Dans une décision du 6 juin 2013, le Conseil d'État ordonne au directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis de mettre fin au régime de fouilles intégrales systématiques imposé à toutes les personnes détenues sortant des parloirs. Saisi par l'OIP, la Haute Juridiction franchit un pas supplémentaire en ne se limitant plus seulement à relever l'incompatibilité de tels régimes avec les dispositions de la loi pénitentiaire de 2009. Statuant pour la première fois en référé-liberté sur le sujet, il condamne désormais le systématisme des fouilles en ce qu’il porte une atteinte grave et manifestement illégale aux principes de respect de la dignité humaine et de la vie privée garantis par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme. Et ouvre la voie à de nouvelles procédures contentieuses contre une pratique perdurant dans les prisons françaises malgré des condamnations régulières en justice.
La pratique des fouilles à nu systématiques imposées à toutes les personnes détenues à l’issue des parloirs doit cesser à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. C’est ce qui a été ordonné par le Conseil d’État dans une décision rendue le 6 juin 2013. La Haute Juridiction avait été saisie par l’OIP afin que soit suspendue une note de service du directeur du 28 mars 2013 instituant pour trois mois un régime de fouilles intégrales systématiques applicable à tous les détenus sortant d’un parloir.
Si le Conseil d’État ne conteste pas à l’administration pénitentiaire la possibilité de recourir à des fouilles intégrales pour des motifs de sécurité, il rappelle une nouvelle fois que celles-ci doivent être « strictement adaptées non seulement aux objectifs qu’elles poursuivent mais aussi à la personnalité des personnes détenues qu’elles concernent » et, qu’à cette fin, il appartient au chef d’établissement de tenir compte « du comportement de chaque détenu, de ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des tiers ». Relevant que la note du 28 mars 2013 « se borne à instituer un régime de fouilles intégrales systématiques sans organiser la possibilité d’en exonérer certains détenus », le Conseil d’État conclut à l’illégalité manifeste de ce régime. Et il enjoint au directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, d’une part de modifier « les conditions d’application du régime des fouilles intégrales systématiques afin d’en permettre la modulation en fonction de la personnalité des détenus » et, d’autre part, de modifier dans un délai de quinze jours « la note de service du 28 mars 2013 qui définit le régime des fouilles intégrales systématiques afin d’y introduire la possibilité d’une telle modulation ».
Après s’être déjà prononcé sur l’illégalité des régimes de fouilles à nu systématiques au regard de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (CE, 11 juil. 2012, n° 347146 et 26 sept. 2012, n°359479), le Conseil d’État franchit un pas supplémentaire en statuant pour la première fois en référé-liberté, procédure visant à garantir en extrême urgence la protection des « libertés fondamentales ».
Dans ce cadre, il sanctionne la pratique des fouilles intégrales systématiques en estimant qu’elle porte une « atteinte grave et manifestement illégale » aux principes de respect de la dignité humaine et de respect de la vie privée garantis par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme. C’est ainsi de façon très ferme, sur le terrain des libertés fondamentales, que le Conseil d’État exige qu’il soit mis un terme à une pratique toujours très répandue dans les prisons françaises, en dépit de nombreuses condamnations des tribunaux administratifs (Marseille, Lyon, Poitiers, Dijon, Rennes, Strasbourg, Lille, Melun, Nancy…) prononcées dans le cadre d’une campagne contentieuse engagée par l’OIP. Par ailleurs, compte tenu de « la fréquence et [du] caractère répété des fouilles intégrales encourues à l’échelle de l’établissement pénitentiaire », le Conseil d’État a estimé que l’OIP, dont l’objet est de défendre les intérêts collectifs des détenus, justifiait d’une situation d’extrême urgence l’autorisant à solliciter l’intervention du juge des référés à très brefs délais. Ce faisant, le Conseil d’État ouvre la voie à de nouvelles procédures contentieuses engagées par des personnes détenues, mais aussi par les associations qui défendent leurs droits, en vue d’obtenir la fin des régimes de fouilles intégrales systématiques dans les prisons françaises.
Au vu de cette décision et des nombreuses condamnations antérieures, il apparaît urgent que le ministère de la Justice prenne enfin les dispositions nécessaires pour que la loi pénitentiaire et les droits fondamentaux des personnes détenues soient enfin respectés dans les prisons françaises. Au-delà des déclarations de la garde des Sceaux signifiant que l’article 57 de la loi restreignant les possibilités de pratiquer des fouilles à nu ne serait pas abrogé, il lui appartient d’édicter un texte règlementaire visant à faire appliquer ce texte et d’en préciser les modalités de mise en œuvre.
L’OIP rappelle :
– l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;
– l’article 57 de la Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 qui dispose que : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. »
– les déclarations de Christiane Taubira, députée de Guyane, à l’occasion des débats sur le projet de loi pénitentiaire : « les fouilles intégrales constituent une humiliation. Nous ne pouvons pas proclamer constamment notre humanisme, au motif qu’il a inspiré quelques articles de loi, si on l’oublie au moment de le mettre en pratique. Il ne suffit pas d’être humain face à celui qui est sage, raisonnable, qui a un emploi et un logement, qui traverse dans les clous et qui respecte les feux rouges… Il s’agit aussi et peut-être surtout d’avoir des gestes d’humanité vis-à-vis de celui qui se trouve en marge de la société, de celui qui a pu vaciller à un moment donné, de celui qui est en situation de vulnérabilité, y compris éventuellement en détention. Or la fouille est intrinsèquement un geste de déni d’humanité. Il s’agit d’ailleurs de la pratique la plus courante dans les dictatures : lorsque de tels régimes veulent écraser un esprit, ses agents commencent par dénuder l’opposant, le résistant, pour le réduire à sa stricte dimension corporelle. La fouille constitue vraiment une agression insupportable. C’est pourquoi il faut intervenir en ce domaine, non pas en usant de figures de style pour prétendre que cette pratique est subsidiaire, justifiée par des nécessités – que personne ne définit –, liée à la personnalité – dont personne n’établit la typologie. Ce n’est pas avec de telles échappatoires que vous allez réaffirmer votre humanisme, mes chers collègues, mais en reconnaissant que le prisonnier est un homme. Il l’a été avant, il le demeure emprisonné, et il le sera de mieux en mieux après si nous l’accompagnons vers sa sortie ».