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Ne pas instrumentaliser l’évasion de Sequedin…

Alors que l'évasion d'un détenu de la prison de Sequedin suscite depuis plusieurs jours de nombreux commentaires simplistes, l'Observatoire international des prisons (OIP) en appelle à ne pas instrumentaliser un fait divers au caractère particulièrement exceptionnel. L'Observatoire estime qu'un tel événement ne saurait justifier la défense, le maintien ou le renforcement de mesures de sécurité et de surveillance attentatoires à la dignité humaine. Il rappelle le caractère contre-productif et humiliant des fouilles à nu en détention pour les personnes qui les subissent, comme pour celles qui sont chargées de les réaliser, en appelle au respect par l'administration pénitentiaire des dispositions législatives en vigueur et à la mise en œuvre par le ministère de la Justice d'une politique de « sécurité dynamique » dans les prisons françaises.

Depuis l’évasion ce samedi 13 avril d’un détenu du centre pénitentiaire de Lille-Sequedin, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer des carences supposées dans la gestion de cet établissement pénitentiaire et plus largement des dispositifs de sécurité en milieu carcéral. Est notamment mise en cause la disparition supposée des fouilles intégrales (à nu), ainsi que de leur systématicité pour l’ensemble des personnes détenues qui viennent de bénéficier d’un parloir. Éric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes, a ainsi demandé des explications à la garde des Sceaux sur « l’absence de fouilles au parloirs ». Stéphane Jacquot, secrétaire national de l’UMP chargé des prisons, explique que « si on avait mis en place des fouilles systématiques, on n’en serait pas là ». La présidente du Front national a quant à elle demandé le rétablissement des « fouilles systématiques à la sortie des parloirs », selon elles « justifiées aussi bien par les actes criminels commis que par la dangerosité et les contacts établis avec des tiers ». Et le syndicat UFAP de qualifier la prétendue « suppression des fouilles corporelles » de « pure aberration »…

L’OIP tient en premier lieu à rappeler que bien que particulièrement dégradantes, les fouilles à nu en prison n’ont jamais disparu des établissements pénitentiaires français. La loi du 24 novembre 2009, adoptée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est seulement venue en encadrer l’usage en posant trois principes impératifs : un principe de nécessité au terme duquel les fouilles, par palpation ou intégrales, ne peuvent être effectuées que si elles sont justifiées par « la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement » ; un principe de proportionnalité qui impose que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues » ; et enfin un principe de subsidiarité impliquant que les fouilles à nu « ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». L’administration dispose donc, en l’état actuel du droit, de l’ensemble des instruments juridiques nécessaires pour effectuer des fouilles à nu à l’encontre des personnes détenues si cela s’avère justifié et si cette mesure s’avère proportionnée.

Des pratiques pénitentiaires illégales

Bien que désormais prohibés par la loi pénitentiaire, des régimes de fouilles intégrales effectuées de façon systématique sur l’ensemble des personnes détenues ayant eu accès à un secteur de la détention (en particulier les parloirs) sont toujours en vigueur dans la plupart des établissements pénitentiaires français, comme à Lille-Sequedin où un élu du syndicat CFTC a ainsi confirmé que « la fouille au corps est automatique (…) à la sortie des parloirs ». Un « maintien quasi-systématique des fouilles intégrales » dont les sénateurs Jean-René Lecerf (UMP) et Nicole Borvo (groupe communiste) ont souligné l’illégalité dans un rapport du 4 juillet 2012 sur l’application de la loi pénitentiaire.

L’incapacité des gardes des Sceaux successifs de faire appliquer la loi de la République et les décisions de justice au sein des prisons françaises apparaît à ce titre particulièrement préoccupante. Condamnée à de nombreuses reprises depuis deux ans par les juridictions administratives pour le maintien de pratiques contraires à la loi, l’administration pénitentiaire l’est à présent également pour son refus de se soumettre à ces décisions de justice lui enjoignant de respecter les dispositions de la loi pénitentiaire. Constatant le non-respect d’une décision rendue le 17 juillet 2012, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a ainsi été contraint de prononcer pour la seconde fois la suspension de la décision de la direction du centre pénitentiaire de Fresnes d’instituer un régime de fouilles intégrales systématiques à l’encontre de toute personne détenue venant de bénéficier d’un parloir (ordonnance du 29 mars 2013). Outre Fresnes, l’Observatoire observe la persistance de fouilles intégrales systématiques dans la plupart des établissements pénitentiaires condamnés pour avoir institué de tels régimes (centres pénitentiaires de Rennes, Poitiers-Vivonne, Bourg-en-Bresse, Nancy, centres de détention de Bapaume, Salon-de-Provence, Joux-la-Ville, Varennes-le-Grand ou Oermingen).

Assurer la sécurité dans le respect des droits de l’homme

L’OIP rappelle que la fouille à nu est une mesure particulièrement intrusive, susceptible de porter gravement atteinte à l’intégrité physique et morale des personnes fouillées et dès lors de générer en elle-même des troubles à l’ordre et à la sécurité par la maltraitance des personnes qu’elle emporte. Cette pratique implique en effet la mise à nu des personnes détenues, souvent devant plusieurs surveillants pénitentiaires, dans des locaux ne garantissant pas toujours la confidentialité. Le caractère humiliant de ces fouilles est un constat largement partagé par nombre d’organes nationaux (Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Contrôleur général des lieux de privation de liberté…) et internationaux (Cour européenne des droits de l’Homme, Comité européen de prévention de la torture, Comité contre la torture des Nations-Unies). Lors de sa convention justice de juin 2006, l’UMP affirmait que « les atteintes [que les fouilles corporelles intégrales] constituent à la dignité des détenus, et d’une certaine manière à celle des surveillants, sont disproportionnées par rapport à l’objet qu’elles poursuivent et aux résultats qu’elles obtiennent (nombreux trafics en prison) ». Le parti avait alors conclu qu’il était« urgent d’adopter des pratiques plus encadrées et plus conformes à la dignité, comme l’ont fait de nombreux pays occidentaux ».

Selon les sénateurs Lecerf et Borvo, « la conciliation des principes de sécurité et de respect de la dignité de la personne passe par le recours aux portiques à ondes millimétriques permettant de visualiser les contenus du corps et de repérer la présence à la fois de substances illicites ou d’objets dangereux sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir ». Les débats parlementaires concernant la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 mettaient d’ailleurs en exergue l’objectif, à terme, de tendre vers une véritable disparition des fouilles intégrales grâce au recours à des moyens de détection moderne. Pour autant, aucune politique d’équipement des établissements pénitentiaires n’a été mené par les gouvernements successifs. Dans les avis de la Commission des lois du Sénat sur les projets de loi de Finances 2011 et 2012, le sénateur Jean-René Lecerf (UMP) regrettait ainsi que les projets de budgets ne prévoient « pas de financement pour permettre l’expérimentation de matériels de détection électronique qui éviterait le recours à des pratiques ressenties comme humiliantes pour les personnes détenues ».

L’OIP rappelle également que l’évasion de ce samedi 13 avril 2013 revêt un caractère particulièrement exceptionnel, qui ne saurait justifier la défense d’un dispositif extrêmement attentatoire à la dignité humaine pour l’ensemble des personnes détenues, sans être pour autant efficace du point de vue de la sécurité, et que la France détient l’un des taux d’évasion le plus faible d’Europe (2,7 évasions pour 10 000 détenus en France contre 42 pour 10 000 en Belgique en 2012). Alors que les sénateurs Lecerf et Borvo relevaient dans leur rapport de juillet 2012 que l’administration pénitentiaire « souhaiterait que la loi pénitentiaire puisse être modifiée afin d’autoriser le recours aux fouilles intégrales dès lors que les personnes détenues auraient un contact avec l’extérieur », l’OIP, tout comme ces parlementaires, « ne sauraient accepter un tel retour en arrière », les modifications législatives en matière de fouilles à nu ayant été largement inspirées de la jurisprudence européenne.

L’OIP appelle enfin la garde des Sceaux à non seulement faire appliquer les dispositions de la loi de 2009 encadrant la fouille intégrale, mais également à développer une politique de « sécurité dynamique » dans les établissements pénitentiaires telle que préconisée par le Conseil de l’Europe : elle consiste à privilégier la prévention et la communication avec les détenus et non à seulement mettre en œuvre des mesures de sécurité défensive (miradors, filins anti-hélicoptères, armes, fouilles…) et de coercition. « Le bon ordre dans tous ses aspects à des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claire entre toutes les parties », indiquent les Règles pénitentiaires européennes. Une approche de sécurité dynamique implique également un aménagement de la vie en prison « de manière aussi proche que possibilité des réalités de la vie en société », une détention dans des « conditions matérielles appropriées », la mise en œuvre d’ « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel », de possibilités pour les personnes détenues « de faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison » (Rec(2003)23 du Comité des Ministres aux États membres). Autant de mesures mieux à même de renforcer tant la sécurité interne des établissements pénitentiaires, que la réinsertion des personnes à leur sortie après avoir été traitées comme des citoyens dans le respect de la loi et des droits fondamentaux.

L’OIP rappelle :

– l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;

– l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme El Shennawy c/ France du 20 janvier 2011 : « des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associées et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui […], peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus » ;

– la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes : « la sécurité assurée par des barrières physiques et autres moyens techniques doit être complétée par une sécurité dynamique assurée par des membres du personnel alertes connaissant bien les détenus dont ils ont la charge ».