Antoine a passé treize années en prison, condamné pour une affaire de mœurs quand il avait 20 ans. Libéré en 2010, il reste sous surveillance judiciaire. Mais le bracelet électronique mobile, ayant causé la perte de son emploi et la rupture de son couple, devient un obstacle à sa réinsertion.
L’idée de la sortie était-elle présente pendant toute votre détention ?
Oui, j’y ai pensé dès le premier jour. Même si je savais que je risquais une longue peine. Tout ce que j’ai fait pendant ces 13 années, je l’ai fait en pensant à la sortie. J’ai presque toujours travaillé, en me demandant quel emploi je pourrais trouver dehors. L’idée de sortir un jour m’apparaissait comme une telle chance, qu’il fallait que je fasse le maximum pour que tout se passe bien. J’ai fortement indemnisé les parties civiles, à raison de 80-100 euros par mois, ce qui représentait l’essentiel de mes ressources. J’ai demandé et obtenu un accompagnement thérapeutique très fort dès que je suis arrivé en établissement pour peine, de l’ordre de deux rendez-vous par semaine. Ça m’a beaucoup aidé à garder pied et à évoquer ce qu’il fallait : les raisons qui m’avaient mené en prison, mon histoire familiale…
Entre la sortie que vous imaginiez et la manière dont cela s’est passé, est-ce qu’il y a du décalage ?
Un immense décalage ! Après ma libération, j’ai dans un premier temps redécouvert le monde extérieur. Avec une courte phase d’euphorie : tout est beau, extraordinaire… Ensuite la réalité est là, il faut s’y mettre, tout reconstruire. Je ne pouvais pas m’appuyer sur ma famille, ayant l’interdiction de retourner dans le département où elle habite. Je suis arrivé dans un foyer et une région où je ne connaissais personne. Avec l’avantage de repartir à zéro, mais le désavantage de n’avoir aucun repère ni soutien. Cela m’a mis dans un grand sentiment d’insécurité. Je courais d’entretien en entretien, j’avais des horaires très stricts de sortie du foyer, je ne devais jamais être en retard, avoir un problème de transport était un drame… C’était la course perpétuelle. Au bout d’un an, je me suis effondré, j’ai fait une sorte de décompensation et me suis retrouvé dans un centre psychiatrique.
Cela vous a semblé bien plus difficile que prévu ?
Oui, je me suis même dit que c’était pire qu’être en prison, où j’avais les visites de ma famille et où je pouvais m’exprimer dans le cadre d’activités socioculturelles. Tout à coup, j’étais en liberté, mais il n’y avait que du vide, que je devais remplir moi-même. Avec une peur effroyable de mal faire et d’échouer. Tout dans mon quotidien dépendait d’autorisations, je ne maîtrisais pas mes journées. Pendant des mois, le fait d’être dehors n’avait plus de sens. Ma seule préoccupation c’était de respecter mes obligations, mes horaires.
Comment êtes-vous sorti de cette phase ?
J’ai réussi à rebondir en obtenant les éléments de stabilisation et d’équilibre dont j’avais besoin : une amie avec qui j’ai vécu trois ans, du boulot pendant deux ans, des activités culturelles que j’ai partagées avec de nouveaux amis. Les horaires de bracelet électronique ont été élargis, me permettant presque une vie normale : je pouvais rentrer chez moi à une heure du matin en semaine et partir tout un week-end. Tout cela m’a beau- coup sécurisé, jusqu’à ce que je sois licencié de mon travail.
Que s’est-il passé ?
Le bracelet mobile pouvait sonner à n’importe quel moment. Avec l’obligation de répondre très rapidement, au moyen du petit boîtier que l’on porte avec soi, une sorte de téléphone. Cela peut aussi bien sonner cinq fois par jour, que ne pas sonner pendant 2-3 jours. La sonnerie est stridente, comme une alarme. Il m’est arrivé qu’elle sonne pendant un entretien d’embauche, j’ai dû partir. Cela m’est aussi arrivé au centre d’appels qui m’avait embauché, en réunion ou lors de la présentation des produits de l’entreprise à tout le personnel. Il faut être géo-localisable 24 h/24. Lorsque vous travaillez ou prenez les transports, parfois le GPS ne passe plus bien. Ce qui peut déclencher des alertes intempestives. Il faudrait rester tout le temps à moins de 5 cm d’une fenêtre ! Plus rarement, il peut y avoir une défaillance technique, et alors vous devez revenir tout de suite à votre domicile faire procéder à l’échange de matériel, même en pleine journée de travail. C’est ce qui m’a fait perdre mon dernier emploi.
Votre employeur était-il au courant de votre mesure judiciaire ?
Dans un premier temps, je ne l’avais pas informé, je ne suis pas obligé. Mais il m’a demandé des explications, à cause de mes absences soudaines, et le fait que je dépassais souvent les 10 minutes de pause, car c’étaient les seuls horaires où mes interlocuteurs étaient joignables pour fixer les rendez- vous imposés par la surveillance judiciaire. J’ai donc expliqué au directeur que j’avais un bracelet électronique, que je ne faisais pas tout cela de mon gré. Cela a permis d’apaiser pendant un temps les relations avec les responsables. Mais au bout d’un moment, ils ont estimé que ma vie privée prenait trop le pas sur ma vie professionnelle, donc ils m’ont licencié. Depuis, j’ai du mal à rebondir, en tout cas dans ma tête, car je me demande comment travailler dans ces conditions. Le plus dur, c’est parfois de garder un travail, pas forcément d’en trouver.
Et sur le plan de votre vie personnelle ?
J’avais rencontré une personne formidable peu de temps après ma sortie, nous sommes restés ensemble trois ans. Mais ma situation nous empêchait de faire des projets. C’est ce qui a découragé mon amie. Qui avait aussi des blocages avec le bracelet, même si elle a été très patiente. Elle avait peur qu’à n’importe quel moment, quelqu’un vienne sonner chez nous pour un contrôle. Elle était aussi stressée à l’idée que je rate un rendez-vous et retourne en prison.
Est-ce que votre sortie a été préparée en amont avec le SPIP ou d’autres professionnels ?
Avec le psychologue, nous avons beaucoup travaillé sur ce qu’évoquait la sortie pour moi. Nous avons aussi bien réfléchi aux origines de mon infraction, aux conséquences pour les victimes, à ma vie d’avant et d’après. Du coup, j’étais bien préparé et je n’ai pas eu de grosses angoisses à la libération. En revanche, j’aurais souhaité pouvoir bénéficier de plus de permissions de sortir pour que le passage soit moins violent.
Étiez-vous préparé à la surveillance électronique ?
On m’a bien expliqué le fonctionnement, mais je n’avais pas compris que ça durerait aussi longtemps. On vous dit « c’est pour deux ans renouvelables ». Pour ma part, ça fait quatre ans, il y a eu deux reconductions. Au début, je l’ai bien accepté, car je le voyais aussi comme une protection de moi-même, cela m’a donné des repères. Mais aujourd’hui, je me sens capable de vivre sans ce bracelet, je suis devenu un homme plus mûr. J’ai l’impression d’avoir tout fait pour laisser les mauvaises choses du passé en arrière, mais de rester dans un contexte environnemental de sortant de prison. Le fait de porter ce bracelet ne permet pas de construire sa vie, il y a un moment où ça fait perdre son travail, son couple, sa confiance. On continue de vouloir avancer, mais on pense que c’est voué à l’échec.
Et le fait de devoir habiter en foyer ?
Mes horaires sont à nouveau plus stricts depuis la perte de mon emploi. Je dois être de retour avant 22 heures, ce qui limite ma vie amicale et culturelle. Il est interdit d’inviter quelqu’un. Il n’y a pas de connexion internet, ce qui est dommage quand on parle d’insertion sociale. Le foyer est prévu pour des sortants de prison, des personnes de même condition que moi. Et j’ai un grand sentiment d’insécurité. Cela me reste de la prison, où j’ai été marqué par la violence. J’ai un vulgaire verrou sur ma porte, n’importe qui peut rentrer. L’interdiction de sortir à partir d’une certaine heure augmente l’anxiété. J’aurais besoin d’avoir un chez moi, où je me sens en sécurité et où je peux accueillir des personnes. Mes différents suivis se passent bien, avec les conseillers de probation ou les psychologues, cela m’a permis de tenir même dans les moments très durs, ce sont des repères. Au bout de quatre ans, ce cadre là me suffirait mais la mesure judiciaire ne suit pas.
Recueilli par François Bès et Sarah Dindo