Incarcéré à la maison d’arrêt de Villepinte en octobre dernier, Erdogan Cakir a été soumis à une mesure de fouille à nu systématique à l’issue de chaque parloir à partir du 14 novembre 2015. Ses demandes répétées à bénéficier de parloirs avec hygiaphone - qui empêchent tout contact avec le visiteur et rendent par conséquent impossible la transmission d’objets illicites - ayant été refusées, il a entamé une grève de la faim le 27 novembre et engagé une action en justice pour dénoncer cette situation. Le 8 janvier dernier, à quatre jours de l’audience, l’administration lui a indiqué qu’elle accédait à sa requête et il a par conséquent cessé sa grève de la faim. Le jour même, il était transféré au centre pénitentiaire de Réau.
Membre d’un mouvement d’extrême gauche turc, M. Cakir a été incarcéré pour une infraction en lien avec une entreprise terroriste. Bénéficiant chaque semaine de visites de sa fille, il a été informé au lendemain des attentats du 13 novembre qu’il ferait désormais l’objet de fouilles à nu systématiques à l’issue des parloirs sans qu’aucun incident ne soit venu justifier ce changement de régime. Afin d’éviter ces fouilles qu’il considérait humiliantes, sans pour autant renoncer au maintien de ses liens familiaux, il a demandé à pouvoir bénéficier de parloirs hygiaphones qui comportent une vitre qui sépare totalement la personne détenue de son visiteur. Demande qui a été refusée au motif que « le parloir hygiaphone n’empêche pas que [il soit] fouillé »… et que « ces box […] sont des sanctions et non des choix » (sic). C’est en revanche une toute autre sanction qui lui a été imposée, puisqu’il a été placé à deux reprises pour huit jours en quartier disciplinaire pour avoir refusé d’être fouillé à nu à l’issue d’un parloir. Tandis qu’il était au quartier disciplinaire, l’administration a refusé que soit mis à sa disposition les sucres et sels minéraux nécessaires lors d’une grève de la faim, qui ont dû être imposés par une prescription médicale.
A moins d’être pleinement justifiée par des impératifs de sécurité, la pratique des fouilles intégrales systématiques a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme[1]. La loi pénitentiaire de 2009 est venue strictement encadrer leur recours, conditionnant leur usage aux principes de nécessité, proportionnalité et subsidiarité[2]. La décision de soumettre une personne détenue à une telle mesure doit ainsi être justifiée par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement de l’intéressé fait courir à la sécurité des personnes, de l’établissement ou de l’ordre public. Et ne doit être prise que si les autres moyens de contrôle (fouille par palpation, portique de détection métallique) s’avèrent insuffisants. En ce qui concerne M. Cakir, il semblerait que seul le motif de sa condamnation ait motivé la décision de fouilles intégrales, sans que son comportement en détention n’ait été pointé comme faisant courir un risque objectif à l’ordre public. Surtout, les autres moyens de contrôle à la disposition de l’administration ont été écartés alors même que la maison d’arrêt de Villepinte dispose d’un portique de détection de masses métalliques et que M. Cakir réclamait un parloir hygiaphone.
Après 43 jours de grève de la faim et alors qu’il contestait en justice la légalité des mesures prises à son encontre, M. Erdogan s’est vu notifier quelques jours avant l’audience qu’il aurait désormais le droit à des visites avec parloirs hygiaphone et sans fouille intégrale. Considérant qu’il avait obtenu gain de cause, il a donc cessé sa grève de la faim. Dans la même journée, il a cependant été transféré au Centre pénitentiaire de Réau, rendant caduque la décision qui lui avait été notifiée quelques heures plus tôt. Nous n’avons pas encore d’informations sur le régime de visite auquel la direction de ce nouvel établissement va le soumettre. Dans le contexte spécifique de ces dernières semaines, propice à la suspicion et aux atteintes aux droits, l’OIP restera attentif à la situation de M. Erdogan Cakir.
[1] « Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associés, et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant, celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus » (Arrêt Frérot c/France, 12 juin 2007).
[2] Principes rappelés par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 juillet 2012.