Un rapport de l’Inspection des services pénitentiaires de mars 2013 met en cause la conception et le fonctionnement du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Réau, ouvert depuis un an. Il souligne « des difficultés structurelles fortes », liées à une architecture oppressante, un manque d’activités et de réflexion sur la vie quotidienne des détenus et leurs relations avec les personnels.
Vingt-huit cellules de haute-sécurité, enclavées au cœur d’un centre pénitentiaire (CP) de 798 places, une architecture prohibant tout contact avec les autres secteurs de la détention… Le quartier maison centrale (QMC) de Réau, jumeau de celui de Lille-Annoeulin, montre les écueils de ces nouveaux quartiers « destinés à des détenus au profil de dangerosité le plus important (1) ». Missionnée suite à une tentative d’évasion du 10 mars 2013, l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) en interroge le concept même : « Au terme d’un an de fonctionnement, les professionnels entendus par la mission ont tous fait état de leur questionnement sur le sens et la finalité de la prise en charge des détenus hébergés dans une telle structure (2) ».
Une « architecture oppressante »
Deux ailes « complètement étanches, organisées de manière identique», composent le QMC: une «architecture oppressante », selon la directrice du CP. Chaque entité de 14 cellules, réparties sur deux étages, comprend une bibliothèque, une salle de musculation, une salle de « convivialité », une cour de promenade et un terrain de sport « de petite superficie (19 mètres sur 9 environ). Des murs en béton de grande hauteur entourent ce terrain ». Ces surfaces « exiguës ne permettent pas une pratique sportive appropriée ». En vertu du principe prohibant tout contact, y compris visuel, avec ceux des autres quartiers, les détenus du QMC ne peuvent se rendre au gymnase de l’établissement. Dans son rapport hebdomadaire à la direction de l’établissement, intitulé « Note d’ambiance », le responsable du QMC signale le 28 septembre 2012 : « Certains détenus continuent à se plaindre du manque d’espace et de la promiscuité au sein de la structure. Leur souhait de pouvoir accéder au gymnase demeure persistant. » Une revendication ayant peu de chance de se concrétiser : il faudrait pour cela aménager « un cheminement spécifique » entre leur quartier et l’équipement sportif, une option écartée en raison de sa complexité. La ségrégation imposée leur interdit également de bénéficier de la salle de culte. Les rencontres avec les aumôniers se déroulent « en salle d’audience. Les entretiens en cellule doivent recevoir l’accord préalable de l’officier du QMC et doivent avoir lieu portes ouvertes », au mépris de toute confidentialité.
Pénurie de travail
Les détenus confinés dans cette micro-centrale pâtissent en outre d’une pénurie d’activités. « L’absence de travail aux ateliers contribue à accentuer [l]e ressentiment chez les détenus », relève la « Note d’ambiance » du 28 septembre. Elle précise que Thémis, la société responsable des ateliers, « ne prévoit aucune production dans les prochains jours ». Avec des conséquences dommageables pour les détenus sans ressources extérieures. Monsieur F., par exemple, se montre « très demandeur de travail. […] Il était habitué à envoyer des mandats à sa compagne pour qu’elle vienne le visiter alors qu’il était détenu à S. ». L’administration et son partenaire privé s’avérant incapables de lui fournir un travail, c’est à la solidarité qu’il est fait appel : « [Le détenu T.], ami proche, l’aide. » L’Éducation nationale ne semble pas non plus en mesure d’assurer les prestations attendues : « Le manque d’accompagnement scolaire inquiète également certains détenus demandeurs », poursuit l’officier.
Nombreux manquements professionnels
La « grande proximité voire [la] promiscuité » créées par la configuration des lieux, le manque d’activités et les tensions qui s’ensuivent, amènent nécessairement les personnels à lâcher du lest afin d’éviter l’explosion. « Les détenus mettent la pression sur les surveillants qui ont laissé filé pour avoir la paix », explique un personnel de l’unité médicale (UCSA). Et l’ISP de déplorer ce qui constitue selon elle des « manquements professionnels » dans la gestion du QMC : « des sacs qui transitent d’une cellule à l’autre, puis des cellules à la salle de convivialité et à la cour de sport sans aucun contrôle », une «attitude complaisante dans la gestion des mouvements des détenus »… L’ISP s’indigne aussi de « la présence de surveillants ripoux”». L’un d’entre eux a été condamné, en février 2013, à 6 mois d’emprisonnement pour introduction illicite de téléphones portables. «Deux autres surveillants affectés au QMC [feraient] rentrer des objets illicites. » D’autres encore « s’accusent de divulguer des informations personnelles aux détenus ou de leur permettre l’accès aux logiciels » de suivi des détenus. La mission dénonce enfin les contreparties accordées à un détenu en échange d’informations sur un trafic impliquant un surveillant. En guise de récompense, l’informateur aurait bénéficié « d’au moins quatre parloirs et d’une unité de vie familiale (UVF) en décembre 2012 avec une détenue du centre de détention pour femmes avec laquelle il avait tissé des liens et ce, en violation complète avec les règles régissant ce domaine ».
Une absence de vision d’ensemble
A l’origine de ces « dérives », selon les inspecteurs, la « difficulté dans laquelle se trouvent les surveillants (souvent jeunes et peu expérimentés) d’imposer une contrainte légale à des détenus d’un contact délicat et qui ont souvent démontré qu’ils peuvent être violents et déterminés, pouvant même donner l’impression de n’avoir plus rien à perdre ». Au manque d’expérience des surveillants s’ajoute le flou des normes applicables. L’ISP constate la « méconnaissance des règles en vigueur due pour partie à la multiplicité des notes de service, à l’absence d’une vision d’ensemble mais aussi à l’instauration de règles non écrites qui, à l’évidence, perturbent le travail des surveillants ». Ces derniers, lors des auditions, « ont surtout exprimé le souhait d’une clarification des pratiques à suivre ». L’Inspection déplore par exemple que la consigne autorisant deux détenus à passer quelques minutes ensemble dans une cellule, prise par la précédente direction qui jugeait « trop rigides » les règles en vigueur, « n’ait pas fait l’objet d’une note de service en précisant les conditions et la durée ».
Au terme de sa mission, l’Inspection interroge le principe même de ce QMC, qui n’a pas fait l’objet d’une « réflexion dans la plupart des domaines qui composent la vie en détention ». Les personnels chargés de piloter le navire avouent leur désarroi. Telle la directrice du centre pénitentiaire (CP) : « Je ne comprends pas ce concept de QMC […] car l’architecture ne s’y prête pas. » Un point de vue partagé par le directeur du quartier, qui précise : « On n’a pas grand-chose à proposer aux détenus. » Des carences habituelles, la vie sociale en détention faisant figure de dimension négligée dans le cadre de la conception de nouvelles prisons, mais particulièrement problématiques pour des personnes condamnées à de très longues peines.
Barbara Liaras
(1) Présentation du centre pénitentiaire sur le site de l’Agence publique pur l’immobilier de la Justice
(2) Toutes les citations sont tirées du Rapport de l’Inspection des services pénitentiaires relatif à la tentative d’évasion (…) du 10 mars 2013 au QMC du centre pénitentiaire Sud-Francilien, 28 mars 2013, non publié.
Réau : l’industrie pénitentiaire
Outre les 28 places du quartier maison centrale, le centre pénitentiaire de Réau comprend un centre de détention pour hommes (420 places) ; un centre de détention pour femmes de 90 places ; un centre national d’évaluation de 50 places ; une unité d’accueil des transitaires de 180 places, et un quartier arrivant de 30 places. Soit 798 places. Les premiers détenus y sont arrivés le 24 octobre 2011. Le QMC est entré en service en mars 2012.