Free cookie consent management tool by TermsFeed

Mineurs incarcérés, mineurs en danger

Entre octobre 2023 et août 2024, cinq adolescents se sont suicidés en détention. Des actes qui posent des questions lourdes. Particulièrement fragiles, les mineurs incarcérés sont aussi particulièrement sensibles aux effets délétères de l’enfermement. Ils sont pourtant affectés, comme les majeurs, par le manque d’accompagnement et d’accès aux soins en détention.

En moins d’un an, cinq adolescents se sont suicidés dans les prisons françaises : Mustapha, 16 ans, le 4 octobre 2023 au quartier mineurs (QM) du centre pénitentiaire de Villepinte ; Louis, le 15 octobre à Caen ; un jeune de 17 ans à Lavaur le 22 novembre ; un autre garçon du même âge en juin 2024 à Orvault ; et enfin Paris, 16 ans, le 18 août à Porcheville. Si le nombre de suicides reste à peu près stable ces dernières années en QM et en établissements pour mineurs (EPM), les tentatives de suicide semblent en augmentation, d’après Caroline Nisand, directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Comme divers travaux l’ont montré, « les mineurs auteurs d’actes de délinquance cumulent différents facteurs de vulnérabilité, sociale, psychologique et médicale qui en font une population particulièrement fragile »[1]. Mais cela n’explique pas tout, puisque 86% des tentatives de suicide signalées parmi les jeunes pris en charge par les services de la PJJ concernent des mineurs incarcérés, qui représentent pourtant une très faible proportion de l’ensemble. Ce qui invite à s’interroger sur le rôle de l’enfermement.

Le guide pratique sur la prévention du suicide (voir p.21) mis à disposition des agents de la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) recommande « une attention particulière » à la situation des mineurs, fondée sur l’individualisation du suivi et le partage d’informations entre les différents services œuvrant en détention : administration pénitentiaire, PJJ et services de santé[2].

Des alertes dans le vide

Mais le dispositif fait face à de nombreux écueils. Un des obstacles, souligné par Caroline Nisand, tient au fait que « les jeunes de la PJJ expriment peu d’idées suicidaires par rapport aux jeunes en population générale »[3]. Ainsi, d’après l’équipe éducative de l’EPM d’Orvault, les entretiens menés la veille de son décès avec l’adolescent qui s’est suicidé en juin n’avaient pas permis d’identifier de risque particulier. Le fait que des pensées suicidaires soient exprimées n’est pourtant pas toujours un gage de protection pour les mineurs concernés. Pour les deux suicides récents sur lesquels l’OIP a pu obtenir des informations précises, des alertes avaient été données et, comme dans le cas de Djilali au QM de Liancourt en 2022, « tous les voyants étaient au rouge pour indiquer un passage à l‘acte […] imminent ». À Porcheville, l’éducateur à qui Paris exprime son profond mal-être et son intention de mettre fin à ses jours, en précisant le mode opératoire – « Tous les jours, j’ai envie de me suspendre » –, explique avoir prévenu la responsable locale de la PJJ, les cadres pénitentiaires et l’unité sanitaire.

Pourtant, les propos des adolescents ne sont pas toujours pris en compte. « Les juges ne prennent pas toujours au sérieux la détresse des jeunes et peuvent penser qu’il s’agit d’une stratégie pour éviter l’incarcération. La volonté de punir est plus puissante », déplore Margot Pugliese, avocate au barreau de Paris. « Ils délèguent, en quelque sorte, la prise en compte du danger à l’administration pénitentiaire. » Or, en prison aussi, même quand des alertes sont lancées voire réitérées, elles ne sont pas toujours perçues comme relevant de l’urgence. Le placement en cellule de protection d’urgence (CProU), recommandé par l’administration pénitentiaire dans les situations de « risque de passage à l’acte imminent » même s’il n’a rien d’une panacée (voir p.26), semble très peu prononcé pour les mineurs. La cellule mise en service en janvier 2024 à l’EPM de Porcheville n’a été utilisée ni pour Paris au moment où il a exprimé des idées suicidaires, ni pour aucun autre jeune. « Il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce que les jeunes disent », aurait même lancé un agent pénitentiaire à l’éducateur ayant alerté et s’étonnant que l’adolescent n’ait pas été extrait en urgence vers l’hôpital.

Le cas de Mustapha, au QM de Villepinte, est un exemple frappant de ces multiples alertes non suivies d’effet. Comme l’a établi Margot Pugliese, avant son incarcération, il a exprimé ses pensées suicidaires à l’enquêtrice sociale, qui les a consignées dans son rapport – « si je retourne en prison, je me suicide » –, et au juge des libertés et de la détention, qui les a notifiées dans la fiche de liaison à destination de la détention. Le matin de son arrivée à Villepinte, l’éducatrice de la PJJ relève qu’il est très fragile et doit être surveillé, et elle alerte immédiatement les cadres de l’administration pénitentiaire. Malgré cela, Mustapha n’a été ni hospitalisé, ni placé en CProU. D’après les propos des autres adolescents du quartier, rapportés par plusieurs professionnels, il a poussé des cris pendant un long moment avant de se suicider. « Les surveillants ont cru qu’il criait parce qu’il était en manque », confie une éducatrice. Pourtant les premiers jours de détention sont particulièrement critiques, le taux de suicide étant sept fois plus élevé au cours de la première semaine d’incarcération qu’après six mois, comme l’établissent les travaux d’Alexis Vanhaesebrouck (voir p.28). De fait, trois suicides sur les cinq survenus au cours de l’année écoulée ont eu lieu le lendemain de l’incarcération du jeune.

Une prise en charge déficiente

Dans les cas où l’alerte a été donnée, à Porcheville comme à Villepinte, ou encore à Fleury en 2022, les mesures de prévention prises par l’administration pénitentiaire ont consisté en une surveillance renforcée, c’est-à-dire la mise en place de rondes régulières pour surveiller l’adolescent. Cette mesure s’applique d’ailleurs à tous les jeunes qui viennent d’arriver en prison. Mais qu’elles aient été effectives ou non, ces rondes n’ont pas empêché les adolescents de se pendre aux barreaux, montrant les limites d’un dispositif centré sur l’évitement du passage à l’acte plus que sur les causes du mal-être (voir p.26). Comme le résume un jeune rencontré par les sénatrices Ghislaine Sénée et Anne Souyris lors de leur visite de l’EPM de Porcheville le 30 septembre : « Si j’ai un problème, c’est pas les surveillances par l’œilleton de ma cellule qui vont m’aider à aller mieux ! »

Confrontés au quotidien à la détresse aiguë des adolescents incarcérés, les professionnels pénitentiaires et éducatifs intervenant dans les QM et EPM ont peu de leviers d’action. S’ils se saisissent de l’ensemble des outils et procédures d’évaluation et d’alerte, ils sont démunis face aux besoins des jeunes, qui dépassent le champ de leurs missions et expertise. « Une réelle prévention ne consiste pas à évaluer les individus selon une grille », précise Jean-Christophe Maccotta, psychiatre, directeur médical de l’équipe des transitions adolescentes et de prévention des exclusions (ETAPE). « Travailler le lien est essentiel dans des situations extrêmes comme l’incarcération, notamment pour ces jeunes qui ne sont pas toujours à même de le faire exister seuls. »

Or, l’accompagnement psychiatrique et psychologique, nécessaire pour travailler sur les causes de la souffrance psychique, est souvent indigent dans les établissements pénitentiaires, y compris ceux qui accueillent des mineurs. À Porcheville, le jour de l’alerte, les infirmières de l’unité sanitaire étaient seules pour recevoir Paris et décider de l’extraire ou non vers l’hôpital de rattachement. Concours de circonstances certes, l’alerte étant survenue un dimanche du mois d’août, période de congé pour la médecin généraliste et la psychologue de l’unité sanitaire, mais aussi symptôme d’un accès aux soins psy inadapté aux besoins des adolescents incarcérés : il n’y a plus de psychiatre à l’EPM depuis 2020, et les consultations psychiatriques sont très rarement mobilisées. « Il faut organiser des extractions vers l’hôpital, cela augmente la pression sur les équipes pénitentiaires, déjà en tension », explique la médecin de l’EPM lors de la visite parlementaire du 30 septembre. En conséquence, trois consultations psychiatriques seulement ont été effectuées en 2023 à Porcheville, contre 328 à l’EPM de Lavaur[4] pour une même capacité d’accueil de 59 places. Et si une psychologue est présente sur place, le poste est resté vacant pendant six mois en 2023. Outre des conséquences sur le suivi des adolescents, ces absences inspirent à certains un sentiment de délaissement, comme l’exprime un jeune lors de la visite parlementaire : « Si j’ai un problème, il ne va rien se passer. Je vais faire une demande à l’US [unité sanitaire], et on me répondra dans un mois ! »

La situation n’est pas aussi critique dans les autres EPM. À Orvault, Quievrechain et Lavaur, un psychiatre et un psychologue de l’hôpital de rattachement assurent des permanences dans l’établissement. En revanche, dans les quartiers mineurs des prisons pour adultes, l’accès est majoritairement dégradé, l’équipe hospitalière présente sur place intervenant pour l’ensemble de la détention, dont les mineurs ne constituent qu’une petite minorité. À Villepinte, où trois tentatives de suicide ont eu lieu au quartier mineurs après le suicide de Mustapha, un psychiatre est présent un jour par semaine pour tout le centre pénitentiaire, qui comprend 1204 détenus majeurs (et
33 mineurs)[5]. « Il fait le maximum pour voir les jeunes le plus vite possible, mais il suffit qu’il soit absent pour qu’on n’ait plus de solution. Et l’équipe de l’unité sanitaire est débordée de demandes », déplore une éducatrice. Étant donné le manque de personnel hospitalier et la surpopulation dans nombre d’établissements, les soignants n’ont pas le temps de porter une attention permanente aux jeunes, encore moins d’aller détecter des souffrances psychiques qui ne seraient pas exprimées. Dans un des quartiers mineurs dans lesquels Alice Simon a enquêté, « les délais pour obtenir un rendez-vous chez le médecin psychiatre, condition nécessaire à l’octroi d’une ordonnance pour traiter des troubles du sommeil, peuvent potentiellement excéder le temps de détention » des jeunes.[6]

Difficiles d’accès, les soins en santé mentale peuvent aussi être entravés par les difficultés linguistiques. Les unités sanitaires ont accès à des services d’interprètes, mais pour des raisons organisationnelles, ils ne sont pas toujours mobilisés. À Porcheville, explique l’équipe médicale lors de la visite parlementaire, « on se débrouille en interne », le plus souvent en ayant recours à des surveillants qui parlent la langue. Constaté dans d’autres établissements lors de l’enquête d’Alice Simon, ce recours au personnel de surveillance constitue néanmoins « une entrave au secret médical et peut constituer un frein à la libération de la parole »[7].

Pour tenter de répondre aux besoins des jeunes, d’autres intervenants donnent de leur temps. « Le psychologue de l’équipe PJJ vient plus souvent que le jour par semaine prévu officiellement », explique le directeur de la maison d’arrêt de Besançon lors d’une visite parlementaire en février. Mais les psychologues de la PJJ ne peuvent assurer à eux seuls le suivi et les soins psychiques des adolescents, faute de temps et parce que leur mission principale s’inscrit dans le projet éducatif des jeunes plus que dans le soin.

Le manque criant de soins psychiatriques en détention ne peut surprendre dans un contexte de pénurie grandissante au niveau national, mais il interroge d’autant plus lorsqu’il porte préjudice à des adolescents connus pour leur grande fragilité, que vient encore renforcer l’incarcération. En effet, si les déterminants du suicide sont multiples, l’enfermement constitue « sans nul doute un contexte favorisant le passage à l’acte », comme le conclut Alice Simon dans son rapport de 2023[8].

L’isolement, un facteur aggravant

La détresse des adolescents incarcérés est souvent renforcée par l’expérience de l’isolement. La distance géographique, la faible accessibilité des lieux d’incarcération et le peu de ressources des familles constituent des obstacles majeurs au maintien des liens familiaux. Les visites sont souvent peu régulières, pour ne pas dire inexistantes. À l’EPM de Porcheville, 40 % des jeunes ne reçoivent pas de visites de leurs proches. À Quievrechain, la proportion s’élève à près de 60 %[9]. Le phénomène est massif pour les mineurs non accompagnés, qui constituent 8% de la population carcérale mineure[10], mais aussi pour « la plupart des jeunes qui étaient placés […] depuis plusieurs années avant leur incarcération », d’après l’enquête sur les effets de l’enfermement[11]. Or ces jeunes sont également coupés des groupes et éventuellement familles de substitution dans lesquels ils évoluaient à l’extérieur, les parloirs étant quasi-exclusivement fréquentés par des membres de la famille.

Cette détérioration du lien familial, particulièrement délétère à un âge de construction de soi, n’est pas compensée par une réelle socialisation en prison. Si en théorie les jeunes sont rassemblés en groupes de vie, ceux-ci sont de très petite taille, et les moments collectifs sont peu nombreux, surtout dans les quartiers mineurs, faute de personnel disponible pour les encadrer et accompagner les mouvements. Le volume horaire de la scolarité et des activités éducatives est très variable, et plus faible dans les QM. « Ils ne vont pas forcément en cours s’ils ont plus de 16 ans, surtout les allophones. À Fleury, beaucoup de mineurs ne font rien, ni école, ni travail. Ils font du foot une demi-journée par semaine, voilà ! » dénonce Fatiha Khettab, présidente de l’association SOS Migrants mineurs. Quant aux projets éducatifs, qui pourraient aider les jeunes à supporter des conditions de détention éprouvantes, ils peinent à émerger dans un contexte pénitentiaire de plus en plus contraignant pour les éducateurs[12]. Résultat, certains jeunes passent le plus clair de leur temps en cellule. C’est le cas depuis des mois à l’EPM du Rhône, où l’absentéisme du personnel pénitentiaire atteint 34 %, voire la moitié de l’effectif selon les périodes, entraînant des annulations d’activités.

Au quartier mineurs de Caen-Ifs, les jeunes ne peuvent plus se voir par la fenêtre, comme ils le pouvaient dans l’ancien établissement. « Le peu d’humanité de l’ancienne prison a disparu. Par la fenêtre, ils ne voient plus que le mur d’enceinte. Ils se parlent sans se voir, à travers les barreaux », constate Marec de L’Espinay, du syndicat SNPES-PJJ/FSU. La barrière de la langue est là aussi une source supplémentaire d’isolement, qui touche particulièrement les mineurs non accompagnés (MNA), déjà fréquemment stigmatisés et mis à l’écart, surtout lorsqu’ils sont aussi poly-consommateurs de drogue. En 2021, 55 % des 153 tentatives de suicide enregistrés par la PJJ ont été le fait de MNA. Très fragilisés au départ, ces jeunes ne trouvent nulle part l’occasion d’exprimer leur souffrance.

Pourtant, renforcer l’isolement semble constituer la réponse privilégiée aux incidents en détention. D’après des informations venant de plusieurs établissements, les adolescents dont le comportement est jugé problématique sont automatiquement mis à l’écart du reste de la détention, en attendant le passage en commission de discipline. « On les confine pour un rien. Dès qu’un mineur pose des problèmes, on le confine dans sa cellule, sans TV, il est seul en promenade et n’a plus ni cours, ni activités », explique une éducatrice du QM de Villepinte. « Après un passage au quartier disciplinaire (QD), on le change de cellule, de groupe de vie. S’il résiste, on le transfère », précise une autre éducatrice. Ce type d’isolement dure généralement quelques jours mais peut se prolonger pendant plusieurs semaines. À l’EPM d’Orvault, alors que l’isolement est interdit pour les mineurs, un adolescent aurait été isolé à l’unité « filles » pendant tout le mois d’août. Une pratique qui avait déjà été dénoncée dans cet établissement en 2023. Autant de dysfonctionnements qui, ajoutés au turn-over, et malgré les efforts de certains personnels, ne permettent pas d’inscrire ou de réinscrire les jeunes dans des parcours vertueux.

À la prison de Villepinte, les mineurs mobilisés pour soutenir leurs codétenus

Par Odile Macchi

Cet article a été publié dans le Dedans Dehors N°124 : Dix fois plus de suicides en prison qu’à l’extérieur

 

[1] Alice Simon, Les effets de l’incar­cération sur les mineurs, Direction de la Protection judiciaire de la jeu­nesse, septembre 2023.

[2] Une circulaire interministé­rielle consacre l’importance des trinômes de référents locaux AP / PJJ / US pour le pilotage et l’animation de la politique de prévention du suicide.

[3] Le fait est établi par Guillaume Bronsard et al., « Prevalence of mental disorders in closed educa­tional centers in France », L’Encé­phale, 2023.

[4] Rapport d’acti­vité de l’EPM de Lavaur, 2023

[5] Direction de l’administration pénitentiaire, Statistiques des établissements et des personnes écrouées en France, 1er septembre 2024.

[6] Alice Simon op. cit.

[7] Ibid

[8] Ibid

[9] Rapport d’acti­vité de l’EPM de Quievrechain, 2023

[10] Source : DPJJ, octobre 2024

[11] Alice Simon, op. cit.

[12] Voir le com­muniqué intersyn­dical « Plan social à la PJJ, pour un service public de qualité », 3 sep­tembre 2024.