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Grève à Condé-sur-Sarthe : la France condamnée pour conditions de détention indignes

Dans un arrêt du 18 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour les traitements inhumains et dégradants subis par deux personnes détenues au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe durant une grève du personnel pénitentiaire, en mars 2019.

Le mouvement de protestation, lancé en réaction à l’agression de deux agents pénitentiaires, avait conduit au blocage du site pendant vingt-et-un jours. Des membres des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), spécialisés dans la gestion des situations de crise, étaient intervenus de force pour suppléer les agents en grève et assurer le fonctionnement minimal de l’établissement.

Pendant ce blocage, les personnes détenues ont été soumises à de multiples violations de leurs droits. Les requérants expliquent avoir été confinés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans leur cellule, privés de promenade quotidienne et dans l’impossibilité d’exercer toute activité physique, professionnelle ou socio-éducative. Ils étaient par ailleurs totalement coupés du monde extérieur : les parloirs et visites familiales étaient rendus impossibles, et les requérants précisent n’avoir eu accès au téléphone que deux ou trois fois pendant les vingt-et-un jours de grève, quelques minutes seulement. Ils ne pouvaient donc entrer en contact ni avec leurs proches ni avec leur avocat. Finalement, hormis leurs codétenus, leurs seuls interlocuteurs étaient des agents des ERIS, cagoulés et armés, et décrits par les personnes détenues comme menaçants, agressifs et humiliants.
Si le gouvernement français a reconnu une partie des manquements qui lui sont reprochés, il les a justifiés par la réduction des effectifs pénitentiaires et l’entrave au bon fonctionnement du service causés par la grève. Les tribunaux français préalablement saisis de l’affaire avaient eux aussi rejeté les demandes des requérants, en jugeant que les mesures prises pendant la grève n’avaient porté qu’une atteinte partielle et limitée à leurs droits, conforme aux exigences de dignité humaine.

Ces arguments n’ont toutefois pas emporté la conviction des juges européens. Ils considèrent que, malgré les efforts fournis par les autorités françaises pour « faire face à une situation exceptionnelle et assurer la sécurité au sein de l’établissement », les privations drastiques imposées aux requérants « ont nécessairement engendré chez [eux] une détresse d’une intensité qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté ». Pour la Cour, « l’effet cumulé du confinement, du défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, et de la privation de contacts avec le monde extérieur, a exposé les requérants à des conditions de détention ne satisfaisant pas leurs besoins élémentaires, dans une mesure telle qu’elles doivent être regardées comme indignes ». Ces conditions de détention, conclut-elle, violaient la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette décision revêt une importance significative car il s’agit de la première condamnation de la France pour conditions indignes de détention dans le contexte particulier d’un mouvement de grève du personnel pénitentiaire*. La CEDH insiste : l’exposition de personnes détenues à de tels traitements dégradants ne peut pas être légitimée par la nécessité d’assurer la sécurité et l’ordre au sein de la prison.

Par Sophia Bidine

* La Belgique avait fait l’objet d’une condamnation similaire en mai 2019. Voir « Grève de surveillants : la Belgique condamnée pour traitement dégradant », Dedans Dehors n° 104, juillet 2019.