Depuis septembre 2020, une équipe mobile mise en place par le CHU de Lille accompagne les sortants de prison atteints de troubles psychiatriques pour faciliter leur prise en charge dans les structures extérieures. Les semaines suivant la libération étant cruciales pour la réinsertion de ce public vulnérable, il s’agit d’éviter l’interruption du parcours de soins.
Les premières semaines qui suivent la sortie de détention représentent une période charnière. Elles le sont d’autant plus pour les personnes faisant l’objet d’une prise en charge psychiatrique pendant leur incarcération. Le relais du suivi médical entre la prison et l’extérieur est ainsi essentiel pour éviter les risques de suicide, d’overdose ou de récidive, accrus par les difficultés financières, matérielles ou sociales auxquelles les sortants sont confrontés. S’il existe en détention des consultations “sortants” pour préparer la personne détenue et faciliter la transmission du dossier médical à un médecin à l’extérieur, le dispositif est, dans les faits, rendu inopérant par la surpopulation carcérale, la grande précarité des personnes libérées et les difficultés du secteur de la psychiatrie publique(1). La fin de la détention rime donc bien souvent avec rupture de soins.
Prévenir les suicides et les overdoses, une priorité
C’est pourquoi, depuis septembre 2020, le CHU de Lille a mis en place une équipe de mobilité transitionnelle (Emot), composée de quatorze professionnels qui exercent pour la plupart aussi en détention. L’équipe se déplace à la rencontre des patients pendant les six mois suivant leur libération, afin d’assurer le relai des soins psychiatriques et leur prise en charge dans les structures médicosociales de droit commun. Cette mobilité vise à « pallier les difficultés des patients sortants que l’on perd de vue. La plupart n’ont pas de domicile fixe, pas de téléphone », explique Tatiana Scouflaire, psychiatre au CHU de Lille, ayant cofondé l’Emot avec son confrère Thomas Fovet. « Nous allons toujours vers les patients, ce ne sont pas eux qui viennent à nous. » Alors que le taux de suicide parmi la population carcérale en France est déjà sept fois supérieur à celui relevé dans la population générale, il est encore multiplié par quatre au cours des deux semaines qui suivent la libération. Six mois après, ce taux redevient identique à celui observé en prison(2). L’objectif de l’Emot est donc d’agir pendant cette période sensible. Par ailleurs, une transition défaillante vers une prise en charge en milieu libre expose davantage les sortants, en situation de détresse psychologique, au risque de récidive : « Nous faisons face au syndrome des “portes tournantes” : on voit entrer et sortir de prison les mêmes patients, qui n’arrivent pas à retrouver leur équilibre dehors », pointe Tatiana Scouflaire. Les membres de l’équipe prennent en charge des personnes qu’ils soignaient déjà entre les murs, ou qui leur sont adressées par des confrères depuis les unités de soin des centres pénitentiaires de Lille-Loos-Sequedin et d’Annoeullin, et de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin. Les sortants souffrant de troubles psychiques et addictologiques sont rencontrés dans les deux mois qui précèdent leur libération, pour établir un premier contact et s’assurer de leur souhait d’être accompagnés. « Le relais des soins psychiatriques est doublé d’un accompagnement social en fonction des besoins du patient. Infirmiers et éducatrices interviennent pour aider à la réappropriation de la vie quotidienne, et les assistantes sociales les accompagnent dans leurs démarches, nombreuses et laborieuses à la sortie d’incarcération », précise le médecin psychiatre. Les déplacements se font toujours en binôme, où que se trouve le patient : à son domicile, en foyer d’hébergement, à la rue. Le maintien des liens est assuré par des contacts rapprochés avec les structures d’accueil, d’accompagnement et de soins locales, telles que les centres d’hébergements, les centres médico-psychologiques (CMP), centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), etc.(3) Quand cela est possible, l’équipe se met en relation avec l’entourage de la personne suivie. « Il nous arrive de rencontrer la famille avec le patient pour expliquer les troubles dont il souffre et présenter notre dispositif. Nos patients sont très souvent des personnes isolées, éloignées de leur famille, et le rétablissement des liens sociaux fait également partie de nos objectifs. »
Le but n’étant pas que l’équipe mobile se substitue aux services médico-psychologiques extérieurs, le passage de relais est organisé progressivement. La co-fondatrice de l’Emot détaille : « Au début, nous accompagnons les patients pour leurs premiers rendez-vous en CMP ou en Csapa. Plus nous avançons dans les six mois de suivi, plus nous encourageons le patient à être autonome dans ses rendez-vous quand cela est possible. »
Neuf mois plus tard, des passages de relais encourageants
L’Emot est financée par l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France pour trois ans, avec une période d’évaluation de deux ans. Les résultats, tant en termes de prévention des risques de suicide et d’overdose que de continuité des soins, devront convaincre de la nécessité de pérenniser le dispositif avec des moyens supplémentaires. Après dix mois de fonctionnement, l’équipe pouvait déjà dresser un premier bilan. Ainsi, depuis le mois de septembre, trente-deux personnes sont ou ont été accompagnées par l’Emot. « Trois personnes ont été réincarcérées au cours de leur suivi. Six personnes ont été perdues de vue. Nous ne déplorons aucun suicide ou overdose, détaille Tatiana Scouflaire. Et même quand la prise en charge s’arrête avant l’heure, on a pu avancer sur la situation de certains patients. » C’est dire si de tels dispositifs sont indispensables pour reprendre attache avec l’extérieur.
par Pauline Petitot
(1) CGLPL, Avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux, 22 novembre 2019.
(2) Fovet et P. Thomas, “Les suicides et tentatives de suicide et leur prise en charge en milieu carcéral”, Actualité et dossier en santé publique, septembre 2018, p. 28.
(3) Centres d’hébergement d’urgence, Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), etc.