D’après une récente étude, les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou une addiction. Des résultats qui viennent pointer la nécessité d’améliorer les parcours de soin en détention, mais aussi de développer le suivi à la sortie.
Dix-huit ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour qu’une nouvelle enquête nationale d’envergure sur la santé mentale en prison soit menée. Après celle de 2004 consacrée à l’état psychique des personnes détenues en cours d’incarcération[1] et celle de 2017 – récente mais limitée à la région des Hauts-de-France – qui se concentrait sur leur état à l’entrée en détention[2], c’est aux sortants de prison que s’intéresse cette nouvelle recherche[3], conduite par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France à la demande de la Direction générale de la santé.
Cette étude s’intéresse plus particulièrement aux personnes condamnées à des courtes peines. Pour son volet « hommes », elle a été menée exclusivement en maison d’arrêt et exclut les prévenus. Quant au volet « femmes », le choix a été fait de se focaliser sur quatre établissements de la région des Hauts-de-France : trois quartiers maison d’arrêt et un centre de détention. Aussi, les auteurs recommandent que soit mené un travail de recherche complémentaire auprès des personnes détenues en établissement pour peine. Mais les maisons d’arrêt renfermant 68% des hommes et 56% des femmes détenus, l’apport de cette étude n’en reste pas moins fondamental.
Dépression, addictions, anxiété, psychoses…
Les constats dressés sont plus qu’alarmants. Un homme sur dix et une femme sur six souffrent d’un trouble psychotique (quand ces troubles ne touchent que 1 à 2 % de la population générale)[4]. La moitié des personnes interrogées est concernée par une addiction, tandis qu’un tiers des hommes et la moitié des femmes présentent des troubles de l’humeur comme la dépression. Une prévalence observable dans les mêmes proportions dans les deux études précédentes, ce qui souligne « l’importance de la dépression en population carcérale à tous les stades de la détention », relèvent les auteurs.
Plus d’un homme sur dix présente un trouble de stress post-traumatique à la sortie de prison, une proportion plus élevée qu’à l’entrée, ce qui « interroge quant à l’exposition à des évènements potentiellement traumatiques au cours de la détention ». De fait, 11 % des femmes et 19 % des hommes rapportent des violences physiques, 25 % et 19 % des violences psychiques. Quatre hommes sur 586 sondés et quatre femmes sur 131 déclarent par ailleurs des violences sexuelles.
Au-delà de ces événements, la violence de l’enfermement en tant que tel et les conditions dans lesquelles les personnes sont détenues sont également interrogées : près de 20% des répondants ont dormi sur un matelas posé au sol au cours de leur incarcération et un quart a fait l’expérience du quartier disciplinaire, où les conditions sont particulièrement difficiles (lire page 12). Pourtant identifié comme un « facteur de protection de la santé mentale », l’accès aux parloirs et aux activités « reste insuffisant, notamment dans un contexte de surpopulation carcérale », souligne l’étude : 67 % des hommes et 40,5 % des femmes ont eu accès aux activités sportives, 29 % des hommes et 43 % des femmes ont bénéficié d’activités socio-culturelles.
Enfin, un tiers des hommes et plus de la moitié des femmes souffrent de troubles anxieux, tandis qu’un quart des hommes et la moitié des femmes sont sujets aux insomnies – une prévalence moins élevée qu’à l’entrée en détention, marquée par le « choc de l’incarcération », mais plus importante qu’en cours de peine, ce qui suggère une angoisse grandissante à l’approche de la libération. 50 % des hommes et 80 % des femmes reçoivent un traitement médicamenteux, « pour les nerfs, pour dormir comme des tranquillisants, des somnifères, ou des antidépresseurs ». Dans cette période charnière, le risque suicidaire est estimé à 28 % pour les hommes et 59,5 % pour les femmes, avec un risque élevé pour respectivement 8 et 19% des personnes.
Renforcer les prises en charge, dedans et dehors
Cette étude, en venant mettre en évidence la fréquence et la sévérité des troubles psychiatriques parmi la population « sortante », pointe l’absolue nécessité d’améliorer le parcours de santé mentale en prison, mais aussi et surtout au dehors. Si elle montre que la majorité des participants et participantes a pu bénéficier d’au moins une consultation par un médecin généraliste et par un professionnel de santé mentale (respectivement 90 % et 96%), cette donnée ne donne aucune indication sur la part des personnes ayant eu un suivi régulier. En outre, à quelques jours ou semaines de la sortie, seulement 22 % des répondants et 34 % des répondantes déclarent avoir un rendez-vous programmé avec un professionnel de la santé mentale à l’extérieur. Et alors que plus du tiers des personnes a été suivi par un établissement médico-social spécialisé en addictologie pendant la détention, seuls 14 % des répondants et 27,5 % des répondantes déclarent avoir rendez-vous avec un professionnel de l’addictologie à la sortie. De ce point de vue, le développement des équipes mobiles transitionnelles (Emot)[5], qui visent à faire le lien entre les personnes sortant de prison et les dispositifs de droit commun, paraît indispensable.
Par Laure Anelli
[1] B. Falissard, J.Y. Loze, I. Gasquet, A. Duburc, C. de Beaurepaire, F. Fagnani, et al. Prevalence of mental disorders in French prisons for men, décembre 2006.
[2] T. Fovet et al. « Mental disorders on admission to jail: A study of prevalence and a comparison with a community sample in the north of France », European Psychiatry, vol. 63, n° 1, 2020.
[3] T. Fovet, C. Lancelevée, M. Wathelet, O. El Qaoubii, P. Thomas, La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, février 2023.
[4] T. Fovet et al., 2020, op.cit.
[5] « Soins : des psys font le lien à la sortie », Dedans Dehors n°111, juin 2021.