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Arbitraire partout, justice nulle part

Les personnes détenues sont soumises à un grand nombre de règles qui leur paraissent le plus souvent opaques et appliquées de façon arbitraire. Face à une administration omnipotente, revendiquer ses droits, c’est entrer dans un rapport de force dont on ressort souvent perdant. Si bien qu’en prison, c’est le sentiment d’injustice qui prédomine.

« En fait de droit, l’administration pénitentiaire décide de tout »

« Vous ne gagnerez pas contre l’administration, on est les plus forts ! » C’est généralement de cette façon un peu martiale – celle d’un rapport de force – que le personnel pénitentiaire vous présente le droit. Suivent également les « on a toujours fait comme ça », et « on fait ce qu’on veut ». De sorte que les exemples pullulent de membres du personnel qui abusent de leur pouvoir. Et, en fait, on peut juste s’étonner qu’ils n’en abusent pas davantage. Et si l’on veut dénoncer des atteintes aux droits, on peut toujours s’adresser à la direction ou au procureur – qui classent inévitablement nos plaintes – ou demander conseil à un avocat quand il existe un point d’accès au droit, mais comme on doit indiquer auparavant l’objet de notre démarche au SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] qui interdit souvent tout sujet concernant nos conditions de détention, c’est peine perdue.

En fait de droit, l’administration pénitentiaire décide de tout, y compris en matière de permission, remise de peine, libération conditionnelle, son avis étant le plus souvent suivi par le juge de l’application des peines. Quand bien même celui-ci ne suivrait pas son avis, il y aurait toujours moyen pour eux de contourner la décision. Voici un exemple. Un jour, alors que mon codétenu avait obtenu une permission pour se rendre à la préfecture de Versailles pour refaire ses papiers – il est Serbe –, il se vit refuser sa sortie par le directeur au motif de rumeurs prétendant qu’il n’avait pas l’intention de rentrer. Questionné par la juge de l’application des peines, le directeur s’est trouvé pourtant bien incapable de justifier sa décision. D’où le renouvellement de cette permission. Or, deux jours avant la sortie, mon codétenu était transféré à la demande du directeur dans un autre établissement dans lequel, m’écrira-t-il plus tard, il ne bénéficia plus de la moindre remise de peine – il obtiendra pourtant un bac technologique – et terminera sa peine intégralement.

Autre principe s’appliquant en prison : « Si vous faites une erreur, vous devez être sanctionné. Si c’est quelqu’un d’autre, vous devez être sanctionné. » En témoigne cet incident récent d’une RLE [responsable locale de l’enseignement] qui, pour éviter d’avoir à surveiller deux détenus pendant un examen du DAEU [diplôme d’accès aux études universitaires], les avait envoyés en cellule avec leur copie. Avec pour conséquence, suite à une dénonciation, l’annulation de toutes les épreuves par l’université, y compris de celles des détenus qui n’avaient pas participé à cette « fraude ». Qu’on se rassure, cette RLE est toujours en fonction dans cet établissement. Quant aux détenus, ils en ont été quittes pour repasser l’examen l’année suivante – du moins ceux qui n’avaient pas été trop échaudés par cette histoire. Enfin, en cas de problème avec des codétenus, mieux vaut ne pas trop compter sur le personnel. Du reste, conformément à la règle précédemment citée, c’est toujours à la victime que revient d’être placé en quartier d’isolement pour sa sécurité – voyez-vous, on ne peut tout de même pas placer plusieurs détenus au quartier disciplinaire ou à l’isolement à chaque fois qu’un incident de ce type se produit. — P. R.

Plus on revendique nos droits, moins l’administration nous en reconnaît et plus elle nous en prive. – A. L.

En cas d’incident, l’administration juge et partie

L’administration pénitentiaire est juge et partie dans la répression disciplinaire *. Elle fonctionne donc la majeure partie du temps de façon corporatiste et protège quasi systématiquement ses agents, même devant l’évidence qu’ils se sont rendus coupables de faits litigieux vis-à-vis des détenus. Cela mène à la défiance envers l’administration pénitentiaire, à la frustration devant l’injustice récurrente, sentiment encore renforcé lorsqu’il est fait appel à l’institution judiciaire pour juger et que celle-ci prend pratiquement toujours fait et cause contre les détenus. Il n’y a presque pas de solution ou d’intervenants extérieurs pour nous aider à avoir gain de cause contre la machine judiciaire, administration pénitentiaire comprise. Face à cela, trois réactions possibles : le combat, tel Don Quichotte ou Sisyphe, qui nous use ou qui, pour certains, sert de raison de vivre ; la résignation, qui tourne souvent à la dépression ; enfin, pour ceux qui y parviennent, la patience, nourrie de haine et de rancœur. — A. L.
* La commission de discipline est présidée par le chef d’établissement, assisté de deux assesseurs, l’un surveillant, l’autre extérieur à l’administration pénitentiaire. Désignés par le président, les assesseurs n’ont qu’un rôle consultatif. Le président détient seul le pouvoir de décision, si bien que l’administration pénitentiaire cumule les fonctions d’accusation et de jugement.

« Autant de règlements que de bâtiments »

« Bien qu’il n’y ait qu’un seul grand directeur (grand par la responsabilité) et qu’un seul règlement, applicable à toute la prison – voire à l’ensemble des prisons françaises *, chaque bâtiment possède un sous-directeur avec sa propre expérience et sa propre vision de l’encadrement pénitentiaire. Conséquence : le règlement est appliqué différemment selon le bâtiment. Par extension, les droits aussi diffèrent selon la direction. » – Y. R.
* Il existe en effet un règlement intérieur type avec des dispositions communes à l’ensemble des établissements pénitentiaires et d’autres par catégorie d’établissement (maison d’arrêt, centre de détention, maison centrale).

Privilèges

« Le sport, il y en a qui attendent six mois avant de pouvoir y aller, d’autres le lendemain de leur arrivée, ils sont inscrits. Normalement, tu as le droit à une première séance de sport, et puis une deuxième, maximum, par semaine. Il y en a qui en ont trois ou quatre, et qui les organisent un peu comme ils veulent. En détention, si t’es un caïd, tu peux choisir ton régime : les meilleures douches, c’est où ? Je vais aller à cet étage-là. Le meilleur côté, celui où il n’y a pas le soleil dans l’après-midi, c’est celui-là ? Alors je vais aller là. Le groupe de sport qui m’intéresse le plus ? C’est le mardi et le jeudi parce que je n’ai pas parloir. Donc en fonction de ton profil, on t’accorde tout ça. » – Tito

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