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Maison d’arrêt de Nîmes : un détenu saisit la CEDH pour faire reconnaître l’indignité des conditions de détention

Le 10 mars dernier, Francis R. incarcéré à la maison d'arrêt de Nîmes, saisissait la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), soutenu par l’OIP. Devant la haute juridiction européenne, il réclame de l’Etat français la mobilisation de moyens matériels et financiers pour faire cesser immédiatement les traitements inhumains et dégradants auxquels le soumettent ses conditions de détention dans cet établissement saturé. Avec 413 détenus pour 192 places, la maison d'arrêt de Nîmes est le 2e établissement le plus surpeuplé de l'hexagone.

Ouverte en 1974, la maison d’arrêt de Nîmes connaît une surpopulation structurelle et croissante. Une situation que n’ont de cesse de dénoncer, depuis des années, OIP, parlementaires, avocats, syndicats pénitentiaires et direction de l’établissement. Le taux d’occupation atteint aujourd’hui 215%. On dénombre environ 70 matelas posés au sol et jusqu’à quatre détenus dans de nombreuses cellules de moins de 9m2. A ce jour, aucune solution structurelle n’a encore été trouvée.

Vétusté, oisiveté, prise en charge déficiente : un cocktail explosif

Les derniers rapports d’activités et d’inspection de l’établissement pointent des cellules étroites, couvertes de moisissures, présentant des « défauts d’isolation thermique et d’aération », au point qu’en été il fait « 33° dans les cellules ». Un ancien directeur raconte qu’un de ses prédécesseurs a fait boucher les conduits d’aération des cellules au motif qu’ils servaient de cachette aux objets prohibés de certains détenus. Les travaux de réfection ont été réduits à minima en raison des contraintes budgétaires et le quartier hommes n’a pas été rénové depuis son ouverture, il y a 40 ans. Une situation qui, combinée à un taux de surpopulation élevée, accroît les risques sanitaires. Même constat pour les parties communes : les cours de promenade sont sales et dépourvues de tables et de chaises. Les parloirs, sous-dimensionnés, se résument à une grande salle de 40m2, crasseuse et sans le moindre dispositif de séparation garantissant l’intimité.

A cet état des lieux alarmant s’ajoute l’ennui. L’inflation de la population carcérale s’accompagne d’une réduction des activités socioculturelles. L’offre de formations rémunérées ou de travail a également considérablement baissé. En 2013, les dépenses consacrées à la réinsertion diminuaient, avec un budget de 195 000 euros contre 218 000 en 2012. Les détenus sont donc soumis à une oisiveté contrainte et un enfermement jusqu’à 22h par jour en cellule.

© Grégoire Korganow

Dans un tel contexte, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont débordés. Avec cinq CPIP pour l’ensemble des détenus, le suivi des personnes est réduit à son strict minimum. En moyenne, le délai d’attente pour rencontrer un conseiller est de huit mois. Même constat du côté de la santé, où le manque de personnel (psychologue absent depuis près d’un an par exemple) a déjà été pointé du doigt par l’OIP.

Promiscuité alarmante et inactivité font régner un climat de stress et de violence qui touche les détenus comme les personnels. Le conseil d’évaluation mentionne également que « de nombreux incidents résultent des difficultés pour permettre à chaque détenu d’accéder journellement aux douches », en raison de leur capacité insuffisante (6 douches pour 80 détenus). Au point que la direction a pris la décision de réduire le nombre de douches autorisées : d’une par jour, elles sont passées à trois par semaine.

Des conditions indignes, dénoncées par Francis R.

C’est dans ce contexte que Francis R. a déposé sa requête devant la CEDH. Depuis 14 mois, il doit cohabiter avec deux autres détenus dans une cellule de 9 m2, l’un d’entre eux étant contraint de poser son matelas sur une armoire couchée au sol. Le mobilier réduit encore l’espace disponible de chacun, au point d’empêcher tout déplacement simultané de deux détenus.

Pour pallier l’absence de ventilation, Francis R. et ses deux codétenus sont obligés de laisser la fenêtre continuellement ouverte, nuit et jour, été comme hiver. L’un des occupants, âgé de 80 ans, est incontinent et ne bénéficie d’aucune aide de la part d’un auxiliaire de vie, faisant reposer sur Francis R. et son co-détenu l’accompagnement des gestes du quotidien. « J’ai l’impression d’être à la fois un assistant social, un aide-ménager, un aide soignant »,témoigne Francis R. Une situation qui est loin d’être unique : selon le rapport de l’Unité sanitaire « il y a régulièrement des détenus âgés qui posent des problèmes d’autonomie dans la vie quotidienne ».

Si Francis R. souffre d’un manque d’intimité évident, il fait également face à une profonde solitude morale, ne bénéficiant d’aucun suivi social et psychologique. En un an et demi, il n’a pu rencontrer que deux fois son CPIP. Soumis à une obligation de soin sous la forme d’un suivi psychologique, il ne peut satisfaire à cette obligation, en l’absence de psychologue. Une situation qui complique l’obtention de réductions de peine supplémentaires. L’accès aux autres soins est tout aussi difficile : alors qu’il avait demandé dès son arrivée à voir un dentiste, il n’a pu obtenir un rendez-vous qu’au bout neuf mois.

Obtenir un arrêt pilote

A l’instar des requérants incarcérés dans l’établissement pénitentiaire de Ducos, Francis R. a saisi la CEDH sans au préalable s’être tourné vers le juge français. La Cour considère en effet qu’elle peut être saisie directement lorsque le droit interne ne prévoit pas de recours visant à améliorer les conditions de détention ou faire cesser les violations des droits conventionnels (Arrêt Valescu c. Belgique). De tels recours sont absents du droit français. Seuls des recours indemnitaires sont possibles devant les juridictions administratives et n’ont aucune conséquence sur les causes structurelles d’une situation carcérale dégradée.

Francis R. demande, outre l’examen de la violation alléguée, que la Cour reconnaisse l’existence d’un problème général et structurel touchant le système carcéral français et émette des préconisations pour résoudre celui-ci.

Ainsi, cette action devant la haute juridiction européenne dépasse le cadre de la situation spécifique de la maison d’arrêt de Nîmes et vise à créer les conditions d’une mise en œuvre effective du droit des personnes détenues en France à vivre leur incarcération dans le respect de la dignité humaine.