Affectation dans un établissement, choix du régime de détention, accès aux activités, contacts avec les proches : rares sont les domaines de la vie quotidienne du détenu qui ne soient susceptibles d’être affectés par un système dominé par la logique disciplinaire, et qui, à ce titre, récompense le « bon comportement » et sanctionne à l’inverse le « mauvais comportement ».
Au-delà de la procédure disciplinaire, l’ensemble de la vie en détention est traversé par la discipline. En effet, bon nombre de décisions concernant le quotidien des détenus, leurs liens avec l’extérieur, leur parcours de réinsertion, sont influencées, voire conditionnées, par leur comportement en détention, dès lors soumis à une observation et à une évaluation permanente.
Le choix du régime de détention est l’un des principaux outils de cette gestion paradisciplinaire. Consacré par la loi pénitentiaire de 2009, le système des régimes différenciés – ouvert, semi-ouvert ou fermé – permet d’affecter une personne détenue dans une unité plus ou moins sécurisée de l’établissement sur la base d’une appréciation de son passé pénal, de sa « dangerosité » et de sa « personnalité ». L’exemple du module “Respect”, sous-catégorie du régime ouvert, montre bien à quel point le comportement du détenu est central dans la décision d’affectation. Il s’agit d’un régime portes ouvertes dans lequel les personnes détenues participent à l’organisation du quotidien de la vie en détention, s’engagent à s’inscrire à des activités et à respecter des obligations en matière de convivialité, d’hygiène, etc. Mais le module n’est pas accessible en cas de « sanction disciplinaire grave récente », et ne concerne dans les faits qu’un petit nombre de détenus. Une fois affecté au module Respect, le détenu ne s’y maintient qu’à la condition qu’il ne commette aucune faute disciplinaire et qu’il fasse l’objet d’une évaluation positive, la surveillance prenant la forme d’un « dispositif de bons et de mauvais points qui donne lieu à récompense ou recadrage, voire exclusion », comme le précise l’avis du CGLPL relatif aux modules de respect[1]. Le détenu peut également perdre l’ensemble de ses points à cause d’un seul incident.
Le transfert est également l’un de ces outils paradisciplinaires. Bien qu’il ne figure pas dans la liste des sanctions, il est pourtant fréquemment utilisé en réponse à un manquement à la discipline, ou pour assurer l’ordre et la sécurité d’un établissement. Avec des conséquences potentiellement lourdes pour la personne transférée, comme l’éloignement de ses proches, la perte d’un poste de travail ou l’anéantissement d’un projet d’aménagement de peine. Dans la même logique, les demandes de transfert formulées par les personnes incarcérées sont le plus souvent soumises, entre autres, à l’adoption d’un « bon comportement ».
Autre mesure fréquemment prise en réponse à un comportement hors de toute procédure disciplinaire : l’isolement, qui prive les détenus de toute sociabilisation, réduit leur accès aux activités et les soumet à des mesures de surveillance renforcées. Si, en principe, la mise à l’isolement administratif « ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure de police destinée à garantir le bon ordre au sein d’un établissement pénitentiaire » comme l’a rappelé le Conseil d’État[2], il n’est cependant pas rare qu’il soit utilisé comme substitut ou complément de l’action disciplinaire. En août 2021, monsieur I., détenu à Châteaudun, avait ainsi été placé à l’isolement après avoir été à l’origine d’une pétition dénonçant des quantités de nourriture insuffisantes. La décision le concernant précisait qu’il exerçait « une influence particulièrement néfaste sur ses codétenus et qu’il [cherchait] à générer un incident collectif ».
Au-delà de ces mesures, l’administration dispose, au quotidien, de nombreux leviers pour sanctionner un mauvais comportement ou au contraire récompenser une bonne conduite. En faisant en sorte que la détention soit plus ou moins « vivable » : accès au travail, à une formation, aux activités, etc. Ou encore en facilitant ou non les liens avec l’extérieur (suspensions de parloirs, octroi ou non d’Unités de vie familiales). La plupart de ces décisions sont prises à l’issue de la commission pluridisciplinaire unique (CPU). C’est en effet au sein de cette instance présidée par le chef d’établissement et au champ de compétence extrêmement large que sont discutés les choix régissant le parcours d’exécution des peines des personnes détenues… en dehors de leur présence et sans, le plus souvent, qu’elles aient pu y être représentées ou y faire entendre leur voix.
Par Odile Macchi et Cécile Marcel
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°119 – août 2023 : Discipline en prison : la punition dans la punition
[1] CGLPL, avis du 12 décembre 2017 relatif aux modules de respect dans les établissements
[2] CE, 11 fév. 2020, n° 438039. pénitentiaires.