Sa rencontre avec un « client providentiel » pour lequel il est commis d’office va conduire le jeune avocat Étienne Noël à devenir l’un des premiers acteurs de la « guérilla juridique » pour le droit des personnes détenues.
Rodolphe, 30 ans, a été martyrisé pendant trois semaines par ses deux codétenus. L’avocat l’accompagne dans sa plainte au pénal, et entame grâce à lui son « initiation carcérale ». Taraudé par « l’impression de passer à côté de l’essentiel », Étienne Noël ne se satisfait pas des condamnations infligées aux agresseurs (seize et treize ans de réclusion criminelle), il engage une procédure en responsabilité de l’administration pour faute lourde. Nous sommes en 1995. Sa victoire ouvre « une première brèche ». Élargie deux ans plus tard par une autre condamnation de l’État pour faute, à la suite du suicide d’un homme détenu au quartier disciplinaire.
A force d’entendre ses clients lui parler plus volontiers de leurs conditions de détention que de la préparation de leur procès, l’idée vient à l’avocat de « mettre en cause l’administration pénitentiaire, non pour des fautes qu’elle aurait commises, mais pour les seules conditions de détention qu’elle ‘offre’ à ses usagers ». Étienne Noël va « importer la méthode » d’un confrère nantais à Rouen, où la maison d’arrêt, construite en 1862, « traîne sa mauvaise réputation comme un boulet ». Le 21 octobre 2005, il dépose une demande d’audit de l’établissement. Le réquisitoire dressé par les experts – un architecte et un médecin hygiéniste – emportera la décision du tribunal, le 27 mars 2008. Le 17 décembre de la même année, le Conseil d’État rend deux arrêts qui marquent sa volonté de renforcer son contrôle sur les agissements de la pénitentiaire. Pour Étienne Noël, « une page se tourne définitivement. L’impunité de l’administration est en passe de n’être plus qu’un lointain souvenir ».
Étienne Noël, Manuel Sanson, Aux côtés des détenus. Un avocat contre l’État, François Bourin Éditeur, 2013, 20 €.