Entre deux histoires d’amour, Corinne se retrouve à 27 ans mêlée au trafic de cocaïne organisé par son ex-mari et son nouveau compagnon. A la surprise de tous, elle sera condamnée à trois ans d’emprisonnement. Vingt ans après sa libération, elle témoigne d’un parcours entremêlé de cavales, galères et passions, qui l’a mené à son métier d’éducatrice
OIP : Pourriez-vous évoquer votre vie avant votre rencontre avec la justice ?
Corinne : Je suis née dans le sud-ouest de la France, où je suis restée jusqu’à mes 18 ans, dans une famille où tout allait bien.
Mais j’avais envie de voir autre chose et, avant même de passer le bac, je suis partie à l’aventure au Maroc pendant deux ans. A mon retour, de petits boulots en petits boulots, je suis allée faire une saison sur le bassin d’Arcachon où j’ai rencontré un garçon que j’ai rejoint à Paris. Nous nous sommes ensuite mariés. Il avait un travail stable chez Air France, était propriétaire de son appartement, nous étions insouciants… Dans notre quartier, nous avons fréquenté un bar, sympathisé avec de nouvelles personnes et formé une bande de joyeux fêtards, où la cocaïne, produit jusqu’alors inconnu pour moi, tournait en quantité.
Comment vous êtes-vous retrouvée face à la justice ?
Rapidement, je suis tombée très amoureuse d’un autre homme, plein de charisme, pas mal à la dérive et qui consommait beaucoup de coke. Mon mari et lui ont monté un coup pour essayer d’importer un kilo de cocaïne, par l’intermédiaire d’un ami. Je n’étais pas d’accord, mais mon mari pensait que c’était sans risques. Nous étions pas mal à côté de la plaque : pour nous, la cocaïne, c’était juste associé à la fête. Je n’étais pas partie prenante du coup qui se montait, mais j’étais au courant. Ils ont réussi à monter un premier plan, facilement, et ont voulu recommencer. C’est à ce moment là que j’ai pris la décision de quitter mon mari et de rester avec l’homme dont j’étais follement amoureuse. Mais la deuxième affaire s’est mal passée, mon ex-mari s’est fait arrêter à la sortie de l’aéroport avec les produits. Lorsque nous sommes allés le retrouver à son domicile, la police nous attendait.
Comment avez-vous vécu cette arrestation ?
Aussi incroyable que ça puisse paraître, je n’avais pas envisagé cette issue. Trop de cocaïne, pas assez de sommeil, une histoire d’amour qui prenait le pas sur tout, notamment sur ma raison… La garde à vue qui a duré plus de trois jours a été éprouvante car j’ai été présentée comme celle qui avait la mauvaise influence sur mon mari, la femme de mauvaise moralité. Beaucoup de propos sexistes donc, mais peu d’auditions, car je n’avais rien à révéler. Nous étions quatre gardés à vue, tous isolés dans de minuscules cellules bien crades. Pensant innocemment que je ne risquais pas grand-chose par rapport à eux, je tentais de les soutenir moralement. Je me suis ensuite retrouvée devant un juge d’instruction qui m’a dit : « Pour l’instant, vous allez en prison parce qu’il y a des témoignages contre vous. Nous nous reverrons bientôt et je déciderai d votre sort après vous avoir entendue ». J’ai été envoyée à Fleury-Mérogis, après 72 heures de garde à vue, dix minutes devant le juge d’instruction, sans en comprendre la raison.
Comment s’est passée votre arrivée à Fleury-Mérogis ?
Comme je pensais que ça n’allait pas durer, j’ai eu un moment de curiosité : connaître les conditions dans lesquelles mon compagnon allait vivre. Toute cette affaire est liée à mon histoire d’amour. Mais j’ai vite compris que j’étais passée dans une autre dimension : tu ne contrôles rien, tu ne sais rien, tu n’as plus voix au chapitre. L’impuissance est très violente. Tu passes à la fouille, on t’enlève ton sac, tu n’as pas de fringues, pas d’argent, pas de contact avec l’extérieur. Il y a quand même un éducateur qui te demande qui tu veux prévenir. J’ai demandé à ce qu’on appelle un ami, qui n’arrivait pas à croire que ce n’était pas une blague. Il a déposé quelques fringues à mon attention et envoyé un peu d’argent. Les mois ont commencé à être longs, sans visite et sans interlocuteur pour pouvoir m’expliquer. Le premier avocat auquel je me suis adressée ne m’a jamais répondu, puis j’ai demandé un avocat commis d’office. Je n’ai eu des nouvelles de mon dossier qu’au bout de trois mois, et nous n’avons vu le juge que six mois après mon incarcération. J’ai alors appris que c’était mon ex-mari qui avait fait une déclaration contre moi, basant sa défense sur sa victimisation, mon compagnon et moi-même devenant les « amants manipulateurs ». J’ai été renvoyée à Fleury, sans même une confrontation avec mon accusateur.
Dans quel état d’esprit étiez-vous alors ?
J’avais un fort sentiment d’injustice et la prison a commencé à me peser, avec tout ce qu’elle peut générer de frustrations et d’humiliations. Je me suis retrouvée dans des cellules à trois détenues, dont une dormait sur un matelas à même le sol. Avoir un peu d’intimité impliquait pour moi de ne pas sortir de cellule, afin de bénéficier de quelques moments de solitude pendant que les autres étaient en promenade. Pour sortir, je participais à quelques activités : du yoga et une formation en informatique. Le reste du temps, je vivais avec des boules Quiès, j’attendais ma lettre quotidienne et j’écrivais durant des heures à mon compagnon. Comme j’étais plutôt une « bonne » détenue, on me « confiait » des toxicomanes arrivantes en état de manque. Elles trouvaient des ruses pour cumuler les fioles pour se défoncer et il fallait que je gère seule la situation, dans 9m² cadenassés. Tu comprends vite que le bouton d’appel des surveillantes n’est à utiliser que si tu n’as besoin de rien. On ne te répond pas. Lorsqu’il y a danger, toutes les détenues se mettent à gueuler et à taper très fort aux portes afin d’être entendues et que quelqu’un intervienne, souvent longtemps après. C’est très anxiogène. Un an après mon arrestation, une demande de liberté provisoire a finalement été acceptée, à condition de payer une caution de 50 000 francs. Mon avocate a appelé ma sœur, qui a annoncé à mon père que j’étais en prison car je n’avais pas eu le courage de le prévenir. Il a tout de suite trouvé l’argent, grâce auquel je suis sortie.
Dans quelle situation étiez-vous lors de votre libération ?
Indigente et seule. Après avoir squatté chez des amis, j’ai trouvé une chambre chez un particulier et un travail d’opératrice de saisie grâce à ma formation en prison. Je ne faisais qu’un temps partiel pour pouvoir rendre visite à mon compagnon en détention. C’était une période de vie « entre parenthèses » : je ne vivais qu’avec lui, sous forme de relation épistolaire et de trois parloirs de 45 minutes par semaine à la Santé. Au bout d’un an, j’ai enfin trouvé un petit studio, puis un boulot de secrétaire dans une association. J’étais sous contrôle judiciaire : toutes les semaines, je voyais mon agent de probation pour rendre compte de ma réinsertion et de mes gages de représentation en justice. Dix-huit mois après ma libération, je me suis présentée au tribunal pour le jugement (deux ans et demi après notre arrestation) : j’avais un travail et un logement durement acquis… Et j’ai été écrouée à la barre : j’ai pris trois ans fermes, aucun sursis. J’ai écopé de la même peine que le revendeur qui avait un casier long comme un bras !
Je suis partie dans la souricière, pour aller au dépôt, puis retrouver Fleury, anéantie. Je n’ai toujours pas compris, c’était peut-être pour l’exemple, à une époque où les réseaux de la drogue se mettaient en place. Je n’ai eu le droit de dire que quelques mots au procès, personne n’écoutait, le tout dans une grande approximation sur les faits (il était par exemple question d’héroïne au lieu de cocaïne).
Cette deuxième détention a-t-elle été différente de la première ?
Oui, j’ai demandé à voir directement le médecin et je suis restée deux mois sous forte dose de Lexomil, complètement shootée, sans pouvoir sortir la tête du brouillard. J’avais 98% de chance de ne pas retourner en prison. Donc je n’y étais pas du tout préparée. Cette deuxième période, qui a duré onze mois, a été bien plus dure. Mais j’ai aussi été plus soutenue à l’extérieur, notamment par une amie qui a pris les choses en mains. J’ai décidé de faire appel. Mes amis m’ont trouvé un autre avocat, spécialiste du droit de la drogue. L’avocat a entamé une procédure pour que la caution me soit rendue, ce qui m’a permis de payer ses honoraires. En appel, le jugement a néanmoins été confirmé : c’était encore plus l’abattage, tu vois que les juges n’aiment pas se déjuger. Trois mois après, j’ai obtenu ma libération conditionnelle à mi-peine, mais le cauchemar a continué : j’ai encore dû rester deux mois et demi pour exécuter une « contrainte par corps », car je devais des millions de francs aux douanes. Cette mesure pouvait durer jusqu’à deux ans, je n’avais aucune idée de quand j’allais sortir. J’ai obtenu des permissions pour rencontrer les services des douanes et trouver un accord, dans un dialogue de sourds, puis de marchands de tapis puisque je n’avais rien. Un soir, une surveillante est venue et m’a annoncé : « Faites votre paquetage, vous sortez ».
Dans quel état d’esprit étiez-vous à cette deuxième sortie de prison ?
Comme je n’ai jamais admis que l’on me condamne à retourner en prison, ça ne pouvait pas vraiment être un soulagement d’en sortir. Heureusement, mes amis s’étaient organisés pour me garder mon studio, si bien que j’avais un logement à ma sortie. J’ai aussi eu droit aux indemnités chômage, je me suis donc un peu récupérée. J’ai eu du mal à me remettre au boulot. Et je vivais encore un peu en prison, par l’intermédiaire de mon mec. J’étais dégoutée, privée de mes droits civiques et j’avais perdu toute foi en la justice.
Qu’est devenue votre relation sentimentale après votre sortie de prison ?
On se voyait trois fois par semaine dans le cadre des parloirs de la Santé, puis il a été transféré près de Rouen. Même si c’était plus compliqué et plus cher, je partais tous les week-ends pour deux parloirs. Tant qu’il était dedans, je n’étais pas complètement sortie de prison. Je n’avais presque pas de vie sociale. Je bataillais avec les avocats, le juge de l’application des peines, les douanes… Je préparais sa sortie. Mais cet amour inconditionnel m’a aussi aidée à envisager l’après : mon compagnon était d’un optimisme forcené qui me boostait, on se projetait au-delà des murs. Nous avons voulu nous marier, j’avais déposé les bans à la mairie, mais il n’a pas obtenu de permission de sortir. J’ai néanmoins reçu un courrier de la CAF m’informant qu’ils me suspendaient mes allocations logement, parce que je m’étais mariée avec un détenu ! Je leur ai expliqué en vain que nous n’avions pas pu nous marier. Il m’a même été dit : « Vous n’aviez qu’à mieux choisir votre mari ». La stigmatisation continuait. J’avais la rage et j’ai commencé à aller mal, à me paupériser. Au bout de quatre ans, mon compagnon était à mi-peine, il a obtenu une première permission de deux jours, puis une deuxième, au terme de laquelle il n’a pas pu retourner en prison. Il n’en pouvait plus de me voir dans cette galère et il était épuisé par ses années de détention. Nous sommes partis en cavale, sans préméditation, ce qui a finalement duré quelques années.
Comment s’est déroulée cette cavale ?
Nous sommes partis en Espagne, où j’avais une tante. Nous avons essayé de bosser mais c’était impossible, donc nous sommes revenus en France. Nous avons fait les marchés, gagnant juste de quoi nous nourrir et payer les clopes. Mon compagnon a fini par prendre une fausse identité, celle de son cousin, et nous sommes revenus à Paris. J’ai entrepris une formation, lui un travail d’enquêteur à la Sofres. Mais nous avions toujours la peur au ventre. A chaque instant, chaque retard de 5 minutes, tu t’attends à ne pas le revoir. Ça prend de l’ampleur chaque jour, ça te ronge. Mais ça te soude aussi encore plus, nous étions inséparables. Comme il avait aussi la nationalité canadienne, il est parti là-bas, à contre cœur mais c’était la seule issue : j’ai bidouillé la photo d’un passeport et il s’est présenté à l’embarquement. Il est passé et je suis allée le rejoindre au Québec où j’ai passé trois ans.
Avez-vous reconstruit une vie au Canada ?
Il a monté une petite boîte avec un copain et je bossais avec eux, ça marchait pas mal. Mais toute notre histoire était compliquée. Quand tu as vécu dans une passion de dingue, mais essentiellement avec des échanges épistolaires, que tu te retrouves dans la réalité mais en cavale, dans l’angoisse permanente, il n’y a plus de place pour te lâcher et te retrouver vraiment. Nous sommes restés dix ans ensemble : trois mois avant d’être arrêtés, quatre ans et demi séparés par la détention, puis cinq ans en cavale. Je suis allée au bout de mes limites pendant cette période, j’ai beaucoup appris sur moi-même, mais je me suis aussi perdue. J’ai finalement décidé de rentrer en France. Il fallait que je le quitte, mais la passion restait telle, qu’un océan n’était pas de trop pour nous séparer. Il est rentré un an après, il s’est constitué prisonnier, il a terminé sa peine. Après la prison, il n’a pas réussi à s’en sortir, il avait été brisé par l’inaction et l’impuissance de la détention. Il est reparti dans des paradis artificiels, a repris de la coke et aussi beaucoup d’alcool. Il s’est suicidé il y a deux ans, sans avoir pu retrouver ses marques dans la société.
De votre côté, vous avez réussi à refaire votre vie ?
Quand je suis rentrée du Canada, j’ai commencé à penser à moi et à l’avenir. Je voulais travailler dans le social, parce que c’était déjà un peu ce que je faisais spontanément. Je suis devenue éducatrice spécialisée et j’ai travaillé longtemps auprès de toxicomanes, puis dans une association d’aide aux sortants de prison, et aujourd’hui dans l’hébergement et la réinsertion sociale.
Je sais à quel point la question du logement est déterminante à la sortie de détention. Il faudrait aussi donner la possibilité aux gens de faire leurs propres choix, plutôt qu’essayer de les faire entrer dans une norme qui n’est pas la leur. Les détenus devraient voir beaucoup plus de psychologues et d’éducateurs, afin de profiter de cette période de réclusion pour avancer et non régresser.
Recueilli et rédigé par Alice Gaïa et Sarah Dindo