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Suède: quand la prison vise la réhabilitation

La Suède garantit à ses détenus six heures d’activités par jour. Travail, formations, programmes spécialisés et autres activités socio-éducatives rythment le quotidien des « usagers ». Si certains établissements font l’objet de vives critiques, d’autres sont cités en exemple d’un système qui vise la réhabilitation plutôt que la punition. Immersion dans les prisons ouvertes de Kolmården et Skenäs.

Prison ouverte de Kolmården, à 150 kilomètres au sud de Stockholm. Ce jeudi matin, l’aile réservée aux chambres est déserte. Dans le bâtiment principal, quelques détenus passent la serpillère sur le linoleum déjà propre des couloirs ; d’autres discutent, installés dans des fauteuils. « Ceux-là sont en repos aujourd’hui parce qu’ils travaillent en cuisine ce week-end. Les autres sont tous au travail ou participent à une activité ce matin », explique Maria Sjöberg, directrice de l’établissement qui accueille essentiellement des délinquants en col blanc et des auteurs de violences domestiques.

A Kolmården comme dans toutes les prisons suédoises, chacun des 90 détenus a le droit – et l’obligation – de participer à six à huit heures d’activités encadrées par jour, suivant un programme personnalisé. « Les usagers ont souvent eu des parcours chaotiques, écopé de plusieurs condamnations et n’ont pour certains jamais eu une vie ordinaire, avec un travail, une famille. La route vers la réhabilitation peut-être longue, même s’ils disent avoir envie de changer. Notre mission est de concevoir un programme de prise en charge sur mesure pour les aider à y parvenir », explique Maria Sjöberg.

La prison de Skenäs est typique de l’architecture carcérale suédoise. Les détenus évoluent librement entre les différents bâtiments. Comme dans un quart des prisons ouvertes, ils font l’objet d’une surveillance électronique. Ici, pas de barrière : des écriteaux signalent aux détenus la limite à ne pas franchir. © Kriminalvarden

Évaluation des besoins et programme individualisé

Lorsque l’usager arrive dans l’établissement, les équipes disposent du résultat d’une première évaluation[1] réalisée par le service des prisons et de la probation [l’administration pénitentiaire suédoise]. « On reçoit alors l’usager pour de nouveaux entretiens afin de dresser un état des lieux complet de sa situation. Le but est de définir des objectifs et d’élaborer un plan d’action individualisé permettant d’y répondre », résume la directrice de Kolmården. Chaque usager ressort de cette phase d’évaluation avec son propre planning prévoyant au moins trois types d’activités différentes par semaine. La palette est large : travail, formation professionnelle, enseignement général secondaire et universitaire, modules de construction de projet professionnel, de resocialisation et d’accompagnement vers l’autonomie, méditation, yoga et autres activités physiques encadrées… « Mais le cœur des plannings, c’est le travail. Les autres activités viennent s’y greffer. »

A Kolmården, les postes de travail se répartissent entre activités de production et service général : culture et conditionnement de fleurs à destination de la grande distribution, menuiserie pour la production de tables de pique-nique, travaux de maintenance et d’entretien des locaux et des espaces verts extérieurs, service de propreté ou de restauration collective… « Les travaux proposés ici ne sont pas qualifiant et n’ont pas vocation à inscrire les détenus dans un projet d’insertion professionnelle à la sortie, dans la mesure où la plupart des détenus, âgés de 45 ans en moyenne, sont déjà diplômés et occupaient un emploi souvent qualifié avant d’être incarcérés. Le travail a ici surtout une visée occupationnelle », reconnait la directrice. Rien de révolutionnaire donc, si ce n’est qu’il y en a pour tout le monde – 100% des détenus occupant un poste de travail – et que les détenus ont le choix du poste qu’ils souhaitent occuper, « sauf s’il y a un besoin urgent en cuisine », nuance la directrice.

Des « usagers » responsabilisés… et rémunérés

Pour Fredrik, président du comité des détenus[2] de Kolmården, « ce qui est particulièrement appréciable, c’est que ce sont presque uniquement les détenus qui font fonctionner la prison. On est tous responsables de quelque chose, que ce soit du ménage, de la cuisine, de la maintenance, de l’organisation des activités les week-ends… ». Cet ancien chef d’entreprise a été condamné à une peine de cinq ans. Après plus de deux ans dans une prison de niveau de sécurité supérieur, il purge à Kolmården sa dernière année de détention, la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine étant quasiment automatique en Suède. A son arrivée à Kolmården, il a choisi de rejoindre le service d’hygiène, « un travail qui a du sens, dans la mesure où il profite à tous ». Les usagers perçoivent une –  maigre – compensation financière de 13 couronnes, soit 1,40 euros pour chaque heure travaillée. Une « source de motivation supplémentaire » pour Fredrik. « Grâce à ça, on peut acheter du café, des produits d’hygiène, des petites choses qui améliorent le quotidien, sans que cela pèse sur notre famille », explique-t-il. Mais la compensation financière n’est pas réservée qu’au travail : les usagers la perçoivent aussi pour toute heure passée dans les activités définies dans le plan d’action construit à leur arrivée.

Dans la prison ouverte de Skenäs, située à quelques dizaines de kilomètres de là, les postes de travail proposés répondent à une toute autre logique. « Ici, nous accueillons une cinquantaine de détenus, surtout des jeunes hommes, condamnés dans des affaires de stupéfiants, de violence, de fraude… La plupart d’entre eux n’ont jamais travaillé avant leur condamnation », explique Göran Degerhed, le directeur de la prison. Les usagers peuvent s’inscrire dans l’une des deux activités de production et de formation professionnelle. « La première, très qualifiante, en génie électromécanique, permet de trouver un travail très facilement à la sortie. Cette formation, qui accueille 18 apprentis, n’est cependant pas accessible à tout le monde, car il faut avoir des facilités en maths. On propose aussi une formation de menuiserie, plus accessible. Lorsqu’ils sont formés, ils continuent de produire au sein de l’atelier jusqu’à leur sortie. D’autres ne suivent aucune de ces formations et travaillent au service général ou poursuivent à temps plein des études, même si la plupart cumulent travail et enseignement. »

Programmes d’intervention spécialisés

Outre le travail, la formation professionnelle ou l’enseignement, les plannings des détenus suédois intègrent un autre type d’activité phare : les programmes d’intervention spécialisés, visant à prévenir le risque de récidive. Il en existe quinze en Suède, dont treize sont des programmes cognitivo-comportementaux. « Ces programmes sont adaptés à différentes problématiques, explique Norman Bishop, fondateur du département de recherche et développement de l’administration pénitentiaire suédoise et expert pour le conseil de l’Europe sur les questions pénitentiaires. Directement issus de la recherche, ils ont été importés du Canada au début des années 2000 et sont continuellement évalués et améliorés par le service de recherche et développement de l’administration pénitentiaire. »

A Kolmården, six programmes sont principalement utilisés : motivation, sortie de la délinquance, lutte contre les violences domestiques, aide à l’éducation parentale, sortie de l’alcoolisme, prévention de la rechute… Un nouveau programme, de gestion de la violence et de l’agressivité, est expérimenté. A Skenäs, on trouve cinq programmes adaptés au profil de la population détenue, qui visent essentiellement la sortie de la délinquance, la lutte contre les addictions et la gestion de la violence.

La participation à un tel programme n’est pas automatique – « tous n’en ont pas besoin » – et requière la coopération de l’usager. « Au moment de l’évaluation à l’entrée en prison, on demande à l’usager de s’exprimer sur les problématiques identifiées. Il n’est pas rare que des désaccords s’expriment, notamment chez les délinquants sexuels, très souvent dans le déni.», explique Christer Isaksson, responsable des relations internationales à l’administration pénitentiaire suédoise. « On peut aussi ne pas être d’accord sur ce qu’on juge le plus important, complète Maria Sjöberg. Le professionnel peut estimer que la priorité pour l’usager est d’apprendre à gérer sa colère, quand ce dernier souhaite d’abord se concentrer sur l’obtention d’un diplôme. On laissera dans ce cas l’usager prioriser l’école, et on reviendra plus tard à la charge avec la question du programme. On n’a aucun intérêt à avoir des participants récalcitrants. Ils ont parfois juste besoin de temps. On ne peut pas changer de comportement en un claquement de doigts, et encore moins le faire à leur place. Nous sommes seulement là pour au moins le suggérer et les encourager sur cette voie. »

Fredrik a suivi un programme en douze étapes, pour ses « problèmes d’addiction et de délinquance ». Au départ, il a eu du mal à adhérer. « Quelque-chose me gênait dans ce programme : pour que ça marche, vous deviez plus ou moins croire en une force supérieure. J’ai passé trois mois à me battre contre le sentiment de faire partie d’une sorte de secte. Ce blocage faisait écran au reste. Jusqu’à ce qu’un des participants me dise : « Arrête de faire une fixation sur ce qui te gêne, focalise-toi plutôt sur les aspects que tu trouves intéressants. » C’est ce que j’ai fait, et ça a commencé à vraiment marcher pour moi. Le programme m’a donné des clés de réflexion, m’a aidé à déconstruire mes schémas de pensée. J’ai commencé à considérer ce qui était réellement important pour moi : ma famille, mon entreprise. Deux phrases du thérapeute ont suffi pour tout débloquer : « Tu veux être un héros pour ton fils. Demande-toi si la vie que tu as menée jusqu’ici fait vraiment de toi ce héros. » Mais en fait, ce déclic, il aurait pu venir de n’importe qui. Le programme m’avait simplement préparé à l’avoir. »

S’il existe une souplesse sur la question de la participation aux programmes, les détenus ont tout de même l’obligation de respecter leur planning et d’effectuer leurs six heures d’activités quotidiennes. S’ils ne s’y conforment pas ? « Ils risquent un rapport de mauvaise conduite, qui, cumulés, peuvent à terme compromettre leur libération conditionnelle. Ils peuvent aussi être transférés dans une prison de niveau de sécurité plus important. »

« Surveillants-éducateurs »

Les surveillants jouent un rôle clé dans ce système bien huilé. Ce sont d’abord eux qui, lors de l’évaluation à l’entrée en prison, procèdent à la conception des plannings d’activités. Chaque usager se voit par ailleurs attribuer un surveillant référent chargé de l’accompagner au quotidien. Un surveillant de Skenäs : « en tant que personnes référentes (il y en a six parmi la vingtaine de surveillants), on parle beaucoup avec les détenus. De leur vie d’avant, de leurs projets pour l’après. Notre mission, c’est de les préparer à la sortie. On est surtout là pour les aider à s’améliorer. On tâtonne, on essaye de trouver quel type d’aide on peut leur apporter. » Un rôle qui confine parfois à celui d’éducateur, surtout à Skenäs où les usagers sont de jeunes adultes qui peuvent n’avoir jamais vécu seuls. « On leur apprend à devenir indépendant, à cuisiner, à faire le ménage. L’idée est de les aider à vivre le plus normalement possible entre les murs. »

Les équipes des prisons ouvertes de Kolmården et Skenäs ne versent pas pour autant dans l’éducatif pur : la sécurité reste l’une de leurs missions principales. Mais elle s’inscrit dans une approche dynamique de la sécurité qui, à l’inverse d’une approche passive, entend prévenir les incidents par le dialogue, la médiation et la connaissance des détenus plutôt que par la discipline et le rapport de force. « La discussion et la relation de confiance sont donc essentielles, y compris dans une perspective sécuritaire », précise un surveillant de Skenäs.

« On est traités comme des adultes, pas comme du bétail. La conséquence, c’est qu’il n’y a aucune violence », confirme Fredrik depuis Kolmården. Ce n’est cependant pas le cas dans toutes les prisons. « Dans la prison de niveau 2 où j’étais avant, je ne rencontrais jamais mon référent. Il y avait une vraie distance entre les détenus et les surveillants, avec beaucoup de règles, et aucun respect. Le climat était très violent. Si vous gardez les gens dans des cages et les traitez comme des animaux, ils finissent par se comporter comme tels. »

Sur les loisirs, les détenus aux commandes

Pour l’animation des soirs et des week-ends, les détenus ont le champ (presque) libre. Outre l’intervention d’associations extérieures, ils disposent de différents équipements : salle et parc extérieur de jeux pour s’occuper avec leurs enfants en visite, bibliothèque, salle d’activités libres équipées de jeux de société et d’une télévision, parcours de santé dans le parc… Le comité des détenus se charge de proposer et organiser des événements : tournoi de foot, bingo, projection de film… Toutes les deux semaines, le comité et la direction se réunissent. « On discute de ce qui pourrait encore être amélioré dans la prison, explique Bjorn, membre du comité. Récemment, les portions de nourriture, réduites ces derniers temps, ont été critiquées. Un effort a été fait par la direction pour corriger le problème. On soumet aussi à la direction nos projets d’activité, qui les valide la plupart du temps. On est vraiment écoutés. Ça compte beaucoup. »

Un tiers de prisons ouvertes
Avec 61 prisonniers pour 100000 habitants [3], soit 5400 au total [4], la Suède présente l’un des plus bas taux d’incarcération d’Europe. Parallèlement, le pays comptez un grand nombre de prisons, rapporté à sa population : 46 établissements pour peine pour 10 millions d’habitants, l’un des taux les plus élevés du monde. Ces prisons sont petites, et accueillent en moyenne 65 détenus. En comparaison, la prison de Fleury-Mérogis héberge plus de prisonniers que toutes les prisons pour peine de Suède réunies.
Les prisons suédoises se partagent en trois niveaux de sécurité, du plus restrictif (niveau 1) au plus ouvert (niveau 3). Kolmården et Skenäs font partie de cette troisième catégorie, comme 16 des 47 établissements que compte la Suède, soit un tiers du parc carcéral suédois. Ici, les détenus se déplacent en journée en toute liberté dans le périmètre de la prison. La nuit, ils sont confinés dans l’aile réservée aux chambres. Les détenus ont la clé de leur chambre et peuvent évoluer dans la section à leur guise. Ils ont un accès libre à une salle TV et aux douches (lorsqu’elles ne sont pas intégrées à leur cellule). A Kolmården, ils ont également accès à une cuisine équipée du strict minimum (les détenus peuvent se préparer un café, mais ont interdiction de cuisiner) et à un balcon pour les fumeurs.
On trouve dans les établissements de niveau 3 des personnes condamnées à moins de deux ans de prison et des détenus en fin de peine, la philosophie générale étant que chaque personne condamnée soit détenue dans des conditions de moins en moins restrictives au fur et à mesure de l’exécution de sa peine, et passe par exemple d’une prison de niveau 2 à une prison de niveau 3 avant d’être libérée. Les conditions à remplir : ne pas présenter de risque élevé de mauvais comportement en détention et ne pas souffrir d’addictions ou de troubles psychiques.

Par Laure Anelli

[1] Il s’agit d’une évaluation menée selon la méthode RBR, risques – besoin – réceptivité, originellement développée au Canada, et exportée dans de nombreux pays anglo-saxons et scandinaves. Elle vise à évaluer les risques de récidive de la personne et ses besoins en termes d’accompagnement et à mettre en place un programme de suivi adapté en fonction de ses capacités (réceptivité).

[2] La loi suédoise prévoit que chaque prison soit dotée d’un comité de détenus, instance représentative des usagers auprès des directions des établissements.

[3] En France, on dénombrait 101 détenus pour 100000 habitants en 2014, selon les statistiques du Conseil de l’Europe.

[4] 4000 en établissements pour peine, 1460 en maison d’arrêt.