Une ferme biologique, dédiée à la réinsertion des femmes sortant de longues peines de prison, mais également un espace d’accès à l’art, aux sports, aux activités associatives : c’est le lieu qui est en train d’émerger à Tarnos, dans les Landes. Rencontre avec le porteur de ce projet, Gabriel Mouesca, qui a lui-même passé dix-sept ans en prison avant de notamment devenir, de 2004 à 2009, le président de l’OIP-SF.
Comment est née cette idée de créer une ferme réservée aux anciennes détenues ?
Gabriel Mouesca : Cette ferme s’inscrit dans la continuité des fermes de réinsertion ouvertes à Moyembrie et Lespinassière(1), où sont accueillis des détenus dont la fin de peine est aménagée à l’extérieur de la prison. À cette particularité près que notre ferme n’accueillera que des femmes. Parce qu’en devenant père de deux petites filles, j’ai pris conscience de manière très concrète du statut des femmes dans la société et du sort des femmes incarcérées qui, du fait de leur minorité, ne bénéficient pas des mêmes « avantages » que les hommes dans le système carcéral. J’ai aussi pensé ce projet comme une forme de « réparation ». Car si les femmes sont responsables de leurs actes, bien souvent, derrière, il y a des formes de violence masculine.
Combien de femmes allez-vous accueillir et combien de temps vont-elles rester à la ferme ?
Sept femmes vont arriver en 2020, et elles devraient être dix au total en 2021. Ce sont des femmes qui ont passé de longues années en prison et qui bénéficient d’une mesure de placement extérieur pour la fin de leur peine. Elles resteront entre six mois et deux ans à la ferme – en moins de six mois, c’est impossible de construire un accompagnement de qualité et un projet solide avec la personne. À Tarnos – à la différence des fermes de Moyembrie et de Lespinassière qui ne « recrutent » que parmi les détenus de leur région – les femmes pourront venir d’établissements pénitentiaires de toute la France. Autre spécificité de notre ferme : les femmes que nous accueillerons étant aussi souvent des mères, nous allons travailler à différents dispositifs pour que les enfants puissent venir leur rendre visite, afin de renforcer les liens.
Dans quel cadre ces femmes seront-elles accueillies ?
Nous avons trois hectares de terres agricoles, qui seront consacrés au maraîchage biologique, avec éventuellement quelques poules, des fruits, des petits animaux… Pour l’hébergement, nous avons récupéré une immense bâtisse de 1000m2, achetée par Emmaüs à une congrégation religieuse. Elle est en très bon état, nous avons juste quelques travaux de rafraîchissement à faire avant de pouvoir accueillir les premières femmes. En plus des chambres, nous prévoyons d’aménager des salles de réunion, de formation, un dortoir pour les visiteurs et bénévoles de passage.
Comment vont se dérouler les journées des femmes accueillies ?
Il y a un volet purement agricole, d’environ vingt-six heures par semaine. Il y a aussi tout un travail sur la réinsertion : ouverture des droits sociaux, démarches de santé, élaboration d’un projet professionnel, recherche d’un logement, etc. Nous allons également proposer aux femmes – et c’est une autre particularité de notre ferme – des formations qualifiantes en maraîchage biologique : les deux centres de formation agricole que nous avons démarchés semblent disposés à travailler avec nous. Enfin, l’accès à l’art et à de multiples activités sera central. Le but est de proposer aux femmes un maximum de contacts avec l’extérieur, pour qu’elles avancent avec leurs désirs, leurs projets, et qu’elles soient actrices de leur propre vie. C’est un lieu qui va favoriser l’autonomie – point crucial pour les personnes sortant de prison. Comment passe-t-on du statut de personne détenue, livrée pieds et poings liés à la machine pénitentiaire, au statut de personne autonome, alors que la volonté, les actions ont été neutralisées par des années d’incarcération ? Cette question de l’autonomie est pour nous essentielle. C’est l’ADN de ce projet, et celui d’Emmaüs : quand on donne à quelqu’un les moyens de sa dignité, les moyens d’être créateur, d’être autonome, ça peut créer quelque chose de beau, quelque chose de géant.
Cela va demander du temps et un accompagnement solide. Combien de personnes travailleront à la ferme ?
Nous avons embauché un encadrant agricole, qui est maraîcher biologique. Il a une qualité en plus : avant d’être maraîcher, il était ergothérapeute. Et j’ai trouvé la combinaison de ces deux capacités très intéressante, car nous accueillons des corps abîmés, qui ont été retenus, se sont affaissés par manque d’activité, d’énergie… Il était important que la personne qui accompagne ces femmes dans le travail de la terre soit aussi quelqu’un qui connaisse les corps, et leur permette de ne pas être encore plus brutalisés, maltraités. Nous avons également une éducatrice spécialisée et, en janvier, lorsque nous aurons notre agrément de maison d’hôte, une hôtesse de maison. Ensuite, l’enjeu sera d’être entourés d’une équipe de bénévoles qui renforceront le projet…
Comment allez-vous recruter les femmes qui seront accueillies ?
Le processus est le même que dans les deux autres fermes, mais à l’échelle nationale. Dans un premier temps, fin 2019, nous avons informé les établissements pénitentiaires, les SPIP et les femmes détenues de l’ouverture prochaine de la ferme, et avons indiqué aux détenues qu’elles sont en droit de demander un aménagement de peine en placement extérieur. Elles peuvent maintenant, via leur conseiller d’insertion et de probation, nous écrire si elles sont intéressées. La seconde étape, ça sera d’aller en prison pour expliquer le principe de la ferme, le travail, la vie collective. Si la personne accroche et que nous considérons qu’elle est adaptée à ce projet de vie, elle peut demander une permission de sortir de deux jours et venir à Tarnos rencontrer l’équipe, mettre un peu la main à la terre, se rendre compte que la terre est basse aussi… Au retour de cette permission, soit elle nous dit « ce n’est pas pour moi, je ne suis pas adaptée à ça », soit elle nous dit ok et elle commence la procédure pour obtenir un aménagement de peine. Et c’est le juge de l’application des peines qui aura le dernier mot…
Un tel projet, pour fonctionner, doit s’ancrer localement, auprès des habitants et des acteurs du territoire. Jusqu’à présent, quel accueil avez-vous reçu ?
Nous avons essuyé une pétition locale de soixante-et-onze personnes qui ne veulent pas voir de femmes détenues dans leur environnement immédiat, et j’ai dû batailler avec la Safer(2) pour l’obtention des terres. Mais je rencontre aussi énormément de petits paysans et d’habitants qui me demandent comment ils peuvent s’intégrer dans une activité solidaire et responsable. Alors inventons l’avenir ! Ce que nous sommes en train de créer là, ça va rayonner localement, ça va essaimer. On va créer des liens entre projets, entre structures, des liens de fraternité avec des gens qui veulent donner leur intelligence et leur énergie à construire d’autres choses… Car notre ferme, c’est un lieu éminemment politique. Oui, on va aider des femmes à vivre debout, à retrouver pleinement leur place dans la société. Mais au-delà de ça, ce lieu, il va aussi permettre de fabriquer des outils pour faire évoluer les consciences sur les politiques pénales et carcérales… C’est un lieu qui doit aider le législateur à créer de nouvelles lois, qui s’inscriront dans des humanités plus intelligentes.
Recueilli par Charline Becker
(1) Fermes de réinsertion ouvertes en 1996 dans l’Aisne et en 2018 dans l’Aude. Ces trois fermes sont soutenues par Emmaüs-France.
(2) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.