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Le Conseil d’État condamne la pratique des fouilles à nu aléatoires en prison

Après avoir condamné à plusieurs reprises l'administration pénitentiaire pour la mise en place de régimes de fouilles intégrales systématiques des personnes détenues dans de nombreux établissements, le juge administratif sanctionne la pratique des fouilles intégrales aléatoires. Par un arrêt du 26 septembre 2012, le Conseil d'État a en effet suspendu l'exécution d'une note de la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse qui prévoit la fouille intégrale d'une certain nombre de personnes détenues, choisies au hasard, à leur sortie des parloirs. Par cette décision, la Haute Juridiction rappelle ainsi que les fouilles intégrales doivent rester exceptionnelles et être strictement justifiées au regard de la personnalité et du comportement en détention des personnes qui en font l'objet.

Le 2 mai 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a suspendu l’exécution d’une note par laquelle la direction du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse prévoit un régime de fouilles intégrales aléatoires des personnes détenues dans cet établissement à l’issue des parloirs. Selon cette note de service du 21 mars 2012, il appartient à un personnel gradé de l’établissement de choisir chaque jour « une option » dans un tableau, selon « un planning pré-établi ». Chacune de ces options détermine aléatoirement, selon l’ordre de passage des détenus dans le local de fouille, les détenus qui sont fouillés et ceux qui ne le sont pas. La note prévoit également que « les détenus ne faisant pas l’objet d’une fouille intégrale » sont « fouillés par palpation » et qu’à la suite de cette fouille par palpation, « une fouille intégrale peut être décidée par le gradé si cela se justifie ».

Saisi en cassation par le ministère de la Justice contre la décision du tribunal administratif de Lyon, le Conseil d’État considère dans son arrêt du 26 septembre 2012 qu’ « eu égard à la fréquence des fouilles intégrales qu’il impose aux détenus » et parce qu’il « ne prévoit pas la possibilité de moduler l’application à un détenu du régime de fouilles intégrales qu’il définit en tenant compte de sa personnalité et de son comportement en détention ainsi que de la fréquence de sa fréquentation des parloirs », ce régime méconnait les dispositions prévues à l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 par laquelle le législateur a entendu donner à ces fouilles en détention un caractère exceptionnel. Et confirme la suspension de l’exécution de la note.

Un tel régime revient à « une fouille intégrale en moyenne une fois sur deux », ce qui « est de nature (…) à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette note » souligne le Conseil d’État, qui ne manque pas de rappeler que « les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique », qu’elles « revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens électroniques », et qu’elles « doivent être justifiées par l’un des motifs » définis à l’article 57 de la loi pénitentiaire : « présomption d’une infraction » ou « risques que le comportement (…) fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement ».

Tout comme le déplorait les sénateurs Nicole Borvo Cohen-Seat (Groupe communiste) et Jean-René Lecerf (UMP) dans leur rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire du 4 juillet 2012, cette décision du Conseil d’État vient une nouvelle fois attester de la résistance de l’administration pénitentiaire à l’application des dispositions prévues par la loi pénitentiaire relatives aux fouilles. En témoigne la politique menée par la direction du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse en la matière : la note suspendue par la Haute Juridiction avait en effet pour objet de se substituer à un régime de fouilles intégrales systématiques, précédemment en vigueur dans cet établissement et dont l’exécution avait été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif le 14 mars 2012 (soit sept jours avant la promulgation de la note de service instaurant les fouilles aléatoires).

L’OIP rappelle qu’il appartient au ministère de la Justice de s’assurer du respect effectif des dispositions encadrant la pratique des fouilles en détention. Il note par ailleurs qu’il n’existe à ce jour aucune politique volontariste en matière d’équipement des établissements pénitentiaires – évoqué durant les débats sur le projet de loi pénitentiaire – en matériel de détection susceptibles de se substituer aux fouilles intégrales, ce que n’ont pas manqué de rappeler les sénateurs Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf dans leur rapport.

L’OIP rappelle que :

– selon l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;

– selon l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme EL SHENNAWY c/ FRANCE du 20 janvier 2011 : « des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associées et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui […],  peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus » ;

– selon l’article 57 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».