Mohamed a 15 ans quand il braque un bureau de tabac. D’abord placé en centre éducatif fermé, il sera finalement incarcéré après la révocation de son contrôle judiciaire. À la prison de Fleury-Mérogis, sa santé se dégrade rapidement. Jusqu’à cette nuit de mars 2019 où il se voit mourir.
Mohamed a grandi en banlieue parisienne dans un schéma familial complexe. Ses parents, séparés, obtiennent sa garde à tour de rôle. Suivi par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, il fait, dès le plus jeune âge, l’objet de plusieurs placements en foyer ou en famille d’accueil.
Mohamed a 15 ans quand il braque un bureau de tabac, un jour d’août 2018. Rapidement interpelé, il est placé sous contrôle judiciaire et envoyé au centre éducatif fermé (CEF) d’Epinay-sur-Seine, le temps de l’instruction. Il gardera des cinq mois passés là-bas un sentiment mitigé. D’un côté, le quotidien avec les éducateurs et les autres jeunes, entre enseignement et activités, lui laisse rétrospectivement de « bons souvenirs ». Mais de l’autre, il dit n’avoir eu droit, pendant ces cinq mois, qu’à une visite hebdomadaire d’une heure de sa mère et à deux week-ends de sortie. Le moindre de ses faux-pas fait l’objet de rapports à la justice. Des curedents introduits dans la serrure de sa chambre lui vaudront même un passage au tribunal, rapporte-t-il.
Le 4 février 2019, son contrôle judiciaire est révoqué pour une fugue et des violences sur un autre jeune placé – il dément les deux accusations. Le juge ordonne son placement en détention provisoire. « Quand j’ai entendu “Fleury- Mérogis”, intérieurement, ça m’a fait un choc, se souvient Mohamed. Pour moi, c’était pas possible, je ne voyais ça que dans les films. Mais je suis resté froid, je n’ai pas montré mes émotions pour préserver ma mère. » Celle-ci s’effondre néanmoins dans le tribunal.
Mohamed a 16 ans quand il entre en prison. L’arrivée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis est brutale. L’adolescent découvre la promenade et la violence des mineurs détenus entre eux. Sa cellule est dans un état tel que pour sa première cantine, Mohamed dit avoir dépensé tout son pécule en produits ménagers. La nourriture est « immonde » et en quantité insuffisante. Tous les matins, le jeune homme est réveillé à 6 h par le passage des surveillants. « Ils frappent à la porte et disent “t’es là ?”. Faut répondre, sinon ils reviennent. » Et après ? « Rien. On se réveille… » Contrairement au CEF, il y a très peu d’activités. Il n’ira à son premier cours que deux semaines après son arrivée.
Dès son entrée en prison, sa mère fait les démarches pour obtenir un permis de visite. Elle multiplie les courriers à la juge d’instruction, sans réponse. Pendant les cinq semaines que durera la détention de Mohamed, ses parents n’obtiendront jamais le droit de voir leur fils au parloir.
Deux semaines après son incarcération, une demande de mise en liberté est présentée devant la Cour d’appel : rejetée. Au moins, les parents de Mohamed auront pu voir leur fils à l’audience ; ils le trouvent « pâle » et « très amaigri ». De retour en détention, il voit un médecin qui ne s’alarme pas de son état.
Le soir du 12 mars, Mohamed se sent plus mal que d’habitude. il apprendra plus tard qu’il était en train de faire une acidocétose, complication grave d’un diabète de type 1.
Au bout d’un mois de détention, l’adolescent commence à se sentir mal. Il a perdu une dizaine de kilos, a « du mal à se réveiller », des difficultés de concentration ; il dort « quasiment toute la journée ». Le soir du 12 mars, Mohamed se sent plus mal que d’habitude. Il apprendra plus tard qu’il était en train de faire une acidocétose, complication grave d’un diabète de type 1. Il raconte : « Je tape à la porte, je sonne, je dis aux surveillants que je ne me sens pas bien, que j’ai des douleurs extrêmes au thorax. Pas de réponse. 22h30, je retoque, 23h, 23h30 je retoque, minuit je retoque. Un surveillant arrive et me dit que le médecin ‘‘est sur une autre mission, [qu’]il ne peut pas venir’’. Je n’ai jamais ressenti une douleur comme ça, j’ai mal dans tout le ventre et le thorax. Je crie de toutes mes forces pour que quelqu’un vienne m’aider. Les voisins de cellule s’inquiètent et me demandent ce qu’ils peuvent faire, me proposent des médicaments… Plus tard, je vomis, alors je retoque. Un surveillant passe et me dit qu’il y a ‘‘d’autres urgences’’. Et puis je m’évanouis. » Une surveillante le trouve le lendemain matin et l’emmène chez le médecin qui l’examine et le renvoie en cellule. Il y perd à nouveau connaissance. La surveillante décide de le ramener à l’unité sanitaire, où il s’évanouit encore deux fois. Mohamed sera transféré dans la matinée à l’hôpital de Corbeil-Essonnes, avant d’être finalement envoyé à la Pitié-Salpêtrière.
Tombé dans le coma
Les parents de Mohamed disent n’avoir été prévenus qu’à 14 h. On leur annonce alors que leur fils a été transféré à l’hôpital dans la nuit « pour des maux de ventre ». Où ? Impossible de le savoir avant plusieurs heures. Lorsqu’ils arriveront à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, ils apprendront que le pronostic vital de leur fils – qui était tombé dans le coma – n’est plus engagé. Ils seront autorisés à le voir dix minutes chacun.
La détention à l’hôpital est très dure pour Mohamed. Les policiers retirent le tuyau de douche pour empêcher qu’il se suicide. Ils dégondent également la porte ; il est obligé de se laver nu devant les policiers. « On voyait mes fesses, j’étais mal à l’aise. Déjà, quand on arrive en prison, on nous déshabille, on se retrouve tout nu devant les surveillants, je ne sais pas comment vous expliquer… On perd un peu en intimité, en dignité », confie-t-il.
Il attend que les journées se passent, sans aucune promenade ou activité. Il aura accès à la télévision la troisième semaine. « Imaginez-vous, pendant deux semaines, de 8 h à 23 heures sans télévision, dans un hôpital avec des policiers qui vous parlent mal, sans sortir, rien ! Clairement, je regardais le mur. »
Au bout de trois semaines d’hospitalisation, un médecin expert mandaté par la juge d’instruction l’examine et déclare que son état de santé est compatible avec la détention. Le médecin chef du service diabétique juge du contraire. On annonce le lendemain au jeune homme qu’il est libérable, la juge d’instruction ayant retenu l’avis du médecin chef. C’est le soulagement. « J’étais trop content, j’ai craqué. Mais je suis vite revenu à la réalité : j’étais devenu diabétique. » Mohamed vit aujourd’hui chez sa mère dans l’attente de son jugement. Soumis à un contrôle judiciaire strict, il doit pointer tous les jours au commissariat et ne peut pas quitter le département. Depuis sa sortie de prison, Mohamed souffre de fatigue chronique due à son diabète. Il a des accès de colère au souvenir de ce qu’il a vécu cette nuit de mars 2019. Ses parents ont porté plainte contre la prison de Fleury-Mérogis.