Dès son ouverture en 1998, le centre pénitentiaire (CP) de Rémire-Montjoly (Guyane) se caractérise par un climat de violence permanent. Violences entre détenus essentiellement, mais également de la part de surveillants. Ce climat de tensions est aggravé depuis quelques années par un bras de fer engagé entre le syndicat FO et la direction, à l’origine de deux mutineries les 16 et 18 juin 2015. Face à la gravité de la situation, l’ex garde des Sceaux a saisi l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), qui s’est rendue à Rémire-Montjoly en septembre 2015. Près de dix mois après ces événements, la situation est loin d’être apaisée. Et pose la question de la réactivité des instances de contrôle face à des dysfonctionnements en série.
Mutineries, bagarres à l’arme blanche, homicides : dès la mise en service du centre pénitentiaire en 1998, un climat d’extrême tension s’installe. Deux détenus sont tués par balle par des surveillants lors d’une tentative d’évasion. S’ensuit une émeute à l’issue de laquelle une partie de l’établissement est détruite et la moitié des détenus transférée vers l’hexagone et les Antilles. Dix ans après, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) pointait toujours les violences « intercommunautaires » et regrettait la mort de deux détenus « après des altercations pour des motifs bénins » (1).
Plus récemment, deux homicides étaient encore perpétrés dont un, en février dernier, à la suite d’un simple vol de cigarettes. Cette situation de haute tension est favorisée par la grande pauvreté qui touche la majorité des détenus de Guyane, l’oisiveté contrainte – faute de travail et d’activités, et la promiscuité due à la surpopulation : 158 % au 1er mars 2016 à la maison d’arrêt. « Dès que nous réduisons la surpopulation, nous assistons à une réduction des incidents entre personnes détenues » (2), déclarait en 2012 un directeur adjoint. Mais la violence semble aussi attisée par les comportements de certains personnels. Dans une pétition diffusée lors du mouvement de protestation du 18 juin 2015, les détenus dénonçaient des « menaces », « machinations » provoquant des tensions entre détenus (désignation de l’un comme étant une « balance », fouille de tous les détenus sauf un dans une cellule, affectation dans les mêmes cellules de détenus en conflit…), des « fouilles corporelles excessives », ou encore le « manque de respect » à l’égard des femmes en visite au parloir… Au point de craindre « qu’un jour, ces méthodes mettent en danger de mort l’un d’entre nous ».
Passages à tabac par des surveillants
Mais les dérapages de certains surveillants vont bien au-delà. Le 11 mai 2015, la vidéosurveillance de l’établissement révèle les images d’un détenu frappé violemment par des surveillants et tiré ensuite par les cheveux pour être remonté sur une coursive. Le directeur dépose alors une plainte… qui sera classée sans suite par le parquet de Cayenne. Une affaire qui est loin d’être isolée : l’OIP est régulièrement alerté par des détenus sur des cas de violences de personnels passées sous silence tant au niveau judiciaire que pénitentiaire.
Fin janvier 2016, un détenu indique à l’OIP qu’après avoir été frappé par un surveillant, il a tenté de déposer plainte. Mais, « intimidé par d’autres surveillants », il a dû retirer sa plainte, gardant néanmoins l’intention de poursuivre ses démarches à sa sortie de prison. Le 1er février 2016, plusieurs témoins signalent le tabassage d’un détenu par un surveillant dans une coursive. Des faits également enregistrés par la vidéosurveillance. Sur ces violences, une enquête serait en court. Une affaire plus ancienne, datant du 15 juillet 2014, vient finalement d’être jugée. Reconnu coupable de « faits de violences sans incapacité totale de travail (ITT) par personne dépositaire de l’autorité publique », un surveillant a été condamné, le 3 mars dernier, à un mois de prison avec sursis et 600 € pour réparation du préjudice. Il avait giflé un détenu alors qu’il était menotté.
Un taux d’absentéisme record
Autre spécificité de l’établissement pénitentiaire : un taux d’absentéisme des personnels pénitentiaires particulièrement élevé. Au mois d’août 2015, 36,5 % d’entre eux étaient arrêtés pour maladie ou accident. « S’ajoute à cela un absentéisme injustifié. Certains agents quittent leur poste de travail en cours de service » et « d’autres cumulent les activités professionnelles, parfois sans y être autorisés par l’administration », note le rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), que l’OIP a pu se procurer. Il pointe également que l’absentéisme « particulièrement marquant durant la période de carnaval et celle des congés estivaux » désorganise le fonctionnement de la prison. Une ancienne déléguée FO ira même jusqu’à se faire arrêter au mois d’avril 2015 en se déclarant atteinte de tuberculose, mettant en cause la direction pour son absence de gestion de l’épidémie. Epidémie qui sera ensuite démentie par les autorités de santé.
Face à cette situation, le nouveau directeur arrivé en décembre 2014, Jean-Philippe Mayol, engage une politique de lutte contre l’absentéisme qui s’accompagne de retenues sur salaire en cas de retard et de demandes d’explications systématiques.
En parallèle, il met en place un dispositif de médiation et de dialogue avec les détenus visant à diminuer les violences et tensions au sein de la détention.
F.O. S’en va-t’en guerre
La politique du nouveau chef d’établissement va cristalliser des tensions déjà croissantes depuis plusieurs années entre le syndicat Force ouvrière (FO) et la direction. En 2014, sur fond de dialogue social dégradé, plusieurs poursuites disciplinaires pour « fautes professionnelles » avaient été engagées à l’encontre de responsables FO. En parallèle, la directrice adjointe, Mme Asmaa Laarraji-Raymond, était victime « d’actes d’intimidation de type vaudou », « gris-gris haïtiens » ou « pattes de poulet noir dans des feuilles de bananiers » (3) et portait plainte contre la secrétaire de FO pour « outrage à caractère raciste » : alors qu’elle assurait l’interim de la direction, le syndicat avait installé des banderoles déclarant « Nabila, on ne veut pas de ton incarcération, mais ta mutation », en référence à ses origines.
Fin janvier 2015, M. Mayol engage une procédure disciplinaire à l’encontre d’une agente administrative à qui il reproche de lire la Bible pendant ses heures de travail. FO radicalise alors son discours à l’encontre du chef d’établissement, l’accusant d’avoir un comportement raciste et colonialiste.
Au mois de mai 2015, trois responsables FO se voient notifier des sanctions disciplinaires prises dans le cadre de procédures lancées par l’ancien directeur. Le syndicat réagit en diffusant, le 22 mai 2015, un tract évoquant les « gouverneurs de la terreur », qui utilisent « tout l’attirail disciplinaire pour saigner les syndicalistes », comme à « l’époque où on jetait par-dessus-bord les esclaves les plus téméraires et récalcitrants » (4).
Le 11 juin 2015, FO met en place un barrage bloquant pendant six jours l’unique accès au centre pénitentiaire, avec des conséquences profondément déstabilisantes pour l’établissement : retards et absences des personnels, délais d’approvisionnement non respectés, annulation des extractions médicales et parfois même judiciaires, rétention des fournitures et médicaments à destination de l’unité de soins… Surtout, la distribution des cantines des détenus est fortement perturbée. L’IGSJ établira plus tard que l’organisation de ce barrage par FO « peut être considérée comme ayant contribué au déclenchement de la mutinerie ». Car, « en bloquant la livraison des cantines, les agents ne pouvaient pas ignorer que les détenus, (…) avaient des raisons de s’inquiéter de leur prochaine distribution, voire de réagir violemment ».
Le blocage du centre pénitentiaire sera aussi l’occasion pour FO de reprendre la communication sur le « racisme » du directeur. Le 12 juin 2015, deux membres du syndicat se mettent en scène sur le barrage, l’un, habillé de blanc dans une tenue censée représenter le directeur dans une posture colonialiste, fouettant l’autre, déguisé en esclave enchainé.
Mutineries des détenus
Mardi 16 juin 2015, une mutinerie débute au quartier centre de détention, quand les détenus apprennent que les cantines ne seront pas livrées. Ils dégondent une porte de cellule dont ils se servent comme bélier, pour enfoncer les portes d’accès au couloir de circulation. L’information ne remonte pas immédiatement : l’IGSJ pointera plus tard « une certaine apathie des agents, incompatible avec la gravité de la situation », sans déterminer si celle-ci relevait d’une négligence volontaire. Quand le directeur est finalement informé, 74 détenus ont investi le couloir de circulation, certains ont accédé aux toits, et d’autres ont pénétré dans le poste de surveillance qu’ils ont saccagé. Outre les problèmes liés aux cantines, les mutins dénoncent l’absence de travail ou d’activités en détention ainsi que la qualité des rations alimentaires. Finalement, ils acceptent de réintégrer leur cellule, le directeur de cabinet du préfet et le procureur ayant assuré qu’aucune poursuite ne serait engagée à leur encontre, en l’absence de violence physique. A l’issue de ces événements, le directeur – qui était allé au-devant des détenus pour instaurer un dialogue – sera violemment pris à parti par deux surveillants, lui reprochant sa gestion de la crise et précisant que « la détention [appartient] aux surveillants » (5).
Le 18 juin, c’est au tour de la maison d’arrêt de s’embraser.
Les 189 détenus refusent de réintégrer leur cellule à l’issue de la promenade. Dans une pétition qui fait écho aux revendications de la mutinerie du centre de détention, ils dénoncent la lenteur de la justice, le manque d’activités, l’insalubrité, l’hygiène et l’alimentation déplorables, mais aussi des problèmes d’accès aux soins et des brimades de la part de surveillants…
Des réponses à la hauteur de la situation ?
Face à ces dysfonctionnements en série, on est en droit de se demander si les réponses politiques et judiciaires ont été à la hauteur de la situation.
Rendu à la garde des Sceaux en octobre 2015, le rapport de l’IGSJ, qui relevait « une durée excessive » dans la gestion des procédures disciplinaires par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), n’a été suivi d’effet qu’en février, soit plus de huit mois après les faits. Sur les huit surveillants au sujet desquels l’IGSJ a considéré « que des fautes disciplinaires [pouvaient] être relevées », cinq ont comparu devant le conseil de discipline le 10 février 2016 et un sixième le 25 mars. Le conseil a requis la révocation pour le délégué départemental de FO, à qui l’inspection reprochait d’être, « avec les membres de FO, à l’origine du barrage bloquant » et d’avoir « mis en péril la sécurité des personnes et des biens ». Mais aussi d’avoir « manqué au devoir de dignité et à ceux de neutralité et de réserve en s’attachant à discréditer le chef d’établissement en lui prêtant une mentalité et des propos colonialistes et racistes ». Une suspension de deux mois sans salaire et une mutation en France ont été prononcées à l’encontre de l’ancienne déléguée FO. La mission lui reprochait d’avoir participé au barrage bloquant alors qu’elle était « en arrêt de travail avec des horaires de sortie autorisée ». Elle était aussi accusée d’avoir participé à « une stratégie de déstabilisation de la direction » en relayant dans la presse « l’existence de cas de tuberculose au sein du personnel et l’absence de mise en place d’un protocole par la direction » – des « propos mensongers et diffamatoires ». D’autres suspensions sont par ailleurs requises : 24 mois dont 18 avec sursis pour deux surveillants, sept jours pour une autre. Le dernier à avoir comparu fait pour sa part l’objet, en raison de sa participation à la mise en scène « coloniale » et « vexatoire » envers le directeur, d’une mutation à la maison centrale de Poissy (Yvelines).
Il s’agit là d’un niveau de sanction rarement observé dans la pénitentiaire. Des sanctions qui n’ont été notifiées que début avril, soit dix mois après les faits.
L’inertie des organes de contrôle
Du côté de la justice, on peut s’interroger sur le traitement des violences commises par des personnels et notamment sur la décision du parquet de Cayenne de procéder au classement sans suite de la plainte relative au passage à tabac d’un détenu par des surveillants en mai 2015, alors même que des images de vidéosurveillance venaient appuyer les faits. Connues de la plupart des membres du Conseil d’évaluation, les violences commises par des personnels ont également été passées sous silence lors de la réunion qui s’est tenue le 28 janvier 2016. Sous la présidence du préfet, le Conseil est pourtant chargé de passer en revue la situation de l’établissement et réunit, outre des représentants du personnels et de la direction de l’établissement, le procureur, le bâtonnier, des représentants des autorités de santé et des associations.
Saisis une première fois par l’OIP le 23 juin 2015, les services du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) faisaient savoir en septembre que, « s’agissant du climat de violence dénoncé par les personnes détenues », ils sollicitaient « des observations de la direction » et ne manqueraient pas de faire part à l’OIP des réponses qui leur seraient apportées. En janvier, l’OIP alertait à nouveau le CGLPL en urgence, devant l’absence de mesures prises par la DAP à la suite de l’inspection, alors que les allégations de violences sur des détenus par des personnels se poursuivaient.
Un mois plus tard, le Contrôle répondait qu’il n’avait pas pour habitude d’intervenir en situation de crise et qu’il était dans l’attente de la communication du rapport de l’IGSJ.
Egalement saisis au moment des événements, les services du défenseur des droits (DDD) demandaient à l’OIP, le 24 septembre 2015, la communication de « l’identité des personnes s’estimant victimes de violences commises par des surveillants pénitentiaires, la date exacte et les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les faits dénoncés, [et] une description physique des personnes mises en cause permettant leur identification ». Informations que l’OIP, tenu par une demande d’anonymat des détenus concernés qui craignaient des représailles, n’était pas en mesure de fournir. Ils demandaient en outre « la copie des plaintes, procédures disciplinaires ou judiciaires engagées, ou tout autre élément de nature à corroborer l’existence de ces faits »… qu’ils auraient pu exiger directement auprès des administrations concernées. De la même manière qu’ils auraient pu exiger le rapport de l’IGSJ dont ils avaient connaissance – rapport qui leur a finalement été remis par l’OIP. Dans cet imbroglio où les dysfonctionnements ont été nombreux et la réponse de l’institution trop longtemps défaillante, les délais de réaction et modes d’enquête des organes de contrôle chargés du respect des droits fondamentaux montrent ici leurs limites.
La situation de la prison de Rémire-Montjoly reste aujourd’hui préoccupante. Alors que le directeur est en partance, les détenus s’inquiètent du maintien des actions de médiation, de facilitation et de lutte contre la violence qu’il avait mises en place. Pour lutter contre la pauvreté, l’inspection avait préconisé de « maintenir les postes de travail des personnes détenues au service général », de « doter le budget de l’établissement en conséquence » et de « développer le travail pénitentiaire en concession »… mesures qui se font toujours attendre. Au-delà des recommandations de l’inspection, l’amélioration de la situation de l’établissement ne pourra passer que par une véritable politique de lutte contre la surpopulation, de développement des aménagements de peine et des alternatives à l’emprisonnement, qui tarde à se mettre en place.
Par François Bès et Cécile Marcel
(1) Rapport de visite, Centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, 27 octobre au 1er novembre 2008, CGLPL
(2) Brochure Rémire-Montjoly 2012, Agence pour l’immobilier de la justice (APIJ)
(3) Rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ).
(4) Ibid.
(5) Rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ).