La situation des établissements pénitentiaires français ne permet pas aujourd’hui de faire face à la crise du coronavirus. Difficile à l’extérieur, le confinement est presque impossible en prison. Il risque en effet, à tout moment, d’accroître fortement les tensions et de déclencher des émeutes à l’instar de celles qui ont eu lieu en Italie. Dans des établissements surpeuplés, parfois insalubres, les mesures de prévention et de prise en charge sont inapplicables. Face au risque de crise sanitaire et sécuritaire, il faut aujourd’hui permettre à un maximum de personnes de sortir immédiatement de ce vase clos.
Communiqué commun de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM).
Dans le contexte déjà tendu des maisons d’arrêts surpeuplées, la perspective d’un confinement strict est particulièrement préoccupante. Le 17 mars, les parloirs ont été suspendus, privant l’ensemble des personnes détenues de la visite de leurs proches – eux-mêmes confinés chez eux. En parallèle, toutes les activités ont été mises à l’arrêt : cours, ateliers, interventions, formations, etc. Seules les promenades ont été maintenues. En Italie, où les parloirs avaient été brutalement suspendus le 9 mars dernier, des mutineries ont immédiatement éclaté dans 27 prisons, entraînant la mort de 12 détenus et laissant 40 surveillants blessés. Alors que la France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions de détention indignes dans ses prisons, les rares facteurs d’apaisement en détention sont aujourd’hui mis à mal : maintien des liens avec les proches, possibilité de passer du temps en dehors de sa cellule, perspectives d’aménagement de peine ou de permission de sortir, possibilité de travailler pour gagner un peu d’argent et acheter en cantine de quoi améliorer le quotidien, etc. Si le confinement imposé à la population générale peut être en partie adouci par les moyens de communication moderne, rappelons que les détenus ne peuvent utiliser internet et ont un accès restreint au téléphone : pour ceux – la grande majorité – qui ne bénéficient pas encore d’un téléphone fixe en cellule, ils dépendent du personnel pénitentiaire pour accéder aux cabines placées sur les coursives ; et pour tous, ces appels ont un coût important, qui limite de fait leur capacité à prendre des nouvelles de leurs proches.
En outre, 144 établissements pénitentiaires ou quartiers sont en situation de suroccupation[1]. Les détenus y vivent à 2, 3 voire 4 dans des cellules exiguës – quand ils ne sont pas dans des dortoirs de 6 ou 8, comme dans certaines prisons. Impossible, dans un tel contexte, d’appliquer les consignes de prévention. A la promiscuité en cellule s’ajoute la multiplication des contacts à l’occasion des promenades ou des douches collectives. Malgré cela, les détenus n’ont pas le droit de porter des masques ; ils n’ont, pour la plupart, pas de gants ; le gel hydro-alcoolique leur est refusé, l’alcool étant interdit en détention. Par ailleurs, les contacts entre détenus et personnel pénitentiaire sont inévitables – alors que surveillants, eux aussi, rapportent manquer de matériel de protection. Enfin, si l’épidémie devait se diffuser en détention, les unités sanitaires des établissements pénitentiaires, déjà surchargées et en sous-effectif, ne seraient pas prêtes à faire face à un afflux massif de malades.
Il est aujourd’hui urgent, pour limiter les risques de crise sanitaire en détention, de réduire drastiquement le nombre de personnes détenues, comme vient de le demander la Contrôleure général des lieux de privation de liberté. Il faut d’abord limiter le nombre des entrées : privilégier les peines alternatives à l’incarcération et le placement sous contrôle judiciaire à la détention provisoire, différer la mise à exécution des peines de prison et, surtout, limiter fortement les audiences de comparution immédiate, particulièrement pourvoyeuses d’incarcération. En parallèle, il faut impérativement faire sortir de prison toutes les personnes qui peuvent l’être. Des instructions devraient être données aux parquets afin de systématiser et généraliser les mesures déjà prévues par la loi : libérer sous contrôle judiciaire les personnes prévenues, multiplier les aménagements de peine et anticiper la libération des personnes en fin de peine, suspendre les peines pour raison médicale des personnes les plus vulnérables, etc. Des dispositions exceptionnelles pourraient par ailleurs être prises en plus de ces mesures : augmentation des réductions de peine, examen des demandes de libérations sous contrainte sans réunion de la commission d’application des peines, loi d’amnistie, etc. La priorité des juridictions ne doit plus aller aux audiences facteur d’incarcération – comme la comparution immédiate, pourtant classée par la chancellerie au rang des contentieux d’urgence appelés à être maintenus – mais à celles qui permettront au contraire de la limiter, tels que les débats devant les juridictions de l’application des peines. Car l’emprisonnement constitue un risque sanitaire qui met aujourd’hui en danger la vie de ceux qui y sont condamnés et de ceux qui les accompagnent.
Contacts presse :
Association des avocats pour la défense des droits des détenus : Amélie MORINEAU (présidente) · 06 89 59 62 02
Association nationale des juges de l’application des peines : Cécile DANGLES (présidente) · 06 78 79 70 36
Observatoire international des prisons-section française : Pauline DE SMET · 07 60 49 19 96
Syndicat des avocats de France : Matthieu QUINQUIS (président de la commission pénale) · 06 58 93 88 16
Syndicat de la magistrature : Anne-Sophie WALLACH · 06 86 67 27 12
[1] Selon les chiffres du ministère au 1er janvier 2020.