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Quand la prison rend malade

La prison est-elle intrinsèquement pathogène ? Ou l’univers carcéral n’est-il qu’un catalyseur de troubles psychiques déjà en germe chez les personnes détenues ? Explications avec Christine-Dominique Bataillard, chef du pôle Unité pour malades difficiles (UMD) et Unité de soin en milieu pénitentiaire (USMP) du Centre hospitalier spécialisé de Montfavet (Avignon).

Christine-Dominique Bataillard est psychiatre. Elle intervient à la maison centrale d’Arles, au centre de détention de Tarascon et au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet. Elle est également contrôleure extérieure pour le Contrôleur général des lieux de privation de libertés.

La prison peut-elle rendre fou ?

Christine-Dominique Bataillard : La prison ne « crée » pas à proprement parler de maladie mentale mais elle favorise, chez des personnes vulnérables, l’éclosion de pathologies qui, dans un autre environnement, ne se seraient sans doute pas exprimées. Le risque de développer des maladies est renforcé par la prise de drogues, très courante en détention, et à l’inverse – chez les personnes dont la dépendance n’aurait pas été détectée à l’entrée – par des états de manque gravissimes dus à un sevrage non-accompagné. Quant aux personnes qui souffraient de troubles psychiatriques avant la détention, elles vont souvent voir leur état s’aggraver avec l’enfermement et connaître des épisodes délirants. Il y a aussi ce qu’on appelle les « psychoses réactionnelles », ou « psychoses carcérales » : les personnes présentent le même tableau clinique que des malades psychiques sauf que, à la différence des psychotiques, ces symptômes cessent quand le facteur déclencheur – en l’occurrence l’incarcération – disparaît. Quand ils ont ces angoisses, on leur donne des anti-psychotiques pour les apaiser. On aide les personnes à supporter une souffrance qui n’est pas due à une pathologie mentale à proprement parler, mais à l’enfermement. Ce n’est pas sans poser de questions éthiques aux médecins.

Le placement à l’isolement ou au quartier disciplinaires (QD) génère-t-il des troubles particuliers ?

Les personnes mises à l’isolement voient leur rapport à l’autre se modifier au fil du temps. La privation de communication avec l’autre entraîne un rétrécissement de la pensée. Ils ruminent, ce qui favorise les angoisses. Au QD, c’est encore différent parce qu’il n’y a rien à quoi les personnes puissent se raccrocher, au sens propre comme au figuré. Les gens envoyés au QD le sont généralement parce qu’ils sont dans le passage à l’acte, qui est, par définition, le court-circuit de la pensée : on dit d’ailleurs d’une personne qu’elle a « disjoncté ». Or, au QD, ils sont confrontés à leur psyché, à leur monde intérieur et c’est insupportable. Ils ont besoin d’être accompagnés. Seuls, ça ne marche pas. Au contraire, ça renforce la colère, l’agressivité, la violence contre eux-mêmes ou envers les autres. Le risque de développer une psychose réactionnelle est en outre renforcé par l’absence de stimulus.

Vous avez remarqué que les troubles diffèrent suivant que les personnes sont en maison d’arrêt, en centre de détention ou en maison centrale. Pouvez-vous expliquer ces différences ?

Au moment de l’incarcération en maison d’arrêt, les personnes subissent un choc carcéral qui se traduit par une grande fragilité, beaucoup d’angoisses, des troubles de l’adaptation. Elles peuvent être dans un état de sidération, dû autant au choc de la détention qu’aux actes qui les ont conduits derrière les barreaux : certains n’ont pas encore intégré ce qu’ils ont fait ou vu et sont, comme les victimes, dans un état de choc posttraumatique. Ils peuvent entrer dans des états dépressifs, jusqu’à la tentative de suicide. Passé le choc, vient l’attente du procès. S’opère alors une sorte de distorsion du temps. Les jours qui les séparent de leur procès sont leur seule référence temporelle. Tous les entretiens tournent autour de cette date-là. Après le procès, il y a d’abord un moment de soulagement, celui de pouvoir se remettre en route pour penser. Mais très vite vient la dépression, parce qu’on comprend que l’on va rester en prison un certain temps. En centre de détention et en maison centrale, on fait le bilan des pertes : les parloirs qui se passent mal, les enfants qui ne donnent plus de nouvelles… Quant aux longues peines, c’est un peu la désespérance, pour les soignants et l’entourage aussi d’ailleurs. On remarque en maison centrale beaucoup d’états psychotiques chez des personnes qui ont été condamnées à de très longues peines pour des faits graves quand ils avaient 18-20 ans et qui n’ont pas été, à l’époque, identifiés comme malades mentaux. La pathologie s’est déployée en détention, dans un milieu qui aggrave les troubles et où la prise en charge n’est pas idéale : on découvre alors des personnes atteintes de schizophrénie dont le passage à l’acte criminel était vraisemblablement le premier signe.

Recueilli par Laure Anelli