Annoncées en 2018, les structures d’accompagnement à la sortie prévoient d’offrir aux personnes détenues les plus en difficulté un accompagnement soutenu vers la sortie. Sur les 25 structures programmées, quatre sont aujourd’hui en activité. Si elles répondent toutes à la même philosophie générale, des différences de fonctionnement peuvent s’observer d’un lieu à l’autre. Et déjà, quelques écueils apparaissent.
Lorsqu’elle présente en octobre 2018 son « plan prisons », la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet, annonce la création de « structures d’accompagnement vers la sortie » (Sas). Elle prévoit pour ce faire d’ouvrir 2000 nouvelles places dans des bâtiments construits ad hoc, et de reconvertir 500 places d’actuels quartiers de détention. Début 2022, seules quatre de ces Sas avaient ouvert leurs portes : à Marseille, Poitiers, Longuenesse et Bordeaux. La livraison des autres structures devrait s’étaler jusqu’en 2025. Avant tout destinées aux personnes sans projet de sortie et éloignées des structures d’insertion, la Sas vise à les autonomiser et à préparer leur réinsertion par le biais d’un accompagnement pluridisciplinaire soutenu. L’obtention de permissions de sortir y est en théorie facilitée, dans l’optique de renforcer les liens entre le dedans et le dehors. La doctrine fixant ces principes a été finalisée en décembre 2021, plusieurs mois – voire années – après l’ouverture des premières Sas. En attendant, chaque structure a donc élaboré ses propres principes. Si la philosophie reste globalement la même d’un lieu à l’autre, des différences s’observent néanmoins entre les Sas, tant sur la sélection des personnes détenues que sur le régime des permissions de sortir.
« À la Sas, nous ciblons les personnes compliquées à gérer »
Une structure pour mieux préparer la sortie : cette idée n’est pas nouvelle, et les Sas arrivent à la suite d’autres quartiers spécifiques qui n’ont pas toujours eu le succès escompté – tels que les quartiers pour peines aménagées(1) (QPA). La principale différence entre les Sas et les QPA est le public visé. Si, sur le papier, les critères de recrutement sont similaires (peine ou reliquat de peine inférieur à deux ans), les Sas s’adressent à un public davantage en difficulté. « Quand nous avons ouvert la Sas de Marseille en 2018, nous ne souhaitions pas reproduire les écueils du QPA d’Aix, explique Morgan Donaz-Pernier, juge de l’application des peines (Jap) à Marseille. L’entrée au QPA était très sélective, réservée aux détenus ayant un comportement irréprochable, et le retour en détention se faisait au moindre incident : la structure était donc constamment sous-occupée. À la Sas, nous ciblons volontairement les personnes plus compliquées à gérer : les personnes ayant pu manifester des problèmes de comportement en détention, présentant des facteurs de risque de réitération et nécessitant un accompagnement renforcé et soutenu », poursuit-il. Une vision partagée par les Jap de Longuenesse : « À la Sas, on trouve des gens moins investis, moins volontaires – des gens qui ont des incidents en détention, qui passent souvent sous le radar des Jap, des courtes peines qui ne demandent jamais d’aménagement et qui ne voient jamais leur Cpip [Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation] », expliquent-elles.
La doctrine prévoit que l’affection à la Sas puisse se faire sans l’accord des concernés. « L’idée, c’est de les affecter d’office et espérer qu’ils finiront par adhérer », expliquent les Jap de Longuenesse. Un principe dont la Sas de Poitiers a choisi de s’affranchir, en ne recrutant que des personnes volontaires. « C’est une aberration de ne pas demander leur consentement aux gens, s’exclame Dorothée Dorléacq, de la CGT Insertion-Probation. Être à la Sas demande un investissement personnel énorme : ça peut mettre en échec la personne, mais aussi toute la dynamique de groupe. »
Un principe éloigné des logiques pénitentiaires habituelles
Le repérage et l’orientation de ces profils « compliqués » incombe à l’administration pénitentiaire. Un exercice délicat pour cette institution, historiquement plus encline à accorder des régimes de détention plus favorables aux profils les plus « méritants ». « Il faut accepter de prendre un public avec des incidents en détention, et de les mettre dans des structures moins sécurisées. Cela entraîne des craintes des surveillants. Ils doivent sortir de l’idée de la prime au mérite, c’est un changement important pour eux, de culture comme de pratique », expose un représentant du Snepap-FSU. Mais les difficultés ne sont pas toujours là où on les attend. À Poitiers par exemple, où, même si ça n’est pas prévu par les textes, les magistrats sont consultés sur les choix d’affectation : « La pénitentiaire arrive à jouer le jeu et à sélectionner des profils compliqués ; c’est parfois plus nous, magistrats, qui prenons en compte des antécédents et des échecs dans les aménagements précédents », explique la Jap.
Compte-tenu des profils sélectionnés, les incidents peuvent être nombreux en Sas – ce qui n’entraîne pas automatiquement une exclusion de la structure. Les personnes – placées normalement en régime portes ouvertes et bénéficiant d’une plus grande liberté de mouvement – voient plutôt cette dernière restreinte, voire sont replacées en régime « portes fermées », et leur situation peut être réexaminée en commission pluridisciplinaire unique. La doctrine fixe cependant une ligne rouge à ne pas franchir : toute condamnation à une peine de quartier disciplinaire ferme entraîne un retour en détention ordinaire.
Autre risque pointé par les Jap : que les Sas soient utilisées comme éventuelles structures de désencombrement des maisons d’arrêt, indépendamment des critères de recrutement. Ce fut d’ailleurs un temps le cas aux Baumettes. « Personne non marseillaise n’ayant pas de projet sur Marseille ; quantum de peine très court ne permettant pas d’investir le dispositif ; profils relevant de la délinquance organisée avec plusieurs évasions au cours de l’exécution de la peine » : un rapport d’inspection réalisé en juin 2020 pointait une politique de « désencombrement des quartiers hommes sur la Sas ne respectant pas les critères d’orientation fixés par l’administration pénitentiaire et mettant à mal l’équilibre de la structure ». Une situation qui semble s’être arrangée depuis.
Des exclusions problématiques
Si l’administration semble donc ouverte à des profils habituellement perçus comme « problématiques », la doctrine fixe néanmoins un certain nombre de critères pour pouvoir intégrer la Sas : n’y sont en théorie éligibles que des personnes en situation régulière (ou régularisables), sans troubles somatiques ou psychiatriques lourds non stabilisés – notamment dans l’optique de pouvoir bénéficier de permissions de sortir. Par ailleurs, les démarches d’insertion se faisant auprès des acteurs locaux, l’administration privilégie des profils du territoire, ayant vocation à demeurer dans le département à l’issue de leur peine.
Les textes prévoient également que soient prioritairement visées les personnes détenues en maison d’arrêt. Un choix qui interroge. « On ne fait pas de réinsertion pour les fins de longues peines : pour moi ça ne colle pas avec le projet qui avait été imaginé », déplore ainsi le Dr Bagnis, intervenant à la Sas des Baumettes. Face aux critiques des professionnels, la direction interrégionale a acté la possibilité d’orientation depuis certains centres de détention (Tarascon et Salon-de-Provence), mais ces dernières restent « très résiduelles », explique Morgan Donaz-Pernier. À Poitiers, les acteurs semblent s’être affranchis de cette consigne, onze des vingt-trois personnes actuellement détenues à la Sas provenant d’un centre de détention.
Un quotidien plus dense qu’ailleurs
La doctrine définie en décembre 2021 dresse les grands traits du quotidien en Sas, lequel doit offrir une « prise en charge globale et renforcée, comprenant des interventions individuelles et collectives ». Dans les faits, les structures sont plutôt autonomes, et l’accompagnement se décline de manière diverse. À Poitiers, les arrivants à la Sas sont évalués durant six semaines. Cette évaluation permet d’orienter l’accompagnement vers de l’insertion, via les CPIP, ou vers une prise en charge plus thérapeutique, à l’aide de l’unité sanitaire. À Longuenesse, deux parcours sont proposés : un parcours « CLéA »(2) (une formation pour se préparer au marché de l’emploi), et un parcours plus classique de préparation à la sortie (démarches personnalisées, recherche de logement, relai avec une structure de soin, mise à jour des papiers etc.). Dans toutes les structures, les partenariats institutionnels – avec le SIAO, la Caf, Pôle emploi, etc. – sont renforcés.
La vie en collectif et l’autonomie jouent un rôle important au sein de la Sas où les repas peuvent être pris en commun, et où des activités sont censées être proposées – plus ou moins nombreuses selon les Sas. À Marseille, des partenariats sont noués avec des acteurs locaux – Lieux fictifs, qui propose des ateliers de formation et de création audiovisuelle, Radio Baumettes – et la prison devrait même accueillir un restaurant ouvert au public au sein de la prison, dans lequel travailleront des détenus en formation. D’autres activités – théâtre, sorties sportives, ateliers artistiques etc. – peuvent également être organisées dans les Sas, bien que l’épidémie de Covid-19 soit partout venue mettre un coup de frein à leur développement. Selon la doctrine, « la mixité durant les activités doit être possible et encouragée », tout comme l’accès à Internet, lequel « pourra être mis en œuvre selon des modalités garantissant le contrôle effectif de l’administration pénitentiaire ». Un accès qui n’était pas encore effectif à la mi-mars aux Baumettes, selon Morgan Donaz-Pernier.
La doctrine prévoit également un accompagnement individualisé et adapté « aux besoins de chaque personne condamnée », mais cela ne se traduit pas toujours au quotidien. « On a parfois l’impression que c’est une détention facilitée, avec l’affectation automatique à certaines activités, sans réelle individualisation ni co-construction, bien qu’il y ait récemment eu des améliorations », pointe ainsi un juge de l’application des peines. Une critique que l’on retrouve dans le rapport d’inspection de la Sas des Baumettes qui pointe « un manque (…) de parcours individualisés » et s’interroge : « Simple juxtaposition d’activités ? Adéquation des activités aux besoins ? Activités trop occupationnelles ? » Pour Christian Gaumont, de la CGT Insertion- Probation, certaines personnes sont affectées à la Sas sur des durées trop courtes pour qu’une vraie individualisation de la prise en charge puisse être pensée : « Certains roulements sont trop rapides. Des gens arrivent pour deux mois à la Sas, nous n’avons pas le temps de mettre un accompagnement en place ».
Un régime plus souple de permissions de sortir
« La grosse différence de ce régime, à mon sens, c’est surtout le régime des permissions de sortir », explique un Jap. Ces dernières sont en effet censées être beaucoup plus fréquentes qu’en détention classique, tant pour les démarches d’insertion que pour le maintien des liens familiaux ou les soins médicaux, l’idée étant de prévenir les ruptures de soins à la sortie en favorisant les démarches à l’extérieur. « À la Sas des Baumettes, l’unité sanitaire à un plateau technique extrêmement réduit : l’idée est d’accorder des permissions systématiques pour effectuer les soins (somatiques, en addictologie, psychologique ou psychiatrique) à l’extérieur. Les soignants peuvent également accompagner les détenus lors de ces permissions, pour organiser la continuité des soins dès l’exécution de la peine, pour en garantir l’effectivité à la libération, identifier les lieux, les professionnels, etc. » explique Morgan Donaz- Pernier. « Les soins à l’extérieur les plus fréquents sont pour les dents et l’addictologie, ainsi que pour certaines maladies chroniques », développe le Dr Bagnis. Il nuance néanmoins : « Cela arrive que des personnes aient besoin de soins spécifiques, mais que les Jap soient réticents à leur accorder des permissions de sortir. Dans ce cas-là, parfois, nous nous déplaçons avec eux. Mais c’est rare car c’est un dévoiement de notre rôle, cet accompagnement n’étant alors pas dicté par le soin mais par des préoccupations sécuritaires. » À Poitiers, de nombreuses permissions de sortir sont également organisées par l’unité sanitaire, pour du sport ou de l’art-thérapie, par exemple. « Nous sommes très aidés par l’unité sanitaire pour ce régime surprenant, bien que tout cela ne soit pas toujours facile à coordonner », explique la Jap.
Si cette pratique des permissions de sortir pour soins est partagée à Marseille, Longuenesse et Poitiers, ces dernières semblent plus compliquées à obtenir à Bordeaux. « Même si le projet médical les prévoit, pour l’instant, seules les personnes suivies par le Csapa(3) en bénéficient », explique un médecin de l’unité sanitaire, qui reste néanmoins optimiste sur leur montée en puissance.
Concernant les autres permissions de sortir, les divergences semblent nombreuses entre les structures. À Longuenesse, les juges de l’application des peines se sont alignés sur le régime Respecto, avec une permission de sortir par mois pour les liens familiaux. À Poitiers, à l’issue des six semaines d’évaluation, les Jap peuvent quant à eux rendre une ordonnance cadre de permissions de sortir – dont les modalités sont ensuite précisées par le chef d’établissement. « Nous nous sommes fixé l’objectif de trente permissions de sortir en trois mois par personne, accompagnées ou non, selon les profils et la date de fin de peine », explique la Jap. Dans ces conditions, les personnes sont amenées à passer une bonne partie de la semaine à l’extérieur, « tout en devant néanmoins rendre des comptes quant aux démarches effectuées, contrairement aux personnes en semi-liberté », précise la Jap. Aux Baumettes, « la moyenne de permissions de sortir par personne est difficile à exploiter car certains restent peu de temps, d’autres ne présentent pas nécessairement de problématique sanitaire nécessitant des soins à l’extérieur, tandis que certains sortent beaucoup en permission » explique quant à lui Morgan Donaz- Pernier.
L’emplacement géographique, un enjeu de taille
Ces disparités s’expliquent en partie par l’arrivée tardive de la doctrine, mais peuvent également être dictées par l’emplacement géographique des Sas : à la différence des trois autres, la Sas de Poitiers est par exemple implantée dans l’ancienne prison, en plein coeur du centre-ville, facilitant ainsi les déplacements.
C’était en effet une des promesses des Sas, décrites en 2018 comme des « immeubles qui s’insèrent parfaitement dans une architecture urbaine ». Cependant, force est de constater que certaines d’entre elles – qu’elles soient ouvertes ou en cours de rénovation – restent accolées aux établissements pénitentiaires, pour la plupart excentrés des villes. L’emplacement « peut poser des difficultés, surtout pour un public pour qui la mobilité peut être un problème », pointe un magistrat. À Marseille, la Sas est implantée dans les murs des Baumettes historiques : « C’est très excentré et mal desservi en transport : ça ne concorde pas avec les discours de l’administration pénitentiaire », souligne le juge de l’application des peines. À Longuenesse, le centre-ville de Saint-Omer n’est qu’à trente minutes à pied. « Mais la plupart des sassistes viennent de Boulognesur- Mer et Lille. Et là, c’est plus compliqué de s’y rendre, il faut marcher cinquante minutes jusqu’à la gare, puis prendre le train, avec un changement à Calais… », explique la Jap. Or, si certaines démarches administratives peuvent être faites dans n’importe quelle ville, les recherches de logement, de formation, de soins, sont quant à elles censées être réalisées dans le futur bassin de vie de la personne.
Les Sas semblent néanmoins pour l’instant réussir à tenir leur promesse d’un accompagnement et d’une préparation à la sortie. À l’issue d’un passage en Sas, les aménagements de peine sont fréquents. À la Sas des Baumettes en 2020, 60% des sorties ont eu lieu sous forme d’aménagements de peine ou de libération sous contrainte(4). À Poitiers, de nombreuses personnes obtiennent des libérations sous contrainte, et passent alors sous le régime de la semiliberté, détenus dans le même bâtiment.
Réel accompagnement vers la sortie, permissions de sortir et aménagement de peine largement prononcés… Finalement, les Sas semblent concrétiser des principes qui devraient s’appliquer à tous. Aussi, cette concentration de moyens sur une minorité de détenus interroge. « Activités, intervenants, formations : j’ai l’impression que c’est ce qui devrait être proposé partout », pointe un juge de l’application des peines. « Ce sont des moyens qui devraient être donnés à tous les détenus, que tous aient les mêmes chances de préparer leur réinsertion », complète Dorothée Dorléacq, de la CGT Insertion-Probation.
Par Charline Becker
(1) Créés par un décret du 30 avril 2002, les centres ou quartiers pour peines aménagées accueillent des personnes condamnées bénéficiant d’une mesure de semi-liberté ou de placement à l’extérieur ainsi que celles dont le reliquat de peine est inférieur à un an.
(2) Cléa est un certificat attestant de la maîtrise d’un socle de connaissances et compétences nécessaires à tout métier (expression, calcul, raisonnement, informatique, travail en équipe, autonomie et initiatives, hygiène et sécurité…).
(3) Centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
(4) Cres Paca, Colloque « Santé en détention : constats et actions », 19 mai 2021.