et coaching à l’entretien d’embauche et pourrions, le cas échéant, assurer la mise en relation avec les structures spécialisées dans le suivi social et médico-psychologique ».
Une administration qui bloque sur un statut (trop ?) novateur
Le projet repose également sur un modèle économique intéressant. « L’idée était que les détenus aient un statut d’auto-entrepreneurs et que l’association, à la manière d’une société de prestation, leur cherche des missions et fasse le lien avec leurs clients à l’extérieur. Les gains seraient ensuite répartis entre les apprentis- développeurs et l’association, afin de nous permettre de financer les six mois de formation ». L’apport de fondations privées et d’autres acteurs sociaux permettra de financer la première phase d’expérimentation du projet.
Si la direction de l’administration pénitentiaire s’est montrée « très intéressée par le projet », le principe de l’auto-entreprenariat a, lui, été retoqué. Pourtant, les personnes détenues peuvent légalement « travailler pour leur propre compte avec l’autorisation du chef d’établissement » *. À ce problème près, relevé par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) : l’inscription automatique des personnes incarcérées au régime général de la sécurité sociale » ferait obstacle à leur affiliation au régime social des indépendants (RSI), indispensable à l’obtention du statut d’auto-entrepreneur. Un obstacle qui devrait cependant être levé dès le 1er janvier 2018, avec la suppression annoncé du RSI.
Quoiqu’il en soit, la direction de l’administration pénitentiaire dit travailler sur le cadre juridique et doit leur faire parvenir une ébauche de convention… depuis le mois de juillet. Espérons que ce projet, qui évite bien des écueils, ne restera pas dans les cartons.
Par Laure Anelli
* Article 718 du Code de procédure pénale.