Trois ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de ses prisons, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui s’est réuni du 6 au 8 décembre dernier, a une nouvelle fois constaté l’insuffisance des mesures prises par les autorités françaises. Vivement préoccupé par l’aggravation de la situation, il demande l’adoption rapide d’une « stratégie globale et cohérente » pour réduire la surpopulation carcérale.
En janvier 2020, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses prisons[1]. Face à un problème qu’elle jugeait structurel, la Cour sommait le gouvernement de prendre des mesures générales pour résorber sa surpopulation carcérale et mettre ses conditions de détention en conformité avec la dignité humaine. Elle exigeait également de la France qu’elle mette en place une voie de recours effective pour permettre aux personnes détenues exposées à ces mauvais traitements de contester leurs conditions de détention[2].
Près de trois ans plus tard, la mise en œuvre de ces recommandations vient d’être examinée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, en charge de la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne par ses États membres. Dans leur décision du 8 décembre dernier, les délégués des États s’alarment de l’évolution de la situation des prisons françaises et – derrière les termes policés du langage diplomatique – critiquent fortement les réponses apportées par le gouvernement. Ils soulignaient déjà, en septembre 2021, l’insuffisance des mesures prises par les autorités[3].
Alors que la France vient d’atteindre un record historique avec 72 809 personnes incarcérées, les délégués expriment leur « vive préoccupation face aux derniers chiffres qui attestent […] d’une aggravation de la situation » et invitent les autorités « à adopter rapidement une stratégie globale et cohérente pour réduire, sur le long terme, la surpopulation carcérale ».
Dans ce contexte, ils recommandent aux autorités de « mettre l’accent sur toutes les mesures alternatives à la détention » et « renforcer les moyens nécessaires à leur développement et leur application par les juridictions plutôt que de continuer à augmenter les places carcérales » : c’est une remise en question explicite de la politique du gouvernement, qui mise avant tout sur la construction de nouvelles places de prison pour lutter contre la surpopulation et avait mis en avant, dans sa réponse au Comité des ministres, son projet d’ouverture de 15 000 nouvelles places d’ici 2027. Plutôt qu’augmenter le parc pénitentiaire, les délégués insistent ainsi sur la nécessité d’« accroître davantage [l]es efforts pour parvenir à des résultats durables de réduction carcérale ».
À l’heure où de nombreuses voix s’élèvent pour demander la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale et « au regard […] de l’urgence de la situation », les délégués invitent par ailleurs les autorités « à envisager rapidement de nouvelles mesures législatives qui réguleraient, de manière plus contraignante, la population carcérale ». Il va en cela à rebours des recommandations du comité des États généraux de la justice qui, dans son rapport rendu en octobre dernier, envisageait la mise en place d’un mécanisme qui relève d’une instance de concertation et non d’un dispositif contraignant.
En ce qui concerne le deuxième volet de la condamnation européenne, à savoir la mise en place d’un recours préventif, les délégués « réitèrent avec insistance la demande aux autorités de se prononcer sur les préoccupations exprimées au sujet du nouveau recours par des institutions nationales compétentes et les invitent à lui fournir un maximum d’exemples concrets de son utilisation, en précisant les délais en pratique de la procédure et les résultats obtenus ». En effet, si une nouvelle voie de recours a bien été créée par le législateur pour permettre aux personnes détenues de contester leurs conditions de vie dans les prisons françaises, son effectivité soulève de nombreuses interrogations. Dans sa communication au Comité des ministres, l’OIP avait ainsi relevé qu’« il ressort des quelques données qui ont pu être recueillies que très peu de personnes détenues exercent cette nouvelle voie de recours, et que les décisions judiciaires qui font droit à ces recours sont extrêmement rares », confirmant en cela « les craintes exprimées par l’OIP et de nombreux autres acteurs sur l’accessibilité, l’effectivité et par conséquent l’attractivité du nouveau recours judiciaire »[4].
Le gouvernement est désormais appelé à agir dans le sens des recommandations européennes, et à rendre compte des mesures qu’il aura prises. Rappelant le « caractère structurel et ancien des problèmes en question », le Comité des ministres invite les autorités françaises à lui fournir des informations actualisées d’ici fin septembre 2023.
Lire la communication de l’OIP au comité des ministre
Contact Presse : Sophie Larouzée Deschamps – 07 60 49 19 96
[1] Affaire J.M.B. et autres c. France du 30 janvier 2020
[2] « Surpopulation carcérale : la CEDH condamne la France à y mettre un terme », Communiqué OIP, 30 janvier 2020
[3] Lire notamment : « Le Conseil de l’Europe tacle l’inertie de la France face à la surpopulation carcérale », Dedans-Dehors n°112 – octobre 2021.
[4] « Dignité en détention : une loi en demi-teinte qui manque son objectif » Communiqué OIP, 19 mars 2021