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Mesures de surveillance administratives : de casse-tête en quiproquo, la réinsertion entravée

Prononcées par le ministère de l’Intérieur – souvent à l’issue d’une peine de prison – les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) emportent avec elles tout un panel d’obligations et d’interdictions. Un cumul de mesures qui rend parfois impossible toute démarche de réinsertion, quand elles ne sont pas en contradiction avec certaines obligations judiciaires.

« Dès ma levée d’écrou, j’ai été sous le coup de Micas. Je suis assigné à la commune de M., et je dois pointer au commissariat de police tous les matins, à 9h », explique Amine, sorti de prison en août 2019. Comme lui, la plupart des sortants de prison condamnés pour des faits de terrorisme font l’objet de Micas. Entre le 1er novembre 2017 et le 31 décembre 2019, 205 personnes ont été concernées par ces mesures, imaginées par le législateur pour venir remplacer l’assignation à résidence utilisée dans le cadre de l’état d’urgence. Ces mesures viennent souvent se heurter aux projets de réinsertion et constituent « une contrainte supplémentaire à l’accomplissement des démarches – administratives, professionnelles, à l’extérieur », comme le dénonce la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Venir pointer quotidiennement dans un commissariat à heure fixe, être strictement assigné à une commune : difficile, dans ces conditions, de trouver un emploi. « J’avais trouvé un employeur, pour travailler sur les chantiers. Sauf qu’avec la Micas, finalement il ne veut pas me prendre : avec l’obligation de pointer tous les jours à 17h et l’interdiction de sortir de la commune, ce n’est pas possible. C’est un peu dur de chercher un emploi quand on est limité à une petite ville de banlieue », explique Julien, sorti de prison en 2019. Seule solution pour sortir de la commune assignée : demander un sauf-conduit, sésame accordé parcimonieusement par le ministère de l’Intérieur. « On m’a dit que des dérogations pouvaient être autorisées, par exemple si je trouvais un travail avec des déplacements hors de la commune. Peu de temps après ma sortie, j’ai trouvé un emploi de chauffeur : j’ai donc demandé une dérogation, pour pouvoir travailler. Ça m’a été refusé, et j’ai dû renoncer à ce poste », rapporte Amine.

Outre les contraintes qui leurs sont inhérentes, ces mesures peuvent parfois se transformer en véritable casse-tête, tant pour les personnes concernées que pour leurs accompagnants. « La personne que je suivais était sous le coup de Micas à sa sortie, en plus du SME [sursis avec mise à l’épreuve]. Il devait aller signer au commissariat d’une autre ville que la sienne, à vélo… mais il n’avait pas le droit de traverser la commune qu’il y avait au milieu pour y aller », soupire une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). L’expérience qu’en a fait Julien est également significative. « Je dois pointer tous les jours au commissariat à 17h. Un jour, j’ai grillé un feu orange. Ils m’ont arrêté, mis en garde à vue avec un rappel à la loi parce que je n’ai “pas pris le trajet le plus direct”. Au lieu de passer par la voie rapide, j’étais passé dans le centre-ville, c’est quasiment la même distance, mais peut-être que ça rallonge un peu. Sur le saufconduit (puisque je dois sortir de la ville où je suis assigné à résidence pour aller pointer au commissariat de la ville d’à côté), il est écrit que je dois revenir “immédiatement”, pas qu’il faut prendre le trajet le plus direct. » Et les incohérences s’enchaînent : ses rendez-vous avec le CPIP étant situés dans une autre ville, un sauf-conduit est également nécessaire pour s’y rendre. Passé une première demande, son conseiller le rassure : les sauf-conduits seront désormais délivrés automatiquement au commissariat – ce qui est bien le cas lors du rendez-vous suivant. Persuadé que leur délivrance était automatique, Julien n’en a pas fait la demande pour se rendre au troisième rendez-vous. Contrôlé, il se retrouve alors dans l’impossibilité de présenter le précieux sésame. Convoqué au poste de police de police, il tente d’expliquer le quiproquo – avoir violé une obligation administrative pour satisfaire une obligation judiciaire – et reste aujourd’hui dans l’attente d’éventuelles poursuites.

Dans ces conditions, la fin de peine n’en est plus vraiment une. « La personne a purgé sa peine, quand va-t-on la laisser refaire sa vie ? » questionne Walid, soumis lui aussi à ces mesures. « Pour moi, la vraie date de ma libération, ce n’est pas à ma sortie de prison, mais à l’arrêt des Micas six mois plus tard. Je n’ai pas les mots pour décrire ce que c’est », conclut Amine.

Par Charline Becker