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« Le projet de loi passe à côté des facteurs essentiels de prévention de la récidive »

Présidente du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février 2013, Françoise Tulkens fait le constat d’un projet de loi n’assumant pas entièrement le choix d’une réponse pénale visant la réintégration sociale, avec la probation érigée en peine de référence et la prison devenant une peine parmi d’autres. Du manque de mobilisation des travaux scientifiques à un abandon de la libération conditionnelle automatique, revue du projet de loi gouvernemental.

Françoise Tulkens, professeure de droit pénal en Belgique, a été juge à la Cour européenne des droits de l’homme et vice-présidente de la Cour jusqu’en 2012.

La méthode de la conférence de consensus comme préalable à une réforme pénale a été saluée par beaucoup comme innovante, mais aussi largement critiquée. Qu’avez-vous pensé de la nature des réactions en France après la publication du rapport du jury ?

L’apport de la conférence de consensus ne se résume certainement pas au rapport du jury. La philosophie générale d’une telle conférence, c’est qu’une politique ne peut s’installer dans la durée si elle n’est pas fondée sur un socle de connaissances solides, scientifiques et validées ainsi que sur des choix compris et partagés par le plus grand nombre. Dans ce contexte, la première étape assurée par le comité d’organisation est essentielle: un immense travail préparatoire a été effectué, avec plus de 140 personnes auditionnées, des fiches thématiques abordant tous les aspects essentiels de la problématique de la récidive. Dans un deuxième temps, 23 experts ont été entendus en séance publique. Sur la base de ces connaissances, à la fois scientifiques et de terrain, le jury désigné par le comité d’organisation a délibéré pendant deux jours pour proposer des recommandations. Il était composé de 20 personnes choisies pour leur diversité – dont un directeur de prison, une statisticienne, un directeur de SPIP, un CPIP, une juge d’application des peines, un ancien détenu, un procureur, un colonel de gendarmerie, un commandant de police, une universitaire et un chercheur en criminologie, des élus, une journaliste… Trouver un consensus entre des personnes d’horizons et de convictions aussi différents implique inévitablement des concessions réciproques pour trouver un dénominateur commun, c’est-à-dire pour aboutir à des choix partagés que l’on peut raisonnablement soutenir. C’est la limite de l’exercice, si l’on se contente du rapport du jury qui a été critiqué par les uns parce qu’il allait trop loin et par d’autres parce qu’il n’allait pas assez loin. Je le comprends très bien.

Considérez-vous que le projet de loi présenté par le Gouvernement s’appuie sur les travaux du comité d’organisation et du jury ?

En partie, mais pas suffisamment à mon avis. Je regrette que le corpus documentaire unique rassemblé par la Conférence soit fort peu utilisé dans le projet de loi, qui passe à côté de quatre éléments essentiels. Le premier, c’est que toute proposition sur la récidive doit être précédée d’une réflexion fondamentale sur la fonction de la peine (distincte du fondement et de la finalité de celle-ci) qui vise le rôle qu’elle peut positivement remplir. Sinon, nous n’avons que des mesures techniques qui ne posent pas les bases d’une nouvelle politique pénale. L’article 1 du projet de loi ne prend pas de position suffisamment claire à cet égard, il mélange l’idée de réintégration avec d’autres fonctions de la peine, comme l’amendement, ce qui fait perdre le fil conducteur. Pour le jury, la fonction de réintégration devait être affirmée comme celle qui sous-tend la politique criminelle dans une société démocratique – afin de se distancier clairement des fonctions d’élimination, d’exemplarité ou d’amendement traditionnellement assignées à la peine. De quoi s’agit-il ? De permettre à la personne de vivre de manière compatible avec la société telle qu’elle est. Pas de régénérer le délinquant comme s’il était un pécheur ou un malade, mais lui donner des points d’appui pour le rendre apte aux exigences de la vie sociale. Trouver un logement, renouer les liens familiaux, faciliter la formation professionnelle, chercher du travail, sortir de l’alcoolisme et des addictions… Une des conséquences essentielles de ce choix, qu’on ne retrouve pas dans le projet de loi, c’est le lien avec les dispositifs de droit commun. La prévention de la délinquance, ce n’est pas seulement une politique pénale, c’est aussi et peut-être surtout une politique publique. En n’établissant pas clairement le lien avec les dispositifs de droit commun, le texte fixe des objectifs sans se donner les moyens de leur réalisation.

Quels autres points essentiels vous paraissent écartés ?

Le deuxième élément central ayant fait consensus, c’est que la peine d’emprisonnement crée souvent plus de problèmes qu’elle n’en résout – un sujet sur lequel tout a été dit. Nous n’aurions pas été crédibles en demandant sa suppression – et les membres du jury n’auraient pas tous été d’accord! Mais nous avons préconisé qu’elle soit maintenue dans le champ le plus étroit possible. Ce que ne fait pas le projet de loi qui, au contraire, la maintient comme peine de référence. Certes, avec une disposition, celle de l’article 3, qui fait obligation au juge de motiver le choix d’une peine d’emprisonnement. Cela peut paraître une garantie mais peut aussi se révéler dangereux. Outre le risque de recours à des formules creuses bien connues, la référence à la personnalité qui figure dans le texte est la porte ouverte à bien des dérives. Troisième proposition majeure : instaurer, en lieu et place de la peine privative de liberté, une nouvelle peine de probation hors les murs. La contrainte pénale du projet ne répond pas à une condition essentielle: que cette nouvelle peine ne s’ajoute pas aux autres peines non privatives de liberté qui existent actuellement mais qu’elle les fusionne. Car à force de toujours ajouter, l’échelle des peines n’est plus lisible, et place le juge dans une position intenable pour décider quelle peine il va imposer. Introduire une peine de plus, et encore à la neuvième (et dernière) place comme le fait le projet de loi, risque, en définitive, de ne pas servir à grand-chose. Nous avons en revanche été entendus sur la demande de suppression des peines plancher (art. 5). Le quatrième point, c’est le danger de toute sortie en fin de peine et/ou sans accompagnement. Le projet de loi reprend l’idée d’éviter les « sorties sèches », mais sans dispositif qui permette d’en assurer vraiment la réalisation.

Il faut oser dire que la récidive, c’est aussi une forme d’échec de la justice,

de la peine prononcée et subie ainsi que des conditions de son exécution

Quelle différence voyez-vous entre la peine de probation promue par la conférence de consensus et la contrainte pénale prévue dans le projet de loi ?

Pour la conférence de consensus, la peine de probation devait être une peine indépendante, à part entière. Son contenu devait être défini par la guidance et le suivi individualisé dans un but de réintégration. Le sens de la probation, c’est le soutien. Dans le projet, l’article introduisant la contrainte pénale énumère uniquement des interdits et obligations. Mettre des interdictions et obligations au cœur d’une peine qui voulait, avec l’idée de probation, au contraire intensifier le suivi et la guidance, c’est une toute autre philosophie.

Pouvez-vous expliquer en quoi la probation n’est pas une réponse « laxiste » ?

La probation, ce n’est ni laxiste ni répressif, c’est réaliste. Il s’agit d’une peine, au sens juridique du terme, c’est-à-dire une contrainte qui s’impose à une personne et dont la fonction est d’apporter des outils pour sortir du parcours délinquant. Le but n’est pas moral, mais pragmatique : nous voulons que ce comportement cesse, car nous voulons tous la paix sociale et la sécurité. De manière générale, dire que l’absence d’emprisonnement c’est du laxisme (donc de la tolérance excessive), me paraît inexact et irresponsable. Tout le monde sait que les personnes risquent de sortir de prison pires qu’elles n’étaient et, en outre, les conditions de détention étant ce qu’elles sont, la société ne fait pas exemple en les traitant de cette manière. Au contraire, elle montre la violence institutionnelle. L’emprisonnement est souvent une fausse sécurité.

Que pensez-vous de la procédure prévue dans le projet de loi en cas de non-exécution de la contrainte pénale ?

Si seule la prison sanctionne l’échec de la contrainte pénale, on revient au point de départ. Pour sortir de la centralité de la prison, ce qui me semble essentiel au XXIe siècle, il ne faut pas chaque fois faire de la prison la peine ultime, en cas d’échec des autres peines. La peine de probation ne devrait pas être une « alternative », au sens où la prison serait la norme et les autres mesures des alternatives à cette norme. Elle doit être substitutive. Après moultes discussions, la conférence de consensus a néanmoins proposé de faire de la « non observation persistante des règles de probation » un délit, tout comme il existe un délit d’évasion de prison. Cela implique un nouveau passage devant le tribunal, qui peut, mais ne doit pas nécessairement, être sanctionné par l’emprisonnement. Dans le projet de loi, le renvoi vers le tribunal vise nécessairement, me semble-t-il, la mise à exécution de l’emprisonnement. Dans cette logique, en cas d’échec de la prison, que faudra-t-il faire ? Refaire de la prison ? Voilà les limites, sinon l’absurdité du système. Le jury a clairement posé comme principe que le non respect du « plan de probation » n’entraîne pas automatiquement de « sanction-couperet » et qu’il faut s’attacher à la non-observation persistante. La première réponse à apporter dans ce cas est de réadapter le contenu de la mesure, mieux individualiser le suivi, ce qui n’est prévu dans le projet de loi qu’en termes de « modification des obligations ». Les personnes ne changent pas du jour au lendemain. La nature humaine est telle qu’il y a des hauts et des bas, la sortie de délinquance peut prendre un certain temps. Il ne faut pas, dès qu’il y a un échec, revenir immédiatement avec le bazooka.

Que pensez-vous du terme de « contrainte pénale » ?

Sans me focaliser sur les mots, je préfère la « peine de probation». Le terme de «probation», employé depuis plus d’un siècle en matière de justice pénale aux Etats-Unis et en Europe, traduit l’idée de la guidance et du suivi, c’est l’idée même de la probation. Quant au terme de « peine », il indique bien qu’il s’agit d’une sanction, d’une conséquence obligatoire d’un acte interdit par la loi. Tandis que l’expression « contrainte pénale » est un pléonasme car il est bien évident qu’une peine au sens juridique du terme est toujours une contrainte ; en outre, la dimension de guidance et de soutien individualisé disparaît.

Quelles sont les différences entre les modalités d’octroi de la libération conditionnelle qu’avait proposé le jury, et la « libération sous contrainte » du projet de loi ?

Le projet de loi (art. 16) institue une procédure d’examen obligatoire de la situation des personnes condamnées aux deux tiers de leur peine. C’est différent de la préconisation du jury d’une libération conditionnelle accordée automatiquement après un certain délai fixé par le législateur, sauf contre-indication motivée par le juge. La conditionnelle devient ainsi un processus inhérent à l’exécution de la peine de prison, et non une faveur accordée aux plus « méritants ».

Vous dites néanmoins que la libération conditionnelle correspond à un « renforcement de la répression ». En quoi ?

Une libération sous conditions, c’est une libération sous surveillance. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que l’on croit souvent, un allègement de l’intervention pénale, mais un renforcement: la personne sort mais est soumise obligatoirement au respect de certaines conditions. Si celles-ci ne sont pas respectées, il y a un retour en détention. Certains détenus préfèrent d’ailleurs parfois aller au bout de leur peine pour avoir une libération sans suivi plutôt que d’être soumis à cet accompagnement contraignant. Mais pour que la mesure

La réinsertion est un impératif constitutionnel pour toute société

qui fait de la dignité humaine un pilier

de libération conditionnelle reste crédible, le suivi exercé par les services doit assurer concrètement et efficacement la guidance et le respect des obligations. Cela coûte évidemment, mais sans doute moins que l’emprisonnement.

Quels étaient les « présupposés indispensables » posés par la conférence de consensus et qui ne figurent pas dans le projet de loi ?

Le projet de loi n’engage pas la réflexion sur le périmètre pénal et la nécessité de dépénaliser certaines infractions. C’était une des demandes de la conférence de consensus, mais il ne lui appartenait pas de préciser quels faits devaient être décriminalisés : c’est au législateur de prendre ses responsabilités sur cette question. Il faut également revoir la place de l’emprisonnement dans le code pénal: si toutes les infractions restent punissables de X mois ou années de prison, rien n’aura changé. Il faudra qu’à un moment soit inscrit dans le code pénal que telle infraction est punie de X temps de probation. Enfin, le projet de loi ne propose pas (encore ?) la suppression des mesures de sûreté, très problématiques en termes de droits de l’homme et qui se fondent sur un critère de dangerosité quasiment impossible à évaluer et surtout à prédire, ainsi que sur une philosophie de l’élimination. De plus, les mesures de sûreté automatiques sont contraires au principe d’individualisation inscrit à l’article 2 du projet de loi.

Le jury appelait à « une réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté ». En quoi était-ce une « condition sine qua non de la prévention de la récidive » ?

Les conditions de détention doivent absolument être améliorées, pour des raisons de simple humanité. C’est une exigence avec laquelle on ne peut pas transiger. Si l’on ne peut pas ou on ne veut pas avoir des prisons « dignes de la République », alors il est impératif de faire autre chose, de punir autrement. Les conditions d’exécution de la peine d’emprisonnement ont évidemment aussi un effet sur la récidive, en ce sens qu’elles y contribuent. Vivre dans un tel contexte est contraire à toute forme de retour dans la société puisque vous êtes coupé de la vie sociale et infantilisé. A cela s’ajoute évidemment tout ce que la prison vous fait perdre de votre autonomie, les liens sociaux brisés, d’autres qui se mettent en place. En clair, si on vous envoie en dehors du monde pendant 10, 20 ou 30 ans, comment allez-vous refaire votre place à votre retour dans une société transformée ?

Il faut quand même oser dire que la récidive, c’est aussi une forme d’échec de la justice, de la peine prononcée et subie ainsi que des conditions de son exécution. Si l’on veut prévenir la récidive, faire en sorte que les personnes qui ont connu le système de justice pénale ne retournent pas dans un par- cours délinquant, il est urgent, en 2014, de tenter autre chose.

Recueilli par Barbara Liaras