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Rétention de sûreté : le premier retenu « essuie les plâtres »

Impréparation et improvisation ont présidé à l’accueil de la première personne au Centre socio-médico-judiciaire (CSMJ) de Fresnes, le 23 décembre 2011. Inauguré trois ans plus tôt, le Centre tournait à vide jusqu’à l’arrivée du premier « retenu », qui semble avoir pris de court ses responsables.

Vendredi 23 décembre 2011, Monsieur A., première personne effectivement placée en rétention de sûreté, est amené au centre socio-médico-judiciaire (CSMJ) de Fresnes, où il restera cinq semaines. A son arrivée, le flou le plus total règne sur le fonctionnement du centre. L’arrêté du 6 juillet 2009, qui fixe le règlement intérieur de l’établissement, vient d’être partiellement sanctionné par une décision du Conseil d’Etat du 27 octobre 2011. Ont été annulées en particulier les dispositions encadrant les contacts avec l’extérieur des personnes retenues. La juridiction administrative estime qu’en prévoyant le contrôle du courrier, l’écoute des conversations téléphoniques et, « par des règles générales, des restrictions aux visites qu’une personne retenue peut recevoir », les auteurs de l’arrêté ont outrepassé leur compétence.

Deux mois plus tard, les dispositions annulées n’ont pas été remplacées et ces «restrictions excessives» restent appliquées. Contacté par l’OIP le 28 décembre pour obtenir un droit de visite, le secrétariat de direction se dit dans un premier temps non informé des procédures à suivre. Le chef d’établissement indique ne pas avoir eu connaissance de la décision du Conseil d’Etat, avant réception le jour même d’un fax adressé par l’OIP contenant le texte. Il donne finalement pour instruction d’appliquer la procédure en vigueur pour les personnes détenues condamnées (lettre de demande de permis de visite, copie d’une pièce d’identité et justificatif de domicile). En principe, les visites aux personnes retenues ne sont pas soumises à l’obtention d’un permis, mais celui-ci est nécessaire pour parcourir la trentaine de mètres à travers l’hôpital pénitentiaire (EPSNF) au sein duquel est situé le CSMJ.

Le « parloir » du centre de rétention

Une grande pièce, scindée en trois espaces cloisonnés, est prévue pour les visites. D’un côté, les murs sont décorés de fresques. De l’autre, des fenêtres donnent sur une cour de promenade bitumée, un grillage, une zone de gazon et le mur d’enceinte du centre pénitentiaire de Fresnes. Trois ou quatre tables de cafétéria et leurs tabourets de bar équipent la pièce. Pas de sofa ni de fauteuil pour se reposer pendant les cinq heures que peuvent durer les visites. Un manteau étalé au sol en a fait office pour M. A. et sa compagne venue lui rentre visite. L’espace étant sous surveillance vidéo, ils confient avoir le choix, pour un moment d’intimité, entre s’allonger sur ce vêtement à même le sol, et se rendre dans les toilettes. Une unité de vie familiale (UVF) existe pourtant, mais ses modalités d’utilisation n’ont pas encore été définies. Sollicité par M. A. qui souhaitait en bénéficier, le directeur du centre a transmis la demande au vice-président chargé de l’application des peines de Paris – qui s’est déclaré incompétent, suite à l’annulation des dispositions du règlement intérieur. Même vide juridique autour des fouilles par palpation auxquelles est soumis M. A. à l’issue des visites, qui ne sont prévues par aucun texte.

Une détention qui ne dit pas son nom

Une double tutelle du ministère de la Santé et de l’administration pénitentiaire s’exerce sur le CSMJ. Le directeur de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes assure également la direction du CSMJ, et la directrice du SMPR de Fresnes en assure la direction médicale. A l’administration pénitentiaire revient la charge de la sécurité, la surveillance, le maintien de l’ordre, le greffe, l’hébergement et l’organisation de la vie quotidienne. A l’administration de la Santé, la prise en charge médicale et psychologique. Les deux assument la responsabilité conjointe du suivi « pluridisciplinaire, dont la prise en charge socio-éducative des personnes retenues, destinée à permettre leur sortie du centre »1. Monsieur. A. confirme que toutes les consultations médicales qu’il demande sont assurées (généraliste, dentiste) et qu’il rencontre la psychiatre du centre chaque semaine. Lors de ses déplacements pour se rendre en consultation, toute la détention du côté de l’hôpital pénitentiaire est bloquée, afin qu’il ne croise aucun détenu. Les activités thérapeutiques (prévues à l’article 17 du règlement intérieur), les activités « culturelles, sportives et de loisirs » (article 9) restent, pour leur part, inexistantes. Maître Noël, son avocat, confirme la confusion générale : « Même dans le vocabulaire qu’ils utilisent, les personnels s’y trompent en permanence. Au téléphone, le directeur me parlait de détention, avant de se reprendre. Monsieur A. est soumis comme en prison à des heures restreintes de promenade, ce qui à mon avis est parfaitement incompatible avec le principe de la rétention. Qu’on le veuille ou non, on se trouve dans une enceinte pénitentiaire. »

Barbara Liarasch

1. Article R53-8-55 du décret 2008-1129 du 4 novembre 2008 relatif à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté.


De l’arrestation à la libération du premier retenu de France

Le 23 décembre à cinq heures du matin, des gendarmes arrivent au domicile de Monsieur A. et procèdent à son interpellation. Après un passage par la gendarmerie, il est conduit directement en rétention provisoire à Fresnes. La veille, le procureur avait lancé une procédure de recherche, sans en informer ni la juge de l’application des peines (JAP), ni la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) avec laquelle M. A. avait rendez-vous le matin-même. Sorti de prison deux ans plus tôt après y avoir purgé une peine de quinze ans, Monsieur A. avait été placé, à sa libération, sous surveillance judiciaire, sur décision du tribunal de l’application des peines. Cette mesure arrivant à échéance, la juridiction régionale de la rétention de sûreté avait ordonné, le 15 septembre 2011, une surveillance de sûreté pour une durée de deux ans, qui s’exécute elle aussi en milieu ouvert. A l’occasion de la notification de ses obligations par le JAP le 6 octobre, M. A. indique qu’il ne veut « pas rendre de compte », qu’il ne veut « pas de soins » et qu’il est obligé de « biaiser » car sa compagne, avec laquelle il souhaiterait résider, a un enfant de 3 ans, alors qu’il n’est pas autorisé à être au contact de mineurs.

Ces déclarations le ramènent devant la juridiction régionale de rétention de sûreté, qui décide le 20 décembre 2011 de son placement provisoire au centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes, du fait du non respect de ses obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté. La juridiction considère que M. A. ne respecte pas ses obligations de répondre d’un domicile fixe et de suivre des soins, ayant déclaré au JAP « n’avoir plus de domicile, ne pas vouloir suivre des soins, ne pas avoir de projet si ce n’est quitter la France ». Elle estime, dès lors, que le condamné « présente à nouveau une particulière dangerosité ». Saisie par le procureur pour confirmation du placement en rétention de sûreté, la juridiction régionale décide finalement, le 1er février 2012, de libérer M. A. et de le remettre sous surveillance de sûreté, en ajoutant à ses obligations une surveillance électronique mobile (PSEM) et en l’autorisant à demeurer chez sa compagne. La juridiction indique en effet que l’avis défavorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté au maintien en rétention de M. A. « s’impose » à elle. Elle entend également les arguments de M. A., pour lequel il est « essentiel de pouvoir cohabiter » avec sa compagne et qui demande à être placé sous surveillance électronique mobile. Son conseil conteste également la violation de ses obligations par M. A. et rappelle « l’atteinte aux libertés individuelles que constitue la mesure de surveillance alors que son client a purgé sa peine », tout autant que les « contradictions entre les différents rapports d’expertise sur la dangerosité de son client ». La juridiction régionale relève que M. A. a toujours respecté son obligation de se présenter chaque semaine au service pénitentiaire d’insertion et de probation ; que sa défaillance dans le respect de son obligation de soins ne lui est que « partiellement imputable, parce qu’il n’a pu être pris en charge par le CMP de G., qui refuserait le suivi d’une personne placée sous main de justice, et parce qu’il n’a pas de revenus suffisants pour consulter un psychiatre libéral, étant au RSA ». Enfin, la juridiction estime que le placement provisoire en rétention de sûreté semble avoir permis à M. A. « de prendre conscience du bienfait pour lui d’un cadre plus contraignant de surveillance par le placement sous surveillance électronique mobile et d’un suivi psychiatrique réel et sérieux ». La rétention prend donc fin le 2 février 2012. Mais le Parquet fait appel de cette décision.

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