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Violences de surveillants pénitentiaires : la France doublement condamnée par la CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme a, ce jeudi 5 décembre, condamné la France pour traitements inhumains et dégradants ainsi que pour défaut d’enquête effective. Douze ans et demi après les faits, justice est enfin rendue à Jamel M. Détenu au centre pénitentiaire de Salon-de-Provence, cet homme avait été victime en juillet 2007 de violences en série de la part de surveillants. La justice française, pourtant saisie d’un dossier fortement étayé, n’avait pas donné suite. Une affaire qui rappelle les difficultés rencontrées par les prisonniers victimes de violences de la part d’agents pénitentiaires pour obtenir justice.

Le 6 juillet 2007, Jamel M., 26 ans, est transféré du centre pénitentiaire de Salon-de-Provence à celui de Varennes-le-Grand. Quand il sort du fourgon, il est quasiment nu, menotté et entravé, son corps est marqué par de multiples hématomes et contusions, son cou porte une marque de strangulation de 18 cm. Il explique avoir été victime de violences avant son départ de Salon. La veille, il avait été décidé de transférer ce détenu, fragile psychologiquement, qui demandait en vain à être hospitalisé. Dans cette attente et face à sa vive agitation, il avait été placé d’abord au quartier disciplinaire (QD) – malgré un avis médical défavorable – puis à l’isolement. Là, il avait mis le feu à des papiers et des surveillants étaient intervenus avec une lance à incendie, inondant la pièce, le détenu et son paquetage. Jamel M. avait alors été placé à nouveau au QD où il avait passé la nuit, vêtu d’un simple T-shirt trempé. C’est d’abord lors de ce placement, puis à nouveau lorsqu’il a été extrait le lendemain matin pour être transféré, qu’il indique avoir été frappé.

Le jour même, Jamel M. porte plainte pour violences volontaires commises par personnes dépositaires de l’autorité publique, et une enquête est diligentée. Malgré un certificat médical, des blessures inexpliquées, des témoignages de surveillants, la plainte sera classée sans suite par le parquet fin novembre 2007. Selon lui, « les investigations n’ont pas permis de caractériser d’infraction ». En janvier 2009, Jamel M. déposera une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Elle connaîtra le même sort : en juillet 2012, le juge d’instruction rendra une ordonnance de non-lieu, confirmée en appel en novembre. Pour la Chambre, la version des surveillants de Salon-de-Provence fait foi. Le dossier est ainsi soldé, sans que la lumière n’ait été faite sur un certain nombre de points : d’où vient la marque de strangulation ? L’usage de la force à l’encontre de Monsieur M. a-t-il été « strictement nécessaire » et « proportionné », comme l’ont systématiquement avancé les surveillants ? L’usage de la lance à incendie était-il justifié ?

Saisie fin 2014 de cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait à se prononcer sur différents points : les conditions de placement en cellule disciplinaire, l’intervention des surveillants sur un début d’incendie, les conditions dans lesquels le requérant a été sorti de cellule avant son transfert et les conditions du transfert lui-même. Dans un arrêt rendu ce 5 décembre 2019, la Cour conclut à une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : elle estime que Jamel M. a subi des traitements inhumains et dégradants de la part des surveillants pénitentiaires. Elle réfute le caractère nécessaire de leurs interventions et conclut que « un tel traitement a provoqué chez lui des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse » et que cela « constitue un grave manque de respect pour la dignité humaine ». Elle confirme également que « l’usage d’une lance à incendie [était] disproportionné au regard de l’ampleur limitée du sinistre ».

Mais la Cour ne s’arrête pas là : elle condamne également la France pour violation de l’article 3 sous son volet procédural, considérant que Jamel M. n’a pas bénéficié d’une enquête effective, notamment parce que les juges français « semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants ». Et rappelle que « la crédibilité de ces derniers aurait dû être minutieusement vérifiée ».

Par cet arrêt exemplaire, la CEDH rappelle un principe fondamental de sa jurisprudence, à savoir qu’il incombe aux États de mener une enquête officielle et effective lorsqu’un individu affirme avoir subi aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, des traitements contraires à l’article 3. Cette enquête doit non seulement « pouvoir mener à l’identification des coupables »[1], mais aussi « permettre aux autorités de déterminer si le recours à la force était ou non justifié dans les circonstances particulières de l’espèce »[2]. Elle doit aussi être « approfondie », c’est-à-dire que les autorités « doivent chercher à établir de bonne foi les circonstances de l’espèce, sans négliger les preuves pertinentes ou s’empresser de mettre fin à l’enquête en s’appuyant sur des constats mal fondés ou hâtifs »[3].

S’il aura fallu plus de douze ans à Jamel M., accompagné par l’OIP dans chacune de ses démarches, pour obtenir justice, combien ont abandonné face à des procédures trop longues et difficiles ? Combien ont estimé que la justice ne pouvait rien pour eux ? Combien se sont tus face aux violences ? En juin dernier, l’OIP publiait un rapport d’enquête dressant un état des lieux des violences perpétrées par des agents pénitentiaires sur des détenus, décryptant les rouages leur permettant de se perpétuer et proposant des recommandations concrètes à l’attention de toutes les institutions impliquées. Depuis, l’association n’a cessé d’interpeller la garde des Sceaux, sollicitant une réaction de sa part à ce sujet. En vain. Face à ce mutisme, la décision de la CEDH vient rappeler aux pouvoirs publics que ces violences illégales à l’encontre de personnes détenues ne peuvent plus être ni ignorées ni tolérées.

Contact presse : Pauline De Smet · 07 60 49 19 96

[1] Arrêt Labita c/Italie du 6 avril 2000
[2] Arrêt Zelilof c. Grèce du 24 mai 2007
[3] Arrêt Iordan Petrov c/Bulgarie du 24 janvier 2012

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