Libérable le 1er avril 2022, monsieur E. a été maintenu en détention illégalement pendant un an et deux mois au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin et a vu ses efforts de réinsertion systématiquement mis en échec. Confinant à l’absurde, son histoire illustre les dérives d’une justice toujours plus obnubilée par la prévention des risques, au mépris de la loi et des droits fondamentaux.
Incarcéré depuis treize ans, Jamal E. devait être libéré le 1er avril 2022, date de la fin de sa peine de prison. Avec l’aide de sa conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) et de l’association R libre, œuvrant pour la réinsertion des personnes détenues, il préparait activement sa sortie depuis août 2019 : il devait être hébergé chez sa mère et avait obtenu une promesse d’embauche pour un contrat de chauffeur poids-lourd.
À l’issue de son incarcération, monsieur E. doit cependant se soumettre à un suivi socio-judiciaire, peine complémentaire qui impose à une personne de respecter des interdictions et obligations afin de prévenir une éventuelle récidive. Or, un mois et dix jours avant sa date de libération, la juge de l’application des peines (JAP) en charge de son dossier décide d’ajouter plusieurs mesures à son suivi socio-judiciaire, parmi lesquelles l’interdiction de paraître dans l’arrondissement de Lille où il a justement prévu de résider et travailler. « Tout ce qu’on a construit ensemble est tombé à l’eau. Psychologiquement pour lui, c’était vraiment dur », témoigne la travailleuse sociale de l’association qui l’accompagne alors. Le 31 mars 2022, veille de la fin de peine de monsieur E., la JAP ordonne son maintien en détention pour non-observation de son suivi judiciaire, faute d’un projet d’hébergement se conformant à cette nouvelle obligation. Une décision qui n’a aucun fondement juridique. Selon la loi, « le suivi socio-judiciaire s’applique […] à compter du jour où la privation de liberté a pris fin »[1] : Jamal E. n’étant jamais sorti de détention, il ne doit pas pouvoir être sanctionné pour l’inobservation par anticipation de celui-ci. Il reste néanmoins incarcéré, et commence alors pour lui une longue période de totale incompréhension et d’espoirs brisés.
À l’automne 2022, Jamal E. – qui a obtenu un CAP pâtisserie pendant sa détention – se rapproche du Secours catholique avec lequel il construit un projet de réinsertion dans une boulangerie, hors des communes qui lui sont interdites. Contre toute attente, ses demandes de permissions de sortir ayant toujours été refusées jusque-là, il obtient même l’autorisation de se rendre sur place, afin de rencontrer le couple de boulangers et le maire du village. Mais, lors de la visite, il est escorté par deux surveillants pénitentiaires et entravé aux mains et aux pieds. « C’était la première fois, en dix ans d’exercice, que je voyais ça. On ne peut pas afficher quelqu’un comme ça, alors qu’il est en phase de réinsertion ! », s’offusque son accompagnateur du Secours catholique. Malgré les conditions de cette rencontre, les personnes impliquées maintiennent leur souhait d’accueillir monsieur E. Pourtant, le projet tombe à l’eau à la suite d’un rapport défavorable du CPIP qui devait l’accompagner à sa sortie : celui-ci aurait estimé trop fragile l’engagement des boulangers et aurait considéré que le signal GPS n’était pas optimal, Monsieur E. devant porter un dispositif de surveillance mobile. Jugeant le projet trop instable, la JAP décide une nouvelle fois, en novembre 2022, de prolonger sa détention.
Saisie par l’avocat de Jamal E., la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Douai, a fini par reconnaître, le 2 juin 2023, que son maintien en détention était infondé. En plus de rappeler que ne pouvait être reproché une violation des obligations et interdictions d’un suivi socio-judiciaire qui n’a pas encore pris effet, la Cour d’appel a recommandé d’assouplir le périmètre d’interdiction de paraître de monsieur E., afin qu’il puisse « retrouver la liberté dans des conditions favorables à sa réinsertion ». Le 2 juin 2023, il a donc enfin été libéré, après plus d’un an de détention illégale.
Par Maëlys Laval
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°119 – août 2023 : Discipline en prison : la punition dans la punition
[1] Article 131-36-5 du code pénal