Éditorial de la revue Dedans-Dehors n°90
par CÉCILE MARCEL Directrice de la section française de l’OIP
Quand le gouvernement fait adopter sans coup férir la prolongation de l’État d’urgence à des élus rendus amnésiques par la sidération et mutiques par la peur de s’opposer à « l’union nationale sécuritaire » ;
Quand le Premier ministre appelle les parlementaires à ne pas faire de « juridisme » et à s’abstenir de prendre le risque d’une saisine du Conseil constitutionnel pour faire adopter à la hâte un dispositif qu’il sait contrevenir aux droits fondamentaux de notre démocratie. Que l’État informe le Conseil de l’Europe qu’il entend déroger à certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ;
Quand l’État d’urgence permet le musèlement des mouvements sociaux et entame les libertés fondamentales en multipliant les mesures de police susceptibles d’échapper au contrôle du juge, avec son lot d’inévitables dérives ;
Quand le président de la République annonce vouloir réformer la constitution au plus vite pour renforcer ce dispositif d’exception alors que le Front national est aux portes du pouvoir ; Quand le contexte politique est si fragile, quels peuvent être la place et le rôle d’une association comme la section française de l’Observatoire international des prisons ?
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont nombreux. Exister en premier lieu, alors que les finances publiques sont exsangues, que la nouvelle donne politique compromet une part importante de nos subventions et que notre cause n’a jamais semblé avoir si peu de soutien. Résister ensuite, en réaffirmant la solidité de nos convictions dans une société désorientée et à laquelle est imposée la seule et unique réponse répressive. « Nous voulons que ces dramatiques événements soient, au contraire, l’occasion de construire un autre chemin que celui qui nous est proposé », ont affirmé 79 organisations (dont l’OIP) et 15 syndicats dans un appel unitaire qui marque les premiers pas d’une mobilisation commune et indispensable de la société civile. Construire cet autre chemin, cela passe par la multiplication des analyses, la création d’espaces de discussion, l’expression d’idées autres que convenues. « Nos organisations construiront, partout en France, ces lieux qui nous permettront de débattre et nous exercerons une vigilance permanente afin que nos droits et libertés soient préservés », conclut l’appel. Nous devrons y prendre toute notre part, dans une démarche qui fait écho à ces mots écrits presque aux origines de l’OIP par la présidente d’alors : « Tout pouvoir frôle en permanence l’abus de pouvoir. Seuls les pouvoirs despotiques précisément veulent ignorer et nier cette réalité. Les seuls remèdes, les garde-fous, sont les contre-pouvoirs que les citoyens ordinaires que nous sommes peuvent et doivent inventer, c’est le chemin que l’Observatoire international des prisons commence à inventer. » (Christine Daure Serfaty, 1993)