La chronique de Krapitouk. Après avoir fermé son blog sur Médiapart, le surveillant pénitentiaire anonyme tient désormais une rubrique dans Dedans-Dehors
C’est un sujet dont il ne faut justement pas parler et l’évoquer en détention, c’est toujours commettre un faux pas. Au mieux c’est inutile, au pire nuisible: le sujet est du domaine du privé pour les détenus et il faut le respecter. Si ce n’est pas pour y donner l’accès, leur permettre d’aller aux trop rares cultes des trop rares religions organisés par de trop rares aumôniers, autant ne pas évoquer le sujet : la neutralité est une qualité du serviteur public qu’on doit garder intacte, elle est précieuse.
Pour autant, on demande aux surveillants d’observer l’éventuelle radicalisation des détenus, et la récente mise en lumière médiatique de l’observation accrue des détenus qui se radicaliseraient a créé ce qui a déjà été démontré par l’expérience : un individu qui se sait évalué, même s’il en ignore les critères (dans le cas présent, même les observateurs en ignorent les critères!), adapte son comportement à ce qu’il pense être conforme au souhait des observateurs, et tout devient moins visible : le « normal » comme l’inquiétant. Tout le monde se sentant observé, tout le monde se cache.
La religion en prison est importante. Elle permet de revenir à soi et à l’existentiel, de sortir du quotidien, des images que chacun a de lui-même (et des autres). Elle est un des rares éléments qui peuvent rappeler aux humains ce qu’ils ont de meilleur et leur donner une espérance en ce lieu de punition. Elle leur permet de créer un lien entre eux, un partage fondé sur autre chose que le matériel.
Qui n’a pas entendu dire qu’il était hypocrite de se découvrir une conscience en prison ? A ceux-là, je réponds que s’il y a bien un endroit sur Terre où il est bon de s’en découvrir une et où il est essentiel de pouvoir mobiliser ses nobles sentiments, c’est certainement dans ce lieu où les gens sont punis et relégués par leur société. S’il est bon de faire appel, une fois dans sa vie, à la spiritualité, de transcender le monde, les ennuis et angoisses, c’est probablement quand on est au plus bas.
Pour cela, il faut des moyens : des aumôniers de toutes obédiences, du temps, des lieux. Seule l’offre suffisante de religion, animée par des personnes compétentes dans un cadre acceptable, pourra enrayer en partie le prosélytisme tant redouté en prison. C’est certainement en raison du mélange de défiance, du sentiment de rejet, et de l’absence de présence régulière pour dispenser des explications et analyses fondées théologiquement que certains détenus se fient à d’autres (qui se sont aussi fiés à d’autres auparavant) pour leur éducation religieuse, avec la quasi-certitude de faire et croire n’importe quoi à l’arrivée.
A ce sujet, la solution de regrouper les détenus radicalisés entre eux est probablement illusoire: d’abord, elle les condamne à rester entre eux et à radicaliser encore davantage les moins affirmés ; et, en plus, elle doit favoriser le sentiment de stigmatisation (à éviter absolument en cas d’emprise sec- taire sur une personne qu’on souhaite en sortir). Et n’oublions pas que la séparation créée n’est que physique et n’empêche pas de prêcher par les fenêtres.
La lutte contre l’ignorance religieuse passe par le savoir, le sentiment d’intégration, et l’espoir d’un lendemain possible. Il est important de redonner cela à ceux qui en sont dépourvus, sinon ils iront les chercher ailleurs et surtout n’importe où. Enfin, l’acceptation par les détenus d’une personne accréditée par l’institution pour leurs affaires spirituelles passe aussi par l’amélioration des autres conditions de détention. Ceux qui recrutent chez nous pour des États terroristes savent bien exploiter les brèches que nous n’avons pas su combler.
La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État garantit le libre exercice des cultes. L’administration pénitentiaire est tenue de permettre à toute personne détenue de « pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » (article R.57-9-3 du code de procédure pénale).