En plaidant pour une régulation carcérale contraignante et une peine de probation unique, la mission d’information parlementaire dirigée par Caroline Abadie et Elsa Faucillon sort de la zone de confort dans laquelle les autorités françaises s’enferment depuis des décennies. Mais si elle constate l’inefficacité des politiques mises en œuvre jusqu’ici, elle n'en tire pas tous les enseignements. Et rien ne semble arrêter la majorité dans sa fuite en avant.
Mettre fin à la surpopulation carcérale à l’horizon 2027, ne plus faire de la prison la seule peine de référence : à défaut d’être nouvelles, ces propositions ont le mérite d’être relativement ambitieuses dans le climat politique actuel. Elles figurent parmi les treize recommandations formulées dans le rapport de la mission d’information « sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale », publié le 19 juillet au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale. Le fruit de cinq mois de travaux pendant lesquels les députées Caroline Abadie (Renaissance) et Elsa Faucillon (Nupes) auront mené une cinquantaine d’auditions.
Plus un seul quartier pénitentiaire surpeuplé
Le constat de départ ne fait plus débat : la surpopulation chronique et « inacceptable » des établissements pénitentiaires aggrave l’indignité des conditions de détention et cantonne la prison à sa fonction punitive et de mise à l’écart, au détriment de sa mission de réinsertion et de prévention de la récidive. Les rapporteures reconnaissent que la construction de nouvelles prisons n’a pas permis d’y mettre fin et que les essais locaux de régulation carcérale n’ont pas eu de conséquences pérennes. Se rendant à l’avis unanime des personnes auditionnées, « quelle que soit leur orientation politique », elles prônent donc la création urgente d’un mécanisme de régulation carcérale national et contraignant, vu comme l’unique solution capable d’éradiquer la surpopulation.
Les députées proposent de réduire l’effectif des personnes détenues « en surnombre » d’un tiers chaque année, jusqu’à atteindre 100 % d’occupation maximum dans tout quartier pénitentiaire d’ici juillet 2027. Afin de préserver l’indépendance des juges, il reviendrait d’abord aux acteurs judiciaires et pénitentiaires locaux de définir ensemble les moyens d’y parvenir. À défaut, un « mécanisme de secours » serait activé par le juge de l’application des peines : la libération sous contrainte de personnes condamnées à une peine de deux ans maximum et au reliquat inférieur ou égal à six mois. Reliquat qu’elles exécuteraient alors en liberté conditionnelle, en détention à domicile sous surveillance électronique, en placement à l’extérieur ou en semi-liberté.
De vraies alternatives à la prison
Caroline Abadie et Elsa Faucillon reprennent à leur compte un autre constat unanimement partagé par les personnes auditionnées, et pourtant trop peu mis en exergue dans le débat public : à l’heure actuelle, les mesures dites alternatives à la prison « mordent sur la liberté et non sur l’emprisonnement ». En d’autres termes, elles touchent des personnes qui, « jugées pour des faits similaires dans les années 1970, seraient restées totalement libres », tandis que les prisons continuent de se remplir. Ces quarante dernières années, le nombre de personnes suivies par la justice en milieu ouvert a ainsi augmenté de 145 % pendant que celui des personnes incarcérées augmentait de 98 %, « sans commune mesure » avec la croissance de la population française. L’enjeu n’est donc pas de multiplier les formes d’alternatives ou leur prononcé, notent les rapporteures, mais de « favoriser le recours à des peines véritablement alternatives à l’emprisonnement », notamment les plus individualisées comme le placement à l’extérieur (voir dossier).
Pour ce faire, elles recommandent une simplification du droit existant et l’instauration d’une peine de probation unique et autonome, c’est-à-dire détachée de toute référence à la prison, qui regrouperait l’ensemble des peines alternatives existantes, sauf l’amende. Elle conduirait à une césure du procès pénal : le juge de l’application des peines déterminerait dans un second temps les modalités de sa mise en œuvre, afin de « garantir l’adéquation entre le profil de la personne condamnée et le type de peine de probation décidée ». Portée depuis des années par le Conseil de l’Europe[1] et l’OIP, une telle réforme viserait surtout à installer l’idée que l’emprisonnement n’est pas la seule sanction qui vaille. La peine de probation deviendrait l’unique peine prononçable pour certains délits « de faible intensité », par exemple ceux qui sont aujourd’hui punis de six mois voire d’un an de prison. En complément, les rapporteures soulignent l’intérêt d’une réflexion collective sur la réduction des durées d’emprisonnement encourues, dans une dynamique opposée à celle de l’inflation pénale.
Des recommandations en-deçà des constats dressés
L’analyse est ici résolument plus fine que celle du rapport signé dix-huit mois plus tôt par Caroline Abadie, et elle conduit à des recommandations plus ambitieuses. Celles-ci restent cependant limitées face à la force des constats formulés et à l’urgence d’agir maintes fois répétée. Tout en reconnaissant que la construction de nouvelles places de prison est inefficace et produit des effets délétères, les rapporteures ne réclament pas l’abandon de cette politique. De la même manière, tout en soulignant la nécessité de privilégier l’accompagnement en milieu ouvert, elles préconisent d’en « augment[er] le contrôle » et ne remettent pas en cause la place prépondérante du bracelet électronique, mesure de surveillance par excellence.
Certaines ambitions initiales du rapport ont été compromises par la recherche d’un accord transpartisan. Ainsi le mécanisme de régulation carcérale proposé prévoit-il des libérations sous contrainte, et non plus des réductions de peine exceptionnelles, comme initialement envisagé. Cette dernière option, plus ambitieuse, avait été mise en œuvre lors de la pandémie de Covid-19 : combinée notamment à la baisse des entrées en prison, elle avait permis une diminution inédite du nombre de personnes détenues.
En ce qui concerne les causes structurelles de la surpopulation carcérale, force est de constater que les recommandations retenues restent largement en-deçà des pistes évoquées dans le rapport. Au fil de leurs développements, les rapporteures soulignent la nécessité de limiter le recours à la détention provisoire et aux comparutions immédiates, qui multiplient chacune par huit la probabilité d’être condamné à de la prison ferme[2]. Elles suggèrent notamment que la détention provisoire ne soit plus envisageable que pour les délits passibles d’au moins cinq ans de prison et qu’elle doive être davantage motivée par les juges. Mais ces pistes concrètes restent confinées aux pages intérieures. De même, tout en se positionnant contre l’inflation pénale et l’augmentation continue des durées d’emprisonnement encourues ces dernières années, les députées ne formulent aucune recommandation explicite pour inverser ce processus, pourtant au cœur de la dynamique carcérale (voir p. 7 de la revue Dedans Dehors N°120).
Un rapport déjà enterré ?
Mais c’est avant tout la temporalité de la publication du rapport qui interpelle : il n’a été présenté en commission des Lois qu’au lendemain de l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi d’orientation et de programmation 2023-2027 du ministère de la Justice. Certes, les rapporteures n’avaient pas attendu pour faire des propositions allant dans le même sens : elles ont notamment porté, en commission des Lois, le dispositif de régulation carcérale initialement prévu[3]. Mais après une censure gouvernementale, la députée de la majorité Caroline Abadie n’a finalement pas soutenu son amendement. Celui d’Elsa Faucillon a quant à lui été rejeté sur le fil, la conduisant à porter en séance publique le dispositif moins ambitieux finalement retenu par la mission d’information – sans davantage de succès. Une proposition de la députée Nupes visant à réduire le recours à la comparution immédiate en cas de flagrant délit a également été rejetée. La peine de probation unique et autonome, quant à elle, n’a fait l’objet d’aucun amendement.
Pire, à l’opposé de l’esprit des changements prônés par la mission d’information, les négociations entre la majorité et Les Républicains ont finalement conduit l’Assemblée nationale à ajouter la construction de 3 000 places de prison aux 15 000 déjà prévues. Un amendement d’Éric Ciotti auquel Caroline Abadie et Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des Lois, ont répondu : « Chiche ! » Au lieu de tendre l’oreille aux constats unanimes des acteurs de terrain, partiellement relayés par la mission d’information, les autorités conservent donc le cap d’une politique immobilière qui va droit dans le mur.
Par Prune Missoffe
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine
[1] Recommandation Rec (2000) 22 du Comité des ministres aux États membres concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, 29 novembre 2000.
[2] Virginie Gautron et Jean-Noël Retière, « La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? », Mouvements n°88, 2016/4.
[3] Amendements identiques CL578 et CL397, première lecture du projet de loi n° 1346, examen en commission des Lois.