On connaissait la tendance, chez certains policiers, à abuser de la plainte pour outrage à agents(1). Il semblerait que ce type de dérive touche aussi la pénitentiaire. Certains surveillants iraient même jusqu’à provoquer l’incident pour obtenir des dommages et intérêts.
Les agressions de surveillants par des personnes détenues sont fréquentes. L’administration pénitentiaire (AP) en a ainsi recensé 4 314 en 2018(2). Mais parmi elles, combien ont été sciemment provoquées par les agents ? La question, volontairement polémique, mérite pourtant d’être posée. Qu’ils soient (ou aient été) surveillants ou directeurs, les membres de l’administration pénitentiaire rencontrés dans le cadre de notre enquête ont quasiment tous évoqué l’existence de telles pratiques. Ils viennent ainsi confirmer la réalité d’un phénomène qui, bien que sans doute marginal, est régulièrement dénoncé par les personnes détenues.
Un ancien surveillant évoque une collègue qui poussait à bout les détenus – généralement « les plus fragilisés » sur le plan psychologique – jusqu’à l’incident. « Elle va devant eux et elle les cherche. Une fois qu’ils sont énervés, qu’ils commencent à insulter et tout, là, elle déclenche l’alarme pour que les autres surveillants viennent. À partir de là, elle dépose une plainte : le détenu prend une peine supplémentaire et elle, elle prend 1000 €. C’est les conseils qu’elle prodiguait à un autre agent : “Si tu veux être sûr de partir en vacances sur le compte d’un détenu, les insultes ça vaut que dalle, il faut qu’il te menace de mort et compagnie.” » Un directeur confirme : « Ce n’est pas nouveau. Dans certains établissements, il y a quelques agents qui sont connus et qui même se vantent auprès d’autres en disant : “Tiens, je vais me faire payer des vacances.” » Un autre encore abonde : « Vous avez des collègues spécialistes de ça : ils rentrent dans les cellules pour ne plus être sous la caméra, ils ressortent : “Oh, j’ai pris un coup, j’ai pris un coup !” Allez hop, accident du travail, trois semaines d’arrêt et indemnités, dommages, etc. »
« Si tu veux être sûr de partir en vacances sur le compte d’un détenu, il faut qu’il te menace de mort. »
Lorsque les détenus tombent dans le piège et réagissent, le plus souvent, l’alarme est activée pour déclencher l’intervention de renforts. Or, dans ce genre de contexte, il n’est pas rare que les opérations dégénèrent et que des coups soient portés au détenu pourtant maîtrisé (lire notre rapport). Pour un surveillant, le plus grave est le risque que ces pratiques font peser sur les autres personnels : « Imaginez-vous, il y a un fauteur de trouble qui va s’embrouiller volontairement avec un détenu et le fracasser. Les autres interviennent. Pour moi, c’est celui qui a commencé qui doit porter la responsabilité. Mais il peut entraîner les autres. Dans un établissement où il y a beaucoup de stagiaires, par exemple, ils n’ont pas le recul ou l’expérience suffisante des plus anciens : un coup d’adrénaline, on voit le gradé sauter sur quelqu’un, on va intervenir, sans pour autant prendre conscience du fait que ce n’est pas légal. » Sans compter les risques pris pour l’intégrité physique. Car la combine peut coûter plus cher qu’elle ne rapporte, analyse, avec une pointe de cynisme, un autre surveillant : « Quand vous perdez l’usage d’un doigt suite à une bagarre par exemple, c’est bien beau d’avoir une pension, mais il vous manque quand même un doigt. »
Parce qu’ils manquent généralement de preuves pour confirmer leurs soupçons, directeurs d’établissements comme magistrats se disent souvent démunis pour mettre fin à ces pratiques. Alors certains ont trouvé la parade : « Un agent se faisait régulièrement agresser dans des circonstances louches. J’ai fini par faire part de mes doutes au parquet, confie un directeur. Le procureur s’est alors mis à requérir l’euro symbolique et a été suivi par les juges. Bizarrement, les agressions sur cet agent ont cessé… »
par Laure Anelli
(1) Tendance révélée par un rapport de l’Inspection générale de l’administration (ministère de l’Intérieur) « Évolution et maîtrise des dépenses de contentieux à la charge du ministère de l’Intérieur », septembre 2013.
(2) Il s’agit ici du nombre d’agressions physiques, pour la plupart des bousculades, des coups à ces occasions, des projections d’objets.