Ils étaient mille conseillers d’insertion et de probation, soit un tiers de la profession, à battre le pavé le 10 mai dernier. Depuis le mois de février, les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation sont engagés dans une mobilisation de grande ampleur pour réclamer une meilleure reconnaissance de leur travail. Un mouvement qui peine à se faire entendre.
La mobilisation des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) partait, en février dernier, avec de sérieux handicaps : leur statut pénitentiaire leur interdit le droit de grève, leur profession est peu connue du grand public et leurs revendications sont éclipsées par les manifestations contre la loi travail. Il a fallu des mois de mobilisation, alternant «semaines mortes» et rassemblements en région, pour que la porte du dialogue commence à s’ouvrir fin juin.
Les oubliés de l’administration pénitentiaire
En décembre 2015, les CPIP découvrent qu’un accord passé entre le ministère de la Justice et les organisations syndicales, dans le cadre du Plan de lutte anti-terroriste (PLAT 2) et à la suite d’un mouvement de surveillants en octobre, prévoit un renforcement humain et des mesures indemnitaires pour l’ensemble des personnels pénitentiaires… sauf pour la filière insertion et probation. Dans le même temps, le recrutement des mille nouveaux CPIP prévu sur 2014-2016 pour la mise en oeuvre de la réforme Taubira prend du retard. Alors que l’administration pénitentiaire (AP) se réjouit de « mesures historiques » pour les personnels pénitentiaires, c’est la « goutte d’eau » pour des professionnels dont la charge de travail ploie sous des tâches qui se sont multipliées ces dernières années. D’autant qu’ils ont aussi connu de profonds bouleversements identitaires à la suite de modifications législatives successives, et sont désormais sous le coup d’importantes pressions pour prévenir les risques de radicalisation violente.
Avec pour mission principale la prévention de la récidive, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont chargés du suivi de l’ensemble des personnes placées sous main de justice. 3400 conseillers*, auxquels s’ajoutent 500 directeurs d’insertion et de probation, accompagnent près de 250 000 personnes, pour deux-tiers en milieu ouvert. Chaque CPIP gère en moyenne une centaine de dossiers, parfois jusqu’à 130 voire davantage, quand le Conseil de l’Europe préconise un ratio de prise en charge de trente à soixante personnes par agent de probation. En 2016, le budget de fonctionnement des SPIP était de 24,6 millions d’euros, sur 1,3 milliard – hors masse salariale – pour l’ensemble de l’administration pénitentiaire. « On est un corps de 3000 et face à nous, on a des surveillants qui représentent 28 000 personnels : en terme de visibilité et de poids, ce n’est pas la même chose. Par ailleurs, quand des surveillants déposent leurs clés, les répercussions sont visibles en terme de sécurité, y compris sur l’opinion publique. L’impact n’est pas le même que des CPIP qui ne vont plus en entretien et qui ne perturbent que les condamnés », note Fabienne Titet, secrétaire nationale de la CGT Insertion Probation, pour expliquer que l’administration reste sourde à leurs revendications. Pour Sarah Silva-Descas, également secrétaire nationale de la CGT Insertion Probation, le traitement réservé à la filière rejoint des enjeux d’égalité professionnelle entre hommes et femmes. La profession est à 75% féminisée. Or, constate-t-elle, « des améliorations sont proposées à un corps essentiellement masculin et pas à un corps essentiellement féminin ».
Des professionnels soumis aux aléas du politique
Derrière la reconnaissance des métiers de l’insertion et de la probation se jouent des enjeux de politique pénale. En milieu ouvert, la faiblesse des ressources humaines et la culture du contrôle consacrée par les législations successives font que le quotidien des CPIP est absorbé par la vérification du respect d’interdictions et obligations. En détention, il est ralenti par le travail administratif, alourdi encore par la réforme Taubira de 2014, qui s’est arrêtée au milieu du gué. L’examen systématique de la situation des détenus aux deux tiers de leur peine, prévue dans le cadre de la procédure de libération sous contrainte, a « créé une charge de travail supplémentaire car tous les dossiers doivent être préparés et examinés, même si, derrière, les gens ne sortent pas », explique Olivier Caquineau, secrétaire général du syndicat SNEPAP-FSU. La contrainte pénale, si elle ne décolle pas, amène quant à elle « une autre façon de travailler ».
La profession a connu des transformations profondes depuis vingt ans, créant un trouble sur l’identité des professionnels, avec une évolution d’un travail social vers un travail plus juridique et, aujourd’hui, une approche davantage criminologique axée sur le passage à l’acte. Dans la foulée de la conférence de consensus, une impulsion a été donnée pour interroger les pratiques, s’ouvrir à ce qui se fait à l’étranger, faire remonter au niveau national ce qui marche sur le terrain. « Depuis deux ans, les CPIP ont été très sollicités sur un aggiornamento de leurs modalités d’intervention, précise Olivier Caquineau. Les gens se sont investis, en plus de leur charge de travail, sur des groupes de réflexion au niveau local, régional et national. » Les organisations syndicales ont joué le jeu, dépassant leurs points de divergence sur leur identité professionnelle « avec une volonté d’avancer sur les points de convergence », note-t-il encore.
Les attentats de 2015 et l’agression violente, en octobre, d’un policier par un détenu qui n’était pas revenu d’une permission de sortir vont changer la donne. « Le curseur, qui avait déjà péniblement tourné vers les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et leurs missions, est revenu en arrière », juge Olivier Caquineau. Et si le travail des SPIP n’a jamais été une priorité, l’attention qui y est portée est désormais encore moins importante que par le passé. « Ça se concrétise dans la déclinaison du plan de lutte contre le terroriste, avec des moyens qui repassent entièrement sur la détention », note-t-il, et « une administration qui ne parle plus et ne vit plus qu’à travers la lutte contre la radicalisation ».
Des injonctions paradoxales
Les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la radicalisation contribuent également à surcharger les CPIP et, surtout, alimentent leur mal-être. Des postes de délégués locaux du renseignement ont été créés au sein des services, avec une pression sur les CPIP pour faire remonter des informations, et un risque réel « que les gens se mettent à signaler n’importe quoi », met en garde Olivier Caquineau. Sans parler de la confusion des genres. « C’est inenvisageable pour un travailleur social d’avoir une relation de confiance avec une personne si celle-ci sait qu’on va transmettre des informations susceptibles de se retourner contre elle », déplore Sarah Silva-Descas, de la CGT insertion, dénonçant les injonctions paradoxales auxquelles les CPIP sont sans arrêt soumis. La confusion règne aussi autour de la mise en place, au sein des services, de binômes éducateurs spécialisés-psychologues, chargés à la fois d’améliorer « l’identification des phénomènes de radicalisation » et « la prise en charge des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation », avec une préparation défaillante et un cadre d’intervention et des objectifs flous. En détention, les CPIP sont sollicités pour travailler plus spécifiquement auprès des personnes radicalisées ou vulnérables, avec le déblocage de budgets importants pour mettre en place de nouveaux programmes de prise en charge. Mais « les moyens humains manquent derrière pour construire les modalités d’intervention », note Olivier Caquineau, qui regrette les conséquences problématiques d’actions menées « sans préparation et dans l’urgence, pour dépenser cet argent ».
« On nous demande tantôt de la qualité, tantôt de la quantité, et ce n’est pas toujours conciliable, analyse Sarah Silva-Descas. On est complétement paumé, on ne sait plus comment on doit travailler, dans quel cadre et pourquoi. » A ce constat s’ajoute celui de l’impasse des politiques pénales. 68 542 personnes étaient incarcérées au 1er juin 2016, talonnant le record historique de 68 859 détenus atteint en avril 2014. « Le projet de réforme pénale n’est pas allé assez loin et on se retrouve avec une population pénale qui explose, et un milieu fermé toujours aussi encombré », note encore Sarah Silva-Descas, qui conclut : « On a toujours affaire à un flux beaucoup trop important. »
Vers une avancée des négociations
Lors d’une réunion de travail tenue le 17 juin dernier, le ministère de la Justice a semblé entendre certaines des revendications des CPIP. Les derniers arbitrages devraient se tenir courant juillet. Une revalorisation de leur statut et l’augmentation des effectifs ne saura cependant faire l’économie d’une réorganisation en profondeur du travail des SPIP : dans un référé du 22 mars 2016, la Cour des comptes relevait que « le dispositif en vigueur comportait encore de nombreuses failles ou faiblesses, le suivi et la prise en charge des personnes condamnées manquant parfois de cohérence et de continuité ».
*Ce chiffre inclut les personnels en détachement, en disponibilité, et à temps partiel.
Les revendications des CPIP